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SACHSENHAUSEN – Affronter le passé en visitant un ancien camp de concentration

Écrit par Lepetitjournal Berlin
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2018

Au nord de Berlin, le Musée d'Oranienburg-Sachsenhausen propose des visites de l'ancien camp de concentration qui fut au c?ur du programme génocidaire nazi. Le Petit Journal de Berlin s'y est rendu pour une visite guidée lourde d' Histoire qui vous plonge dans l'horreur du passé. Récit d'une excursion atypique.

Ceux qui ont osé s'aventurer jusqu'au terminus de la ligne S1 connaissent peut-être la petite ville d'Oranienburg. A une trentaine de kilomètres au nord de Berlin, cette bourgade a été témoin d'une face bien sombre de l'histoire allemande. En lisière de la ville, à seulement quelques pâtés de maisons de la gare centrale, se dresse l'ancien camp de concentration de Sachsenhausen.

 

 

C'est l'un des premiers lieux de détention construits par les nazis lors de leur arrivée au pouvoir en 1933. Etabli dans une ancienne brasserie désaffectée, il a d'abord principalement servi à l'emprisonnement d'opposants politiques avant de passer sous le contrôle des SS en 1934. L'endroit a fini par devenir un véritable camp de concentration, où tous les rouages de l'horreur se sont peu à peu mis en place.

Désormais lieu de mémoire et d'instruction, le Musée et le Mémorial de Sachsenhausen proposent de nombreuses activités : des expositions, des projections de films ou des visites guidées afin d'explorer le site de l'ancien camp de concentration. C'est le seul site de ce genre que l'on peut visiter aux alentours de la capitale allemande. Le Petit Journal de Berlin y a suivi l'une de ses guides pour deux heures de retour dans le passé.

 

 

Au centre de l'organisation génocidaire nazie
La visite débute par une courte introduction pédagogique. Dans une petite salle de conférence, notre accompagnatrice fait défiler des diapositives ; ce sont surtout des cartes de la ville et du camp, qui permettent de retracer l'évolution du lieu tout au long du XXème siècle. Par sa proximité avec la capitale, le complexe Oranienburg-Sachsenhausen a joué un rôle particulier dans le système concentrationnaire nazi. Dans une petite aile baptisée "le bâtiment en forme de T", se prenaient toutes les décisions administratives concernant les camps de concentration sous domination allemande. "C'est aussi là qu'on planifiait les génocides", lâche notre guide dans un souffle, avant de nous emmener sur le terrain.

Un premier constat nous frappe dès le début de notre exploration : il ne reste plus grand chose de l'ancien camp où des dizaines de milliers d'individus ont perdu la vie. Tout juste quelques bâtiments où les SS avaient leurs bureaux et leurs salles de repos, jouxtant un vaste parc dont la quiétude naturelle ne laisse rien voir du sinistre passé. "Sachsenhausen n'a rien à voir avec l'image qu'on a d'Auschwitz, du train de prisonniers entrant directement par la grande porte", souligne notre guide. Ici, l'ensemble du site est entouré de verdure et si proche des habitations que l'on se demande comment tout cela a pu être possible. "A l'époque, les habitants ne savaient pas trop comment réagir lorsque tout cela a été établi", continue la guide. "Ils pensaient peut-être que c'était normal, ou bien ne cherchaient même pas à savoir ce qui se passait".

 

 

Un lieu de mémoire entre silence et violence
"Arbeit Macht Frei" ("le travail rend libre") ; l'inscription nazie, dont le cynisme n'a d'égal que les atrocités qu'elle a observées, surmonte le portail de fer principal et rappelle au visiteur où il se trouve. Une surface de terre sèche se présente alors à nos yeux. "D'après les photos, il y avait des arbres autrefois", commente l'experte. Mais seul le vent balaie désormais cette étendue triangulaire, délimitée par des murs de béton gris et des tours de surveillance aux toits pointus.

