Le HSU « Herkunftssprachlicher Unterricht », un cours de langue maternelle gratuit pour les enfants dont la langue maternelle n'est pas l’allemand, existe en Allemagne au sein de douze Länder. À Düsseldorf et Mettmann, le combat mené par quatre femmes a conduit à l’ouverture d’un cours de français langue maternelle.
« HSU », « Herkunftssprachlicher Unterricht », « Cours de langue maternelle ou d'origine ». Autrement dit, un cours de la première à la dixième classe, destiné aux élèves de l’enseignement allemand dont la langue parlée à la maison diffère de l’allemand. On parle aussi de "langue d’origine" voire de "langue d'héritage", soit d’un lien profond avec une langue étrangère héritée des grands-parents, par exemple. En Allemagne, ce droit s’applique à la plupart des Länder, exception faite en Bade-Würtemberg, Bavière, Sachsen-Anhalt et Thüringen.
Ainsi, des cours de langues en italien, ukrainien, syrien,… prévus dans le programme scolaire, sont accessibles à des élèves dont c’est la langue maternelle. Problème : le français ne figure pas sur les formulaires d’inscription. A Düsseldorf et Mettmann, la donne a changé. Le combat mené auprès de l’administration allemande par plusieurs mamans, Céline, Lucie et Bénédicte, soutenues par Saliha Ouammar, Conseillère municipale des Verts à Düsseldorf (Ratsfrau der Landeshaupstadt Düsseldorf, B90/Grüne) et également Conseillère des Français de l’étranger, a permis l’ouverture d’un cours de langue maternelle en français l’automne dernier.
Un droit reconnu par la loi
En 2018, Lucie Freyburger, mère de trois enfants, avait déjà tenté de comprendre pourquoi le français n’était pas pris en compte parmi les langues du HSU. La réponse du Schulamt était sans appel : « Il n’y pas de besoin ».
En 2021, c’était au tour de Céline Schindler dont le fils allait rentrer en première année d’obtenir le même retour et l’étrange sensation de « se cogner contre un mur ». Entre temps, Saliha Ouammar, s’était, elle aussi, confrontée aux mêmes justifications de la part de l’administration allemande. « On s’est rendu compte que leurs excuses étaient à chaque fois les mêmes, raconte Lucie. D’abord, on nous dit que le français n’est pas une langue de migration. Ensuite, qu’il existe le lycée français à proximité et que donc, nous sommes une communauté privilégiée qui peut payer des cours à leurs enfants. Enfin, que le cours de français langue étrangère existe déjà dans les programmes scolaires ».
Il n’y a pas de demande donc pas de besoin
Les réponses ne plaisent pas : « Le lycée français est coûteux et constitue une bulle francophone en dehors du système allemand. Ensuite, un cours de français de langue étrangère n’est pas ce que nous attendons pour nos enfants déjà familiers de la langue », regrette Céline. La énième excuse, « historique », sonnait comme un coup fatal : « il n’y a pas de demande, donc pas de besoin ».
Tout va changer au moment où Céline, grâce à une connaissance travaillant dans un Schulamt voisin, obtient confirmation que le droit au HSU existe pour tous et toutes, y compris pour la communauté francophone. Seule condition : pouvoir faire état d’une demande d’au moins 15 élèves en primaire et 20 élèves en secondaire. A partir de là, Céline rassemble pour Düsseldorf une liste des noms, prénoms, établissements scolaires d’une quarantaine d’enfants ayant un lien avec le français et dont les parents voient l’intérêt de participer à des cours de français langue maternelle. Cette fois, l’administration n’a plus d’autre choix que d’accepter. Le processus est lancé.
