Au début du mois, la French Tech a organisé à l'ambassade de France à Bucarest, sa cinquième édition de la "French Tech Romanian Touch", un événement qui a lieu chaque année et dont le but est de célébrer l'innovation, la technologie et l'entrepreneuriat. Des prix y ont été distribués pour récompenser l'incroyable vitalité des collaborations franco-roumaines dans le domaine de la tech. Nous sommes allés à la rencontre de Julia Cantaragiu, lauréate du prix "Meilleur entrepreneur roumain en France".
En France, on voit de plus en plus de femmes à la tête d’entreprises innovantes, mais elles restent souvent sous-représentées dans les secteurs à forte croissance, comme la tech. En Roumanie, je perçois un dynamisme extraordinaire chez les entrepreneuses, mais elles font face à des défis similaires, avec parfois des freins culturels plus marqués.
Grégory Rateau: Vous venez de recevoir à l'ambassade de France à Bucarest le prix du meilleur entrepreneur roumain en France remis par la French Tech. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Julia Cantaragiu: C'est avant tout une reconnaissance collective, plus que personnelle. Chez RamenTaFraise, je ne suis pas seule à porter ce projet. Nous sommes une équipe unie, engagée pour l'entrepreneuriat féminin, et ce prix est le fruit d’un travail d'équipe, de l’énergie et de la passion de chaque membre. Ce qui me touche particulièrement, c’est aussi ce lien avec la Roumanie. Mon père, qui est roumain, est extrêmement fier de me voir recevoir ce prix, et c’est de voir cette fierté dans ses yeux qui me touche le plus profondément. C’est un moment très spécial pour lui, et je suis reconnaissante qu’il ait pu assister à ce moment.
Quel lien entretenez-vous avec vos origines roumaines ?
Pendant les 20 premières années de ma vie, je connaissais à peine la Roumanie. Ayant grandi en France, je ne parlais pas la langue, même si mon père et ma sœur sont roumains. J’ai toujours parlé français avec eux, et anglais avec le reste de ma famille en Roumanie. Je me rends compte maintenant que j’étais moi-même victime de certains clichés sur la Roumanie, notamment autour de la pauvreté.
Tout a changé en 2019. J’ai fait un voyage en Roumanie car j’ai ressenti le besoin de mieux connaître ce pays et de me rapprocher de mes racines. J’ai commencé à voyager régulièrement en Roumanie, à apprendre quelques mots pour mieux communiquer, à découvrir ses monuments et sa culture. J'ai été émerveillée par la richesse de ce pays, par son histoire et ses traditions, par sa cuisine et je suis tombée amoureuse des sarmale et de la salate de vinete. Aujourd'hui, je me sens connectée à mes origines et je suis fière de ces origines roumaines.
Au sein de votre entreprise RamenTaFraise, vous soulignez le fait que la visibilité est aussi importante que l'expertise. Expliquez-nous.
L'expertise, c'est la base, mais dans le monde d’aujourd’hui, si vous n’êtes pas visible, votre expertise reste un secret bien gardé. Ce que je dis souvent aux femmes avec qui je travaille, c’est que le savoir-faire ne suffit pas, il faut aussi le faire savoir. Être visible, c'est oser partager ses idées, ses réussites, ses projets, et se montrer sous un jour authentique. C’est ce qui permet de créer des opportunités, d'attirer les bonnes collaborations, et d’être reconnue comme une référence dans son domaine. Mon rôle, avec RamenTaFraise, est justement d'aider les femmes à comprendre que leur voix mérite d'être entendue, et que leur expertise peut transformer leur vie professionnelle si elles l’assument pleinement.
Quels sont les principaux freins qui empêchent les femmes de prendre la parole sur des sujets liés à leurs domaines de compétences ?
Il y a plusieurs freins, mais le plus important reste le doute. Beaucoup de femmes ne se sentent pas légitimes, même si elles ont toute l'expertise requise. Elles ont peur d'être jugées, de ne pas être à la hauteur, ou de ne pas dire quelque chose d’assez intéressant. Elles se mettent une pression énorme pour être parfaites, là où souvent les hommes n'hésitent pas à partager même des idées en construction. Ce besoin de perfection, combiné au manque de modèles visibles, crée un cercle vicieux qui empêche de nombreuses femmes de s'exprimer avec confiance.
Vous parlez du syndrome de l'imposteur. Est-ce que les femmes seraient plus touchées par cet aspect que les hommes ?
Oui, je le pense. Bien sûr, le syndrome de l’imposteur n’épargne personne, mais il touche particulièrement les femmes. Les attentes sociales et culturelles pèsent plus lourd sur nous. Nous avons été élevées à être discrètes, à ne pas trop déranger, et ce conditionnement laisse des traces, même quand on devient une professionnelle accomplie. Chez les femmes entrepreneuses, ce syndrome se manifeste souvent par un sentiment de ne pas être suffisamment compétente ou légitime, malgré des résultats qui parlent d’eux-mêmes. Il est donc crucial de sensibiliser les femmes à ce phénomène et de les accompagner pour qu’elles apprennent à dépasser ces blocages et à se valoriser pleinement.
Pensez-vous que la place des femmes évolue dans le secteur entrepreneurial en France mais aussi en Roumanie ?
Oui, heureusement, la place des femmes évolue, mais il reste encore beaucoup à faire. En France, on voit de plus en plus de femmes à la tête d’entreprises innovantes, mais elles restent souvent sous-représentées dans les secteurs à forte croissance, comme la tech. En Roumanie, je perçois un dynamisme extraordinaire chez les entrepreneuses, mais elles font face à des défis similaires, avec parfois des freins culturels plus marqués. Cependant, je suis optimiste. Les initiatives qui mettent en avant l’entrepreneuriat féminin se multiplient, et les réseaux de soutien, comme ceux que je développe avec RamenTaFraise, sont des leviers puissants pour faire bouger les lignes. La sororité est un atout incroyable dans cette évolution.
Des conseils à donner aux femmes qui souhaiteraient se lancer comme vous dans l'aventure entrepreneuriale ?
Mon premier conseil serait : n'attendez pas d’être prête, parce que vous ne vous sentirez jamais complètement prête. Laissez la perfection de côté et osez vous lancer, même si vous avez encore des doutes. Ensuite, entourez-vous des bonnes personnes. Se lancer seule, c'est difficile, mais en rejoignant des réseaux ou des communautés, comme celles que je propose avec RamenTaFraise, on trouve un soutien, une énergie et des conseils qui font toute la différence. Et enfin, soyez visible ! Partagez vos idées, vos projets, vos réussites. Les opportunités ne viendront pas frapper à votre porte si personne ne sait ce que vous faites. Faites confiance à votre parcours et prenez la place qui vous revient. Vous en êtes capable, et vous le méritez.