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La course aux votes est lancée entre la LND et le parti des militaires

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Écrit par Juliette Verlin
Publié le 3 juin 2020, mis à jour le 4 juin 2020

Alors que tous les partis politiques préparent les élections générales a priori prévue pour novembre – même si la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) s’est fendue le 30 mai d’une conférence de presse pour affirmer qu’elle « n’essayait pas d’influencer la Commission électorale pour retarder la date du scrutin »… signe probable qu’elle essayait ! -, la LND, elle, n’a pour l’instant que peu dévoilé officiellement ses préparatifs. Mais entre l’instabilité politique liée aux guerres civiles très actives dans plusieurs états du pays et la pandémie de Covid-19, le champ de bataille électoral est maintenant largement ouvert entre le parti au pouvoir aujourd’hui largement majoritaire et ses rivaux, notamment le Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PSDU) qui constitue le bras politique des chefs militaires. Depuis la victoire écrasante de la LND aux élections de 2015, son bilan concret est faible, pour le moins inachevé, et sa relation avec la Tatmadaw (nom officiel de l’armée birmane) est loin d’être claire.

La Covid-19 a d’ailleurs largement servi à planter le décor. Dès la déclaration officielle des premiers cas dans le pays, des gestes non-officiels de campagne électorale sont apparus. Daw Aung San Suu Kyi, symbole de la LND, a rouvert son compte Facebook, afin de renouer le lien personnel qu’elle a longtemps entretenu avec le public et qui s’est beaucoup distendu depuis qu’elle est au pouvoir. Comme elle l’annonce elle-même, l’objectif officiel était de « communiquer plus rapidement et plus efficacement » sur les derniers développements de la pandémie, sans passer par la voie officielle. Dans le même temps, alors que le nombre de patients atteints du Covid-19 continuait d’augmenter, les parlementaires pro-Tatmadaw ont pris une l’initiative de porter des masques, une précaution que les parlementaires civils n’avaient pas encore adoptée et qui s’est retrouvée dans les journaux. Des actions symboliques de part et d’autre mais destinées à montrer les efforts de chaque camp pour combattre la pandémie – et gagner quelques précieuses voix lors du bras de fer des élections à venir, dont les résultats sont bien plus incertains qu’il y a cinq ans.

 

En cinq ans, les conflits internes se sont intensifiés

Mais c’est autour des droits des minorités ethniques qu’une bonne partie de l’électorat va se positionner. En 2015, Daw Aung San Suu Kyi avait axé sa campagne électorale sur la promesse faite aux minorités que sous sa houlette, les partis ethniques obtiendraient plus d’autonomie territoriale et que leurs voix seraient entendues au Parlement. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est passé. En cinq ans, les conflits internes se sont intensifiés, les discussions de paix des Conférences de Panglong n’ont même pas réellement commencé – les échanges buttant toujours sur des questions de procédures -, l’accord national promis relève de la méthode Coué et la Birmanie s’est vue accusée de génocide contre le groupe des Rohingyas, poussant plus de 700 000 d’entre eux à fuir le pays et rejoindre des camps de réfugiés au Bangladesh depuis 2016.

Cette année, la conseillère d’état cherche donc à se réconcilier avec les différents groupes ethniques en préparation du scrutin proche mais ses discours ne coïncident pas avec la réalité du terrain. En Mars, lors d’une visite dans l’état de Shan, Daw Aung San Suu Kyi a déclaré que « nous avons beaucoup de temps pour avancer », en mentionnant « l’unité et l’esprit d’union de toutes nos races nationales ». Quelques semaines plus tard, la Tatmadaw, avec le soutien d’une milice Shan pro-gouvernementale, a lancé une nouvelle offensive contre la Ta’ang National Liberation Army, un groupe armé Shan qui a refusé la signature d’un cessez-le-feu proposé par le gouvernement et qui vient de répondre très violemment ce 1er juin en attaquant et détruisant un convoi militaire birman.

 

Les partis ethniques n'ont plus confiance dans la LND, malgré ses beaux discours

L’armée n’est pas la seule à miner la popularité d’Aung San Suu Kyi. Les politiques gouvernementales sont également en cause. La LND, comme la junte militaire avant elle, a promis des contreparties financières et des efforts de développement aux commandants rebelles qui accepteraient de signer un cessez-le-feu. Or, loin d’accroître l’autonomie régionale et d’améliorer le quotidien des civils – deux objectifs majeurs de beaucoup de groupes ethniques -, ces promesses se sont transformées en présence gouvernementale accrue dans ces zones contestées, qui n’ont pu que constater la multiplication des passages en force des gouvernements - national comme régionaux, tous sous contrôle de la LND – pour octroyer des licences minières controversées, laisser fonctionner des usines polluantes appartenant à des proches de la Tatmadaw, ou uniquement à l’écoute des intérêts étrangers ou des grandes institutions internationales, cela au détriment des communautés locales. Et lorsque lesdites communautés ont cherché à réagir pacifiquement par des protestations, la LND n’a pas hésité à réprimer violemment leurs leaders en recourant à des lois liberticides qu’elle dénonçait pourtant elle-même naguère.