Du pouvoir des réseaux sociaux et de la mobilisation de femmes
« Cela a été une belle victoire mais aussi le début d'une suite d'épreuves à surmonter », se souvient Céline. L’administration allemande, opaque et caractérisée par son organisation « en mille-feuille », se montre redoutable par rapport à sa communication, et prévient : il se pourrait que la liste établie dégrossisse et qu’on n’arrive pas à un nombre suffisant pour ouvrir ce cours. En effet, le choix géographique éloigné d’une école qui accueillera les élèves inscrits, et les horaires fixes en heures de travail pourraient rapidement démotiver les parents. « J’ai compris qu’il fallait que je trouve plus d’élèves. J’ai donc partagé l'initiative sur plusieurs groupes Facebook. »
De nombreuses mères réagissent en commentaire, inscrivent leur enfant sur cette liste et Céline comptabilise un total de 135 enfants. Parmi elles, Lucie et Bénédicte la rejoignent dans ce combat et prennent les choses en main pour l’arrondissement de Mettmann. Saliha Ouammar adhère également au mouvement et apporte une aide indispensable grâce à sa position politique et son réseau. Dès lors, un groupe soudé et motivé, prêt à relever tous les challenges, était né.
145 élèves inscrits au cours de français langue maternelle
Cette mobilisation permet d’assurer l’ouverture d’un cours dès la rentrée 2022. Les appels d’offre afin de trouver un professeur de français reconnu par l’administration allemande sont lancés et c’est Charlotte Javanaud, professeure des écoles diplômée en France, qui obtient le poste en août dernier. Une école est également choisie et les horaires définis. Finalement, plusieurs mois après le lancement de la procédure et de multiples obstacles surmontés, 145 élèves débutent les cours fin octobre pour l’arrondissement de Düsseldorf, et en novembre pour celui de Mettmann.
La localisation de l’école, bien que centrale et desservie en transports en commun, n’est pas évidente pour tout le monde, Düsseldorf et le Kreis Mettmann ayant des surfaces étendues. Pour les personnes qui habitent au Nord ou au Sud, ça demande plus de temps. Les horaires ne sont pas non plus faciles pour les parents qui travaillent. Face à ces contraintes, la solidarité s’organise. Céline explique, par exemple, qu’elle partage les trajets avec d’autres parents pour soulager l’emploi du temps de chacun. « C’est une année test, avec les problèmes des débuts. Cependant, il faut rappeler que ce sont des cours gratuits mis à la disposition des familles, et intégrés dans le système scolaire allemand puisqu’ils obtiennent à la fin de chaque semestre, à partir de la 3ème, des notes sur leur bulletin scolaire, et passent, à partir de la 10ème classe, un examen officiel reconnu pour l’ensemble de leur apprentissage », souligne Charlotte.
Dès lors, Charlotte Javanaud enseigne dans sept classes différentes, regroupées par année (1ère et 2ème classe, 3ème et 4ème, et de la 5ème à la 10ème) chaque après-midi du lundi au jeudi à Düsseldorf, et le vendredi à Mettmann. Chaque cours dure trois heures « à l’allemande » (2h15 en tout). A Mettmann, puisque les cours ne sont étalés que sur le vendredi après-midi et afin de respecter au mieux le niveau des élèves et ainsi avoir une meilleure répartition des élèves par tranche d'âge pour cette première année, les cours ne durent qu’1h30. Les élèves des Kreise avoisinants peuvent également assister aux cours dans le Kreis voisin le plus proche offrant ce cours : une offre saisie par les élèves de Neuss qui se joignent aux cours de Düsseldorf.
Depuis qu’elle a commencé les cours, Céleste me demande de lire des livres en français. Et quand on est sur la route, désormais, on chante du Goldman ou du Grégoire - Bénédicte, maman de Céleste
Malgré les multiples contraintes et la relation compliquée avec l’administration allemande pour faire en sorte que les choses avancent, Céline, Lucie et Bénédicte se félicitent de l’évolution fulgurante de leurs enfants après quelques mois de cours seulement : « Depuis qu’elle a commencé, Céleste me demande de lire des livres en français. Et quand on est sur la route, désormais, on chante du Goldman ou du Grégoire », s’enthousiasme Bénédicte. « Mes deux enfants sont transportés par le cours, raconte Lucie en soulignant que son fils a appris ce qu’était la galette des Rois, par exemple. Ça diffère de la pédagogie allemande qui a tendance à vouloir rendre les enfants plus autonomes, là où la pédagogie française les accompagne davantage ». Céline Schindler ajoute : « On remarque que nos enfants commencent à parler français à la maison. Les cours sont aussi très ludiques, vraiment pensés pour des enfants qui évoluent tous les jours avec deux langues. » Toutes trois décrivent ce « déclic » rapide éprouvé par leurs enfants qui retrouvent « cette émulation pour le français » et la culture francophone.
