La Cour constitutionnelle a ordonné mercredi la dissolution du parti progressiste Move Forward, vainqueur des élections législatives l’an dernier, évoquant une hostilité inacceptable envers le Palais.
La Cour constitutionnelle de Thaïlande a ordonné le 7 août la dissolution du parti anti-establishment Move Forward, au grand dam de près de 15 millions d’électeurs qui avaient donné la victoire à ce mouvement progressiste jeune, lors du scrutin législatif de 2023.
Les juges ont décidé à l’unanimité que les efforts du parti pour amender l’article 112 du code pénal, la loi sur le crime de lèse-majesté qui protège la monarchie contre les critiques, mettait en danger le système démocratique sous le régime de la monarchie constitutionnelle.
Le parti Move Forward a remporté les élections l’an dernier avec un programme comportant cette proposition inédite, jusque-là impensable, visant à modifier l’article 112 qui prévoit des peines allant jusqu'à 15 ans de prison pour chaque insulte perçue envers la couronne thaïlandaise.
Un acte visant à "dégrader la valeur de la monarchie"
Le parti, qui a par la suite déposé au Parlement des propositions d'amendements en ce sens, disait vouloir adoucir les peines de cette loi pénale et faire en sorte qu’elle ne puisse plus être instrumentalisée à des fins politiques ou autres.
Mercredi, la cour a statué que la tentative du parti de modifier la loi de lèse-majesté, mais aussi le fait d’avoir inclus ce projet d'amendement dans son programme politique et d’en avoir fait un argument de campagne électorale relevaient d’un acte visant à "dégrader la valeur de la monarchie", autrement dit hostile à la plus haute institution du pays.
La cour a également banni pour 10 ans d’activité politique les 11 membres du bureau du parti. Ces derniers n’auront pas le droit de se présenter à des élections, ni même participer à la création d'un nouveau parti.
Un nouveau parti devrait renaître des cendres du Move Forward
Mais cela n’a pas empêché, quelques heures après le jugement, les dirigeants du Move Forward d’annoncer que les 143 députés restants formeraient un nouveau parti dès vendredi, comme leurs prédécesseurs l'avaient fait en 2020, lors de la dissolution du parti Future Forward (Anakot Maï), par le même Cour Constitutionnelle, perçue comme la bête noire des partis anti-establishment.
La vice-présidente du Move Forward, Sirikanya Tansakul, a déclaré à l’agence Reuters que la nouvelle formation politique suivrait la même idéologie et n’oublierait pas ses promesses envers les millions d’électeurs qui lui ont fait confiance.
Des ennemis puissants et influents
Outre le projet d’amender la loi de lèse-majesté, celui de réformer l’armée et aussi de démanteler les monopoles des grandes entreprises, ont valu au mouvement progressiste de nombreux ennemis puissants.
L'année dernière, les rivaux de Move Forward au Parlement se sont unis pour empêcher le parti victorieux des élections de former un gouvernement.
Au cours des deux dernières décennies, les partis populistes thaïlandais ayant remporté les élections ont systématiquement été évincés du pouvoir par des coups d’Etat, des décisions de justice ou des jeux d’alliance face à un establishment militaro-royaliste au réseau très influent.
Incertitude politique néfaste pour l’économie fragile
Ainsi, depuis 2006, la Thaïlande a vu deux coups d'État, la destitution de quatre Premiers ministres, la dissolution d’une demi-douzaine de partis, le tout dans un contexte de manifestations de masse parfois sanglantes.
Mercredi, des partisans de Move Forward ont appelé à des manifestations contre la décision de la cour.
La dissolution de Move Forward survient alors que la fragile coalition hétéroclite issue de jeux d’alliances improbables destinés à lui barrer la route l’an dernier commence déjà à se fissurer après seulement quelques mois de calme politique relatif.
En effet, le sort du Premier ministre, Srettha Thavisin, du parti Pheu Thai, est entre les mains de la même Cour Constitutionnelle qui doit statuer la semaine prochaine sur la constitutionnalité de la nomination d’un avocat ayant fait par le passé l’objet d’une peine de prison.
Une destitution pèserait lourd sur un climat d’incertitude politique de plus en plus oppressant qui a déjà commencé à secouer les marchés financiers dans un contexte de croissance économique atone.