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Le champagne et le rôle central des Allemands, une histoire oubliée

champagne Allemagnechampagne Allemagne
© Pixabay
Écrit par Anaïs Kelly
Publié le 26 décembre 2020, mis à jour le 20 juillet 2024

Le champagne fait la fierté des Français et assure le rayonnement de la France à l’étranger. Mais qui se cache vraiment derrière cette success story tricolore ?

Spiritueux exclusivement produit dans la région du Nord-est de la France qui lui a donné son nom, le champagne est essentiellement élaboré à partir de cépages de chardonnay, meunier et pinot noir. Généralement blanc mousseux, 80 à 85 % des vins issus de la production sont des champagnes bruts, plutôt secs. Mais il en existe différents types qui varient selon les étapes de sa production : pressurage, fermentation, assemblage, dosage et maturation : on compte en tout 17 crus, par exemple le blanc des blancs, le champagne rosé ou encore le millésimé si ce n’est pour en citer que quelques-uns. Aujourd’hui, le champagne est réputé dans le monde entier.

 

Faites sabrer le champagne !

Les premiers vins de Champagne furent consacrés au premier roi de France Clovis au Noël de l’an 496. De 889 à 1825, c’est à Reims, capitale de la région, que les rois de France se firent sacrer. Dès lors, le destin du champagne est lié à la fleur de lys, consacrant à la boisson une valeur de luxe réservée aux grandes occasions. On raconte par exemple qu’une centaine de pintes auraient été écoulées au couronnement du Roi Soleil (Louis XIV) ! Depuis, les bulles pétillent lors des fêtes de famille, grandes réussites ou encore baptêmes de bateaux…. Décidément, pour les Français, toutes les occasions sont bonnes pour festoyer autour du prestigieux vin effervescent.


Qu’en est-il outre-Rhin ?

 

Au 19e siècle, le chancelier Otto von Bismack, qui disait ne pas supporter le vin mousseux allemand, consommait déjà le vin des rois en cachette, à défaut de faire honneur à son patriotisme. Aujourd’hui, si l’Allemagne est l’un des plus grand marché de vins mousseux au monde, le champagne ne représente qu’une maigre partie des centaines de millions de bouteilles écoulées chaque année... Ce n’est pas pour autant que la prestigieuse boisson n’est pas appréciée, bien au contraire : pour la célèbre actrice allemande Marlene Dietrich, « Le champagne te donne l’impression que chaque jour est un dimanche ! »

 

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Mais on dit que les Allemands préfèrent les vins fruités et sucrés, comme le Prosecco italien. Pour la génération de l’après-guerre, marquée par les pénuries mais aussi attachée à la rigueur protestante, se servir une flûte de champagne à n’importe quelle occasion est un luxe exagéré. Le Sekt (vin mousseux) national, s’il est moins prestigieux que le champagne et son appellation d’origine contrôlée, a au moins le mérite d’être moins cher (une bouteille de champagne peut facilement dépasser les 100 euros… tandis que les prix du Sekt sont plus variables et dans tous les cas plus raisonnables)… Mais nous aurons l’occasion de voir que ces deux spiritueux sont intimement liés.

Aujourd’hui, deux tiers des Allemands ignorent que le champagne est produit exclusivement dans la région Champagne en France, selon une étude pour le Comité Champagne pour l'Allemagne et l'Autriche. Décidément, il est grand temps de faire une leçon de rattrapage d’histoire…

 

Une histoire oubliée : les Allemands aux commandes du marché

Il n’y a effectivement plus une seule maison de vin en Champagne qui ne soit plus au moins contrôlée par un Allemand.

 Beaucoup ont oublié que les Allemands ont joué un rôle central dans le succès du champagne. Ces vins existent depuis le Moyen-âge, et on doit l’effervescence au moine bénédictin de l’abbaye de Hautvillers Dom Pierre Pérignon (1668-1715). Mais le champagne n’acquiert son rayonnement international qu’à partir de la fin du 18e siècle, alors que des bourgeois allemands s’installent dans la région.