C’est une richesse d’avoir ce multilinguisme, il faut le promouvoir. Il est d’ailleurs prouvé l´apprentissage de la langue maternelle permet une meilleure insertion et une meilleure assimilation de la langue du pays d’accueil. Il faut continuer de valoriser ce qui permet de mieux se comprendre - Saliha Ouammar, linguiste et Conseillère Municipale de Düsseldorf et Conseillère des Français de l'étranger
Aujourd’hui, les quatre mamans voudraient propager ce message d’espoir : « Ce qu’on a développé, c’est quelque chose d’historique. Depuis que le droit au HSU existe, le français n’a jamais été inscrit sur les formulaires d’inscription », remarque Céline. Toutes espèrent que cela servira d'exemple pour d’autres villes en Allemagne et d’autres Länder. « On l’a fait donc c’est possible. Il faut simplement que ça vienne de la mobilisation citoyenne, » prévient Céline. Saliha Ouammar, de son côté, sensibilise également à la question du HSU, les autres conseillers consulaires en Allemagne, les autorités françaises ainsi que les responsables politiques allemands afin de faciliter les procédures pour les parents..
L'équipe de choc a ouvert une adresse mail (hsu.fr.nrw@gmail.com) ainsi qu’un groupe Facebook (HSU Französisch - apprentissage du français pour les élèves francophones) afin d’apporter leurs conseils de partager leurs expériences avec d’autres familles confrontées à l’opacité de l’administration à travers le pays. « C’est une richesse d’avoir ce multilinguisme, il faut le promouvoir. Il est d’ailleurs prouvé que l'apprentissage de la langue maternelle permet une meilleure insertion et une meilleure assimilation de la langue du pays d’accueil. Il faut continuer de valoriser ce qui permet de mieux se comprendre », souligne Saliha Ouammar.
Rien n'est encore gagné
Il s'agit d'une première victoire, mais tout n’est pas encore tout rose. Céline indique que les cours du lundi ont par exemple été supprimés sans préavis ou presque, les élèves répartis sur plusieurs groupes parce qu’il a été imposé une formation obligatoire à Charlotte Javanaud tous les lundis jusqu’à la fin de l’année scolaire. De même, Bénédicte qui craignait que ceux du vendredi ne soient pas reconnus dans le bulletin scolaire car les heures
données étaient en-deçà de ce qui est normalement prévu a finalement eu la confirmation que l’an prochain, le quota d’heures sera le même qu’à Düsseldorf, donc 3 heures par groupe. « Ce qu’on espère, c’est qu’il y ait tellement d’inscriptions l’année prochaine, qu’il faille recruter des professeurs supplémentaires et ajouter des grilles d’horaires », conclut Lucie.
L’aventure continue pour Charlotte, Lucie, Bénédicte, Céline, leurs enfants, et Saliha Ouammar. Les inscriptions pour les cours HSU de l’année prochaine est possible à Düsseldorf jusqu’au15 mars 2023, pour Mettmann, jusqu'au 30 avril. Dans les deux cas, elles se font via le secrétariat de l’établissement scolaire
allemand où les élèves sont inscrits. Pour tous les autres Kreise dans lesquels le HSU n’est pas encore proposé, il convient de prendre le formulaire sur les sites internet des Schulämter dont l’enfant dépend en rajoutant français. Si le nombre minimal est atteint, l’Administration devrait débuter la procédure. Pour être le plus effectif possible et avoir un bon aperçu des avancées, Bénédicte conseille aux parents concernés de se regrouper, comme cela a été fait pour Düsseldorf et Mettmann. « Chaque demande faite à notre adresse mail est transmise aux autres parents du Kreis concerné dès lors que l’accord est donné », précise-t-elle.
Toutes espèrent que les cours de français langue maternelle se normalisent et se développent afin d'en faire profiter le plus grand nombre d'enfants possible !
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