Au sol, les emplacements des bâtisses de l'époque sont aujourd'hui désignés par du gravier. Des dizaines de baraques qui occupaient la cour, seules deux tiennent encore debout, vestiges d'un temps révolu. Elles abritent des lits, des tables et des bancs, reconstitués avec les matériaux d'origine. "Ils vivaient à 300 ou 400 là-dedans", précise la guide. "Imaginez un peu le manque d'intimité, les conflits entre prisonniers?". Comme si on y était, il nous semble les visualiser là, amassés, sans intimité ; des âmes dénigrées.

 

 

Soucieuse d'éveiller la conscience de son auditoire, notre accompagnatrice prend soin de nous solliciter, soulevant des questions que nous n'avions pas même osé formuler. Avec un effarement grandissant, nous saisissons l'ampleur de la brutalité qui a régi le camp pendant des années ; une violence commanditée d'en haut, mais aussi une violence spontanée, banale, quotidienne, commise presque pour le plaisir.

Bien que Sachsenhausen n'ait jamais atteint le statut d'un camp d'extermination, une grande partie des prisonniers y a souffert de la torture ou des épouvantables conditions de vie : mauvaise hygiène, sous-nutrition, froid extrême? Une petite chambre à gaz y a même été construite sur le tard, même si son but n'était pas de tuer en masse. Notre guide souligne : "Pendant la guerre, la plupart des Juifs étaient de toute façon envoyés à Auschwitz".

 

 

De l'horreur au musée
Mais la dernière étape de notre visite achève de nous abasourdir face à l'absurdité de la barbarie. Nous pénétrons dans une espèce de bâtiment à l'aspect étonnamment moderne, bas de plafond, aux murs de plastique blanc, protégeant les fondations d'une ancienne "usine de l'horreur". Avec les explications de la guide, les différentes salles prennent sens : ici, on expérimentait de nouveaux types de gaz mortels ; là, on mettait au point un dispositif d'assassinat anonyme? "Même quand ils étaient sur le point de perdre la guerre, ils continuaient de chercher d'autres moyens de tuer plus et pour moins cher", annonce notre accompagnatrice, provoquant chez son auditoire un soupir général noué d'angoisse.

Libéré par l'Armée Rouge en 1945, le complexe d'Oranienburg-Sachsenhausen est ensuite devenu une prison soviétique, où d'anciens fonctionnaires nazis, des membres de la Wehrmacht, mais aussi des opposants au nouveau régime politique furent internés jusqu'en 1950. Les conditions d'emprisonnement ne se sont que bien peu améliorées sous la RDA, accusée par certains d'y avoir fait mourir près de 12 000 individus de faim ou à la suite de maladies.

En 1961, un mémorial et un musée ont été inaugurés sur le site de l'ancien camp. Ils appartiennent depuis 1993 à la Fondation des Mémoriaux Brandebourgeois. A l'extrémité du site, une statue représente la libération du camp, et derrière elle une haute tour de béton s'élève vers le ciel. Chacune de ses faces est ornée de 18 triangles rouges, référence au symbole que les prisonniers devaient porter sur leurs vêtements à l'époque nazie. Encore aujourd'hui, de nombreux visiteurs se rendent à Sachsenhausen pour y déposer des fleurs sur une stèle commémorative. Il n'est pas si loin, le souvenir.

Sarah Diep (www.lepetitjournal.com/berlin) vendredi 24 juillet 2015

Savoir plus :

Musée et Mémorial de Sachsenhausen
Straße der Nationen 22
16515 Oranienburg

Visites guidées d'environ 2 heures, possibles en français, anglais, allemand, espagnol, italien et néerlandais. Les petits groupes sont acceptés, il suffit d'appeler pour connaître les disponibilités et prendre rendez-vous.
Des audio-guides sont également à disposition.

Accès depuis Berlin : ligne de S-Bahn S1 diretion Oranienburg, arrêt Oranienburg
En voiture : prendre la A111 en direction de Hambourg, au niveau de la Oranienburger Kreuz prendre la A10 en direction de Prenzlau, sortie Brikenwerder, prendre la B96 en direction d'Oranienburg

http://www.stiftung-bg.de/gums/en/

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Publié le 23 juillet 2015, mis à jour le 6 janvier 2018

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