Archétype de ce procédé « judiciaire » dénoncé par toutes les organisations de défense des droits humains – birmanes ou étrangères - la condamnation pour trahison de U Aye Maung, ancien président du Parti National Arakanais (PNA), et de l’auteur Wai Hin Aung, arrêtés en Janvier 2018 suite à leur discours virulents contre Nay Pyi Taw lors de la commémoration publique de la défaite du royaume arakanais contre les Birmans, en 1784, puis jugés et condamnés dans un procès que plusieurs observateurs internationaux ont considéré comme inique. Une condamnation qui a permis à la Commission Electorale de l’Union (CEU) de retirer le 18 mai dernier son statut de membre de la Chambre Basse du Parlement à Aye Maung et de lui interdire de se présenter aux élections qui arrivent. De quoi faire froncer plus d’un sourcil dans les rangs des parlementaires d’états à minorité ethnique qui sont nombreux à dire aujourd’hui la LND, malgré ses beaux discours et son statut d’opposant à la junte en 2015, est en réalité tout aussi réticente que les militaires à accorder plus d’autonomie aux différentes ethnies du pays.

 

« Tout le monde voit que le gouvernement a réduit la liberté d’expression d’un individu »

D’ailleurs, plusieurs représentants de partis ethniques ont déclaré que la décision d’éliminer « politiquement » U Aye Maung allait impacter le processus d’unification du pays. « Même si [le gouvernement] parle de réconciliation nationale, tout le monde voit qu’il a réduit la liberté d’expression d’un individu. Nous pouvons avoir des opinions divergentes », a commenté le porte-parole du parti Aye Nu Sein. Sai Lek, le secrétaire général de la Ligue pour la Démocratie des Nationalités Shan (LDNS), le principal parti ethnique Shan, a quant à lui ajouté que « même s’ils parlent d’unité ethnique, ils doivent encore la mettre en œuvre. […] Cette décision est vraiment répugnante parce qu’elle a été prise par un gouvernement civil élu. Même si elle reste dans le cadre de la loi, je pense qu’ils ont pris cette décision sous le coup de l’émotion ». Et Aye Nu Sein d’enfoncer le clou : « En Birmanie, si un gouvernement arrive au pouvoir, les groupes d’opposition sont mis en prison ou vont rejoindre des zones libres pour combattre. Selon moi, ce sont ces circonstances auquel fait face le Dr. Aye Maung ».

Enfin, dernier point qui a profondément choqué tout une partie des opposants politiques démocrates du pays comme un grand nombre de militants de la société civile, le fait que la prix Nobel de la Paix 1991 a utilisé l’argumentaire de la Tatmadaw lorsqu’elle a défendu son pays en personne à La Haye contre l’accusation de génocide des Rohingya. Entre justification des morts de civils, insistance sur la responsabilité de la milice rebelle de l’Armée du Salut des Rohingya de l’Arakan, négation des viols commis par les soldats de l’armée birmane, Daw Aung San Suu Kyi n’est pas sortie grandie de ces auditions, même si son objectif premier n’était pas de convaincre les juges internationaux mais de ne pas s’aliéner les nationalistes birmans et faire ainsi le lit politique du PSDU.

Au final, si la LND conserve une base solide au sein de l’ethnie birmane et parmi la population la moins éduquée du pays, elle subit en revanche une forte érosion de son électorat potentiel auprès de la classe moyenne et des militants de la société civile, un de ses socles historiques qui risquent fortement de se tourner vers les nouveaux partis démocrates nés depuis 2015, en particulier le Parti du Peuple de Ko Ko Gyi, une autre grande figure populaire de la résistance à la junte durant le temps fort de la dictature. Pas de quoi perdre les élections mais de quoi perdre une majorité absolue…

Demain, Lepetitjournal.com Birmanie continue sa présentation des élections générales à venir en mettant en lumière la stratégie mise en place par le PSDU et les dirigeants militaires pour contrer la LND.

 

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