Certaines causes de mort, fréquentes en Inde, peuvent sembler surprenantes aux yeux des visiteurs d'Europe, où elles restent exceptionnelles. Électrocutions, noyades... sont en effet monnaie courante et emportent chaque année des milliers d'Indiens. Des tragédies que le gouvernement travaille à prévenir.
Le Bihar est un État largement ignoré par la communauté des expatriés : on y trouve très peu d’Européens ou d’Américains. Pourtant, le Bihar est le troisième État le plus peuplé de l'Inde, avec une population presque deux fois supérieure à celle de la France.
Le 12 juillet 2024, dans cet État de l'Est du pays, au moins 21 personnes sont mortes foudroyées en l'espace de 24 heures.
Et rien qu'en septembre, pendant les célébrations du Jitiya, 46 personnes, dont 37 enfants, se sont noyées en l'espace de deux jours dans des incidents distincts.
Ironiquement, le Jitiya ou Jivitputrika est un festival dédié aux enfants. Cette fête hindoue, qui dure trois jours, revêt une grande importance au Népal ainsi que dans certains États indiens voisins, tels que le Jharkhand et le Bihar. Le dernier jour du festival, les mères jeûnent pendant 24 heures sans boire d’eau, tout en offrant des prières pour le bien-être et la longue vie de leurs enfants. Au lever du jour, elles prennent un bain sacré avec leurs enfants avant de partager la nourriture préparée dans chaque foyer.
Ce jeûne et ce bain sacré représentent pour les mères une façon d'exprimer leur dévotion et leurs soins envers leurs enfants, mais cette année, la fête a tristement pris fin de manière tragique.
Événements naturels et forces de la nature : la foudre et son effet dévastateur
En 2022, 2 886 personnes ont perdu la vie en Inde à cause de la foudre. En comparaison, en Europe, le nombre de décès annuels est d'environ 60. Cette différence marquée avec les pays développés souligne l'importance de mesures de sensibilisation et de prévention qui permettent de réduire les décès dus à la foudre.
En août 2024, dans l'État du Madhya Pradesh, 80 personnes ont été tuées après qu’une forte mousson a été suivie d'un été particulièrement chaud. Ces conditions climatiques ont favorisé une hausse des coups de foudre, augmentant ainsi les risques mortels.
La multiplication des orages et des épisodes de foudre est l'une des conséquences du réchauffement climatique, et l'Inde connaît une nette augmentation de ces événements. Des recherches ont montré que la pollution, la déforestation et l'industrialisation — parmi d'autres facteurs favorisant les événements naturels destructeurs — contribuent également à la hausse des impacts de foudre.
La grande majorité des victimes de la foudre en Inde proviennent des zones rurales.
En effet, seuls 4 décès sur 100 dus à la foudre surviennent en milieu urbain. Les régions avec de grands arbres et des plans d'eau sont particulièrement vulnérables. Les zones urbaines, quant à elles, possèdent moins d'arbres et davantage de paratonnerres, ce qui explique en partie pourquoi la foudre y est un danger moins préoccupant.
Les principales victimes de la foudre sont les éleveurs de bétail, les agriculteurs, les ouvriers, les membres de tribus et autres travailleurs manuels vivant dans les petites villes et villages de l'Inde rurale. Mais les impacts de la foudre ne se limitent pas aux pertes humaines : elle entraîne également des pertes de bétail, des interruptions dans les services publics, et des pertes économiques globales significatives.
Quelles sont les mesures prises par les autorités ?
Le problème de la foudre en Inde est si répandu qu’en 2019, le gouvernement a lancé la « Campagne pour une Inde résiliente à la foudre ». De nombreuses mesures ont été adoptées, certaines très simples mais efficaces. Par exemple, les autorités de gestion des catastrophes de l'État d'Odisha ont instauré des restrictions sur l'abattage des palmiers, considérés comme des paratonnerres naturels. D'autres États, également fortement touchés par les décès dus à la foudre, ont lancé des programmes de plantation d'arbres pour créer des barrières naturelles.
La science a également été mise à contribution : le Centre national de télédétection de l'Indian Space Research Organisation (ISRO) s’est vu confier la mise en place d’un système de détection et d’alerte précoce pour avertir des risques de foudre.
Grâce aux efforts conjoints des institutions gouvernementales, des ONG locales et au soutien des instituts de recherche scientifique, bien que le nombre total de décès reste en augmentation en raison de la recrudescence de la foudre, le nombre de décès proportionnellement au nombre d'impacts a été réduit d'un quart.
Ce qu’il faut faire et ne pas faire face à un orage à la campagne
Pour ceux qui voyagent en milieu rural, il est essentiel de suivre les recommandations des autorités concernant les comportements à adopter en cas d’orage. S’abriter sous un arbre ou rester à découvert peut être fatal. La meilleure option est de trouver refuge dans un bâtiment traditionnel, si aucun autre abri n'est disponible à proximité. Si vous êtes à l’extérieur, cherchez le point le plus bas ou un creux dans le sol et asseyez-vous sur un tapis, les genoux repliés contre vous.
Si vous voyagez en groupe, dispersez-vous et évitez de vous accroupir ensemble. Maintenez une distance de sécurité, la tête baissée, les yeux fermés et les oreilles couvertes.
Enfin, lorsque le tonnerre gronde, la règle d’or est de « rentrer à l’intérieur ».
L’électrocution comme danger dans les zones urbaines
Si mourir par la foudre est un danger majeur dans les zones rurales, l’électrocution est la némésis des citadins. La principale différence réside dans le fait que l’électrocution est causée par des erreurs humaines et entraîne donc des poursuites judiciaires.