 

Il n’y a effectivement plus une seule maison de vin en Champagne qui ne soit plus au moins contrôlée par un Allemand

 

Ayant le sens des affaires et un bon niveau en langues étrangères, ces propriétaires de vignes vont révolutionner le marché. Le premier à s’installer est Florenz Ludwig Heidsiek, en 1877. Il sera suivi de nombreux autres compatriotes, les frères Mumm, Johann-Joseph Krug, Joseph Jacob Bollinger, Johann Carl Philipp Koch ou encore William Deutz, si bien qu’en 1857, le consul étasunien de Reims Robert Tomes écrivait « Il n’y a effectivement plus une seule maison de vin en Champagne qui ne soit plus au moins contrôlée par un Allemand. ». Tous ses noms sont bien connus, et la plupart figurent d’ailleurs encore parmi les leaders du marché. De 8 millions en 1850, le champagne passera à 28 millions de bouteilles exportées en 1900.
 

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Il se trouve que les Allemands se portent plutôt bien dans le domaine : lorsqu’ils ne dirigent pas l’entreprise, ils sont associés à un Français, avec qui ils font plutôt bonne équipe. Il est aussi commun d’épouser la fille d’un dirigeant de maison de champagne, afin de reprendre l’affaire une fois ce dernier décédé : Bollinger épousa par exemple en 1837 l’héritière d’un vigneron Louise Charlotte de Villermont, francisant son nom en Jacques-Joseph-Placide Bollinger. Si la plupart de ces familles allemandes s’établissent en France définitivement, certaines retraversent le Rhin pour conquérir le cœur le leurs concitoyens. C’est le cas de Georg Christian Kessler qui retourna en Allemagne après avoir acquis son savoir faire à la maison Clicquot (première maison de champagne a avoir été dirigée par une femme, en l’occurrence la veuve Barbe Nicole Clicquot-Ponsardin, notamment connue pour avoir inventé la « table de remuage », étape clé dans le processus de clarification du champagne). Il fonde alors la première entreprise de « Sekt » en 1826, dans le Wurtemberg.

 

Un véritable Allemand ne peut souffrir les Français, mais il boit leurs vins volontiers

 

« Je veux du vin de Champagne, et qui soit bien mousseux... Un véritable Allemand ne peut souffrir les Français, mais il boit leurs vins volontiers. » - Johann Wolfgang von Goethe dans Faust. 

La guerre franco-prussienne de 1870 installa de toute évidence de grandes tensions entre les deux nations. Les récoltes sont mauvaises, 2 millions de bouteilles sont perdues et les vignobles allemands raillés dans la propagande, alors que ces expatriés francisés ont tant donné à l’industrie du champagne. Des décennies plus tard, et plus précisément en 1919, le « paragraphe champagne » du traité de Versailles interdit tout bonnement aux Allemands, grands perdants de la Première Guerre mondiale, d’appeler leur vin mousseux champagne. Cela n’est d’ailleurs qu’un premier pas avant que le champagne ne soit protégé en 1936 par une appellation d’origine contrôlée (AOC). Depuis 2015, les « Coteaux, maisons et caves de Champagne » sont inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO.
 

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© Capture d'écran YouTube

 


 

Aujourd’hui, bien qu’il ne se consomme qu’aux rares occasions, le champagne continue de séduire les Allemands, quatrièmes importateurs mondiaux avec 12,3 millions de bouteilles de 75 cl en 2018, selon le Comité Champagne.

 

Pour en savoir plus sur le champagne en Allemagne


Musée du vin de Cologne

Weinmuseum Köln e.V.
Amsterdamerstr. 1
50668 Cologne

 

Séminaires sur le champagne chez « Einfach geniessen »

Weinseminare in München
Pestalozzistraße 17, 80469 Munich

 

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