Comptant à peine 35 km² à elles deux, Ceuta et Melilla sont de petits morceaux de terre qu’on a grand peine à situer sur une carte. Pourtant les enclaves africaines de l’Espagne sont importantes à plus d’un titre. Points géostratégiques intéressants mais aussi points de tensions migratoires, Ceuta et Melilla ont une histoire et une actualité mouvementées.
Comme souvent dans l’histoire espagnole, d’abord il y eut les Phéniciens. Ce peuple de valeureux marchands venant d’Orient a essaimé sur le pourtour méditerranéen. Les futures Ceuta et Melilla sont des comptoirs phéniciens. Pour ne pas les confondre, Ceuta est nichée sur les terres qui forment la rive sud du Détroit de Gibraltar. Melilla, quant à elle, se trouve plus à l’est, sur l’actuelle côté du Rif marocain.
Au fil des siècles, ces antiques établissements phéniciens passeront souvent aux mains des Grecs et surtout des Romains. Les villes qui nous intéressent seront alors tiraillées entre Rome et Carthage lors des sanglantes guerres puniques.
Vint ensuite et pour longtemps, à partir du VIIIème siècle de notre ère, le temps de la domination musulmane sur le Maghreb dont Ceuta et Melilla partageront l’histoire mouvementée.
Au début de la Renaissance, les temps changent et l’époque est aux grandes découvertes et aux aventures maritimes. Ainsi, Ceuta est conquise par les Portugais, navigateurs hors-pairs, au tout début du XVème siècle. La ville devient alors ibérique mais pas espagnole pour autant. Et pourtant, en 1580, sous Philippe II, l’Espagne et le Portugal formeront un seul et même royaume. On peut même parler d’un gigantesque empire colonial qui s’étend, entre autres, aux Amériques et en Afrique. Dans les nombreuses possessions portugaises se trouvent Ceuta. Par la suite, l’enclave restera aux mains des monarques espagnols quand ceux-ci se verront obligés d’accorder l’indépendance au Portugal en 1640.
Melilla, elle, est conquise directement par la couronne d’Espagne, durant le règne des Rois Catholiques, Isabelle et Ferdinand. C’est le Castillan Pedro de Estopiñán qui mène à bien cette expédition, animé par le désir d’arrimer une ville à l’intérêt géostratégique certain aux processions espagnoles mais aussi pour avoir un pied sur cette côte africaine pourvoyeuse de féroces pirates.
Les enclaves de la couronne d’Espagne vivent dans une paix relative jusqu’à la fin du XVIIIème siècle où un sultan alaouite (dynastie régnante encore de nos jours au Maroc) mènent plusieurs incursions en direction de Ceuta et Melilla. Les tensions persistent pendant des décennies avant de culminer lors de la guerre hispano-marocaine de 1859–1860. L’armée de la reine Isabelle II l’emporte, sanctuarisant et augmentant les territoires des enclaves espagnoles.
Un siècle plus tard, le Maroc, dans le sillage du vaste mouvement décolonial, accède à l’indépendance. La question des enclaves espagnoles en terres africaines revient alors dans les revendications des Alaouites. Ces derniers font valoir, ayant aussi gagné à leur cause bon nombres de pays africains et musulmans, que Ceuta et Melilla constituent des vestiges coloniaux. Dans cette logique, la fin du protectorat franco-espagnol sur le Maroc aurait dû entrainer la « restitution » des enclaves. Ces demandes sont irrecevables du côté espagnol où l'on souligne que Ceuta et Melilla sont dans le giron de la Couronne depuis des siècles.
Les tensions entre le Maroc et l’Espagne sont ainsi loin d’être éteintes. Elles se cristallisent principalement depuis un an en particulier autour de la question migratoire. En effet, en mai 2021, un afflux considérable de migrants africains (Marocains pour la plupart) a franchi illégalement la frontière à Ceuta. Cet évènement a été analysé par les observateurs comme des représailles à l’endroit de l’Espagne qui avait accueilli le chef de Front Polisario (ennemi de Rabat militant pour un Sahara occident indépendant). Le Maroc aurait ainsi laissé passer, sinon encouragé, le passage en force. Ce chantage aux migrants est régulièrement dénoncé par les exécutifs européens et les ONGs.
Enfin, une autre question est récemment revenue dans le débat public concernant la sécurité de Ceuta et Melilla. Il s’agit de leur protection par l’OTAN. En fait, les deux enclaves espagnoles, ne sont pas couvertes par le parapluie en raison de closes précises du Traité de l’Atlantique Nord qui stipule que sont concernés les territoires européens et américains mais aussi les îles au nord du Tropique du Cancer. Ainsi les Canaries sont couvertes par l’OTAN. Toutefois, Ceuta et Melilla ne se trouvent pas non plus ni en Europe ni en Amérique mais, en plus, ne sont pas des îles.
En Espagne, pour les partis politiques de droite, et en particulier Vox, il faut s’employer à corriger cette anomalie.