Le Vietnam, reconnu comme un leader mondial de la riziculture, fait face à un défi majeur : concilier productivité et durabilité. Alors que les agriculteurs peinent à tirer profit de leur travail malgré des rendements records, le pays doit repenser son modèle agricole.
Dernièrement, dans une interview accordée à nos confrères de VnExpress, Le Minh Hoan, ministre de l'Agriculture et du Développement rural du Vietnam, a abordé la « malédiction de la culture du riz », un concept décrivant la pauvreté persistante des agriculteurs malgré la forte production de riz du pays.
Il a reconnu que la stratégie axée sur la productivité et la quantité a atteint ses limites. Bien que cette approche ait permis au Vietnam de devenir un grand exportateur de riz, elle a eu des conséquences néfastes, notamment l'épuisement des sols et l'augmentation des coûts de production en raison de l'utilisation excessive d'engrais et de produits chimiques.
Le défi des années 1980
Après la réunification du Vietnam en 1975, le pays s'est lancé dans une course contre la montre pour résoudre le problème alimentaire. Le souvenir du manque de riz était encore vif, alors que le pays devait importer massivement pour nourrir sa population. Les agriculteurs sont devenus des acteurs clés de la relance de la production nationale.
À cette époque, les techniques étaient rudimentaires, et les rendements restaient faibles, avec seulement trois à quatre sacs de riz par hectare. Pour y remédier, le gouvernement a mis en place une série de réformes agricoles, allant de l'amélioration des infrastructures d'irrigation à l'introduction de nouvelles variétés de riz à haut rendement. Des canaux ont été creusés pour drainer les marécages et alimenter les rizières en eau douce.
L’explosion de la production
Grâce aux variétés de riz améliorées et aux politiques de soutien de l'État, la productivité des rizières a explosé dans les années 1980. Les rendements ont augmenté de manière spectaculaire, et en 1986, le Vietnam a exporté son riz pour la première fois. Ce succès agricole a transformé le pays en "grenier à riz". Les agriculteurs ont alors vu leurs revenus augmenter.
Pourtant, derrière ces années de prospérité se cache une autre réalité. Aujourd'hui, la production de riz est plus élevée que jamais, mais les bénéfices des agriculteurs diminuent. Les coûts de production ont grimpé en flèche, et les terres, épuisées par des décennies de cultures intensives, deviennent de moins en moins fertiles. À partir des années 2000, les entreprises agricoles, initialement prospères, ont commencé à décliner après quelques années de production intensive. Les rizières, exploitées sans interruption, se sont épuisées, et les rendements ont baissé malgré l'utilisation massive d'engrais chimiques.
L’heure d’un choix difficile
Aujourd'hui, de nombreux agriculteurs se retrouvent face à un dilemme : continuer à cultiver du riz malgré les faibles marges ou abandonner cette culture, qui a longtemps été la base de leur survie. Malgré une production de riz qui continue d'augmenter, les coûts de plus en plus élevés des intrants, tels que les engrais et les pesticides, absorbent la quasi-totalité des revenus des agriculteurs. Beaucoup ne parviennent plus à couvrir leurs besoins alimentaires. Le rêve d'une vie meilleure, autrefois alimenté par la production de riz, semble s'éloigner.
Alors que le Vietnam célèbre aujourd'hui la reconnaissance internationale de certaines de ses variétés de riz, telles que le ST25, considéré comme l'un des meilleurs riz au monde, les agriculteurs s'inquiètent pour leur avenir. La concurrence internationale, les fluctuations des prix et l'épuisement des terres mettent à mal un secteur autrefois florissant. Si le riz vietnamien occupe désormais une place de choix sur les marchés internationaux, il semble que les principaux acteurs de cette réussite, les agriculteurs, n'en récoltent plus les fruits.
Un modèle à réinventer
Le défi pour l'avenir est de trouver un équilibre entre productivité et durabilité, afin que la riziculture, qui a permis de sortir des millions de Vietnamiens de la pauvreté, continue de prospérer sans épuiser les ressources naturelles et humaines. Pour cela, des réformes sont nécessaires, tant au niveau des pratiques agricoles que des politiques de soutien aux agriculteurs.
Le ministre de l'Agriculture a souligné dans l’interview :
« En d'autres termes, tous les soutiens pour atteindre l'objectif : réduire les coûts, augmenter la qualité des produits et diversifier, afin d'aborder le marché de manière plus proactive, apportant une valeur plus élevée. »
Il insiste sur l'importance de la coopération entre les agriculteurs, les coopératives et les entreprises pour structurer une économie agricole plus moderne, où la production est mieux organisée et les valeurs ajoutées mieux partagées.
Une meilleure protection de l’environnement
Le Minh Hoan appelle également à un changement de mentalité :
« Si l'agriculture veut changer, les agriculteurs doivent changer. Les agriculteurs changent, les fermes changent. De nombreuses fermes changent, l'agriculture changera. Si vous voulez que les agriculteurs changent, il n'y a pas d'autre moyen que de faire connaître les agriculteurs. »
Il affirme que les agriculteurs doivent acquérir de nouvelles compétences et technologies, tout en adoptant des méthodes de production plus respectueuses de l'environnement. Il propose de renforcer la coopération entre l'État, les agriculteurs et les entreprises pour une meilleure gestion des ressources, en évoquant également des initiatives comme la location de terres pour améliorer les petites exploitations.
Enfin, il évoque des projets de riziculture durable, à faible émission de carbone, pour répondre aux nouvelles attentes du marché et protéger l'environnement.