A petites doses mais sans répit, un trafic de drogue de proximité empoisonne la vie de quartiers pauvres de Rosario, troisième ville d'Argentine où désormais des enfants tombent aussi sous les balles.
C'est un terrain pelé où chaque foulée dégage un nuage de poussière.
En cette fin mars, les enfants y ont repris leurs droits et tapent un ballon dans un but vide. Avec pour spectateurs des gendarmes mobiles en armes.
Enfin! Car depuis plusieurs jours, les gamins ne sortaient plus à Los Pumitas, quartier d'environ 1.200 foyers aux maisons de brique nue ou de tôle et aux rues sans asphalte. C'est là que le petit Maximiliano, 11 ans, a été tué le 5 mars par une balle perdue pendant une fusillade liée au trafic de drogue.
Sa mort n'a guère eu d'écho dans la presse mondiale, au contraire des balles tirées trois jours plus tôt sur la devanture d'un supermarché appartenant à la belle-famille de Lionel Messi, avec un message mi-menaçant, mi-abscons.
Pas une menace directe, semble penser l'enquête, mais une volonté de donner résonance à un message local, en "utilisant" le nom de la superstar.
Mais Los Pumitas ne s'est pas trompé de faits divers. Le lendemain de la mort de Maximiliano, une foule ulcérée s'en est pris au domicile d'un supposé trafiquant. La police a pu l'exfiltrer, mais les voisins ont méthodiquement démoli la maison, dont la façade, les cloisons, ne sont plus qu'immenses trous béants.
Cinq fois plus d'homicides à Rosario
"Le quartier n'est pas sûr, ne l'a jamais été. Il y a toujours eu des coups de feu. Mais jamais un enfant ne s'était trouvé au milieu", explique à l'AFP un riverain, sans dévoiler visage ni nom. "Le quartier est vraiment indigné. C'est pour ça qu'on s'en est pris aux maisons".
Mais après la catharsis de colère sont venues les menaces. Plusieurs foyers ont reçu une vidéo d'un homme masqué, les enjoignant, "bande de crétins", à "rendre les choses" pillées dans la maison du supposé dealer (électroménager, meubles, etc). "Ou bien (...) tous les jours on va vous laisser un mort". L'auteur présumé de la vidéo, âgé de 19 ans, a été arrêté.
Mais la menace rôde toujours. Comme pèse, depuis plusieurs années, ce trafic de drogue (cocaïne, "paco" ou crack local) à petite échelle, entre bandes locales au territoire ne dépassant "pas plus de quelques pâtés de maisons", assure à l'AFP un député local, Carlos del Frade.
Avec presque un homicide par jour, Rosario est la ville la plus dangereuse d'Argentine: 22 meurtres pour 100.000 habitants, près de cinq fois la moyenne nationale.
Mais les chiffres ne disent pas le quotidien de Los Pumitas, les fusillades régulières, les impacts de balles dans les murs, les vitres...
Luciana Ginga, criminologue à l'Université de Rosario, décrit "des bandes à l'échelle d'un quartier, avec une composante de complicité policière". Mais des bandes "très précaires", loin d'une structure à large échelle.
"Quelques gamins en moto"
Port fluvial géant sur le Parana, Rosario est la porte de sortie d'un agro-export vital pour le pays. Céréales, mais aussi drogue venue de Bolivie, passée par le Brésil ou le Paraguay, vers l'Europe et l'Asie.
La ville s'est peu à peu convertie en plaque tournante du trafic, dont les dividendes ont nourri un boom local de l'immobilier et de biens de luxe, affirme Mme Ginga. Loin des tôles ondulées de Las Pumitas.
"De ce flux de drogue vers d'autres coins du monde reste toujours quelque chose localement, et son négoce s'ancre dans les quartiers à forte vulnérabilité sociale", résume pour l'AFP Claudio Brione, ministre provincial de la Sécurité. Il observe ces derniers temps "une violence inhabituelle entre bandes pour un territoire".
Tirs visant des rivaux, intimidations de commerces aux fins d'extorsion, voire de médias... Les fusillades sont devenues un tel problème qu'une "Unité fusillades" a été créée.
Une de ses procureures, Valeria Haurigot explique à l'AFP que les auteurs sont très souvent identifiés, mais que le phénomène continue car depuis les prisons -où sont régulièrement saisis des téléphones- se commanditent des exactions.
"Et maintenant ?" se demandent beaucoup à Los Pumitas. Que se passera-t-il une fois que les centaines de gendarmes mobiles, déployés début mars par les autorités nationales à grand renfort de communication, quitteront le quartier ?
"A Rosario, il n'y a pas de +milice+ narco. On parle là de quelques gamins à moto, fragiles, avec de graves besoins sociaux. Qui va me dire que c'est insurmontable ?" s'agace Marcelo Antonelli, président d'un petit club de foot, qui subit maintes menaces depuis qu'il a peu à peu arraché des jeunes à la drogue, ou viré des usagers des installations. "Mais on savait, et eux aussi en face, que ce qu'on fait est bien".