Le National Crime Records Bureau (NCRB), agence gouvernementale qui enregistre, collecte et analyse les crimes et informations criminelles en Inde, a déclaré dans son rapport annuel que chaque jour, 34 personnes meurent par électrocution en Inde. Dans le seul État du Tamil Nadu, sept personnes meurent chaque jour après avoir marché sur des câbles aériens tombés au sol.
Certains accidents peuvent aussi provoquer la mort de nombreuses personnes. L’un de ces événements tragiques s’est produit en 2022 dans le district de Thanjavur, lorsqu’un camion, transformé en char tiré par des fidèles lors d’une procession religieuse, a heurté un câble à haute tension en route vers le temple. Onze personnes ont été tuées sur le coup, et quinze autres ont souffert de blessures de gravité variable.
La Haute Cour du Jammu-et-Cachemire et du Ladakh à la tête de la lutte contre les électrocutions
Les décès par électrocution sont devenus si fréquents que la Haute Cour du Jammu-et-Cachemire et du Ladakh a souligné, dans une décision d’avril 2023, que "les décès dus à l'électrocution […] sont ignorés comme de simples accidents. Les réglementations statutaires sont bafouées en toute impunité". En réponse, cette même Haute Cour a constitué un comité chargé de faire respecter "dans la lettre et dans l’esprit" la réglementation établie par le Règlement de l'Autorité centrale de l'électricité (Mesures relatives à la sécurité et à l'alimentation électrique), 2010.
En 2023, dans le cas d’un enfant de 13 ans décédé par électrocution, la Cour a appliqué le principe de "responsabilité absolue" pour condamner la compagnie d'électricité en défaut et a accordé une compensation financière à sa mère survivante. Ce concept de responsabilité absolue, énoncé par la Cour suprême dans l'affaire M. C. Mehta contre Union of India du 20 décembre 1986, impose une responsabilité stricte sans exception, dégageant le demandeur de l’obligation de prouver la négligence. Ce principe a été confirmé par la Cour suprême dans l'affaire Madhya Pradesh Electricity Board contre Shail Kumari & Ors, du 11 janvier 2002. En 2023, la Haute Cour du Jammu-et-Cachemire s'est donc appuyée sur ces deux précédents pour octroyer une compensation à la mère de l'adolescent électrocuté.
Cependant, il reste beaucoup à faire pour que les compagnies d'électricité assument véritablement leurs responsabilités en matière de sécurité.
La noyade comme crise sanitaire
Combien d'Indiens connaissons-nous qui sont de bons nageurs ? Dans un pays entouré d'eau, doté d'innombrables rivières, lacs et étangs, ces nageurs sont pourtant étonnamment rares.
En France, les cours de natation sont obligatoires dès l’école primaire pour la plupart des écoliers, mais en Inde, le type d’infrastructure nécessaire à de tels programmes est quasi inexistant. Cela n’empêche cependant pas le frisson d’une bonne baignade de rester bien vivant au sein d’une population aussi jeune.
L’Inde n’est pas la seule à négliger la noyade comme cause de décès
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) organise une "Journée de prévention de la noyade" à l’échelle mondiale depuis 2023. L'OMS a identifié la noyade comme la troisième cause majeure de décès non intentionnels et mène depuis plusieurs années une campagne internationale pour en réduire le nombre.
Chaque heure, 42 personnes meurent par noyade dans le monde, dont 82 000 enfants âgés de 1 à 14 ans chaque année. Ces chiffres alarmants ne reflètent toutefois pas toute l’ampleur du problème, qui est souvent sous-évalué. En effet, les décès par noyade lors de catastrophes naturelles, comme les tsunamis et les inondations, ne sont pas inclus dans le bilan mondial, pas plus que les noyades liées aux transports, notamment celles des migrants tentant de traverser rivières et océans.
Les noyades non accidentelles, qu’elles soient dues à un suicide ou à un homicide, ne sont pas non plus comptabilisées dans ces statistiques, laissant un nombre réel de victimes bien plus élevé que les chiffres officiels.
Les défis en Inde
La noyade est un problème mondial, mais elle est particulièrement accentuée dans les pays en développement. L’Inde présente des caractéristiques uniques qui rendent cette situation encore plus préoccupante. Prenons l'exemple de notre ville, Chennai.
Pendant les heures de pointe et les jours fériés, la plage principale de la ville, Marina Beach, attire environ 200 000 visiteurs, ce qui représente un énorme défi pour les sauveteurs et la sécurité côtière, car la plupart des gens ne savent pas nager.
À titre de comparaison, l'autre plage comparable en taille à Marina Beach est la célèbre Bondi Beach en Australie. Au plus fort de l’été, environ 40 000 personnes se rassemblent sur cette plage doté d'un système de sauvetage impressionnant.
Sur un tronçon un peu plus vaste, les 14 kilomètres reliant Marina Beach à Neelankarai, on a enregistré 500 décès en 10 ans. En comparaison, cette portion de la côte ne représente que 1 % de la côte de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie. Pourtant, on comptabilise 20 % de décès de plus sur ce tronçon de côte à Chennai que sur toute la côte de cet Etat australien.
Comment faire dans l’avenir ?
La résolution du problème de la noyade demandera du temps et des efforts. En attendant, différents pays ont adopté des approches distinctes pour s'attaquer à cet problème.
Au Vietnam, un programme national de prévention de la noyade a été introduit dans les écoles. En Australie, le gouvernement s'est concentré sur la promotion de la sécurité aquatique en première ligne de plage, notamment en augmentant le nombre de sauveteurs et de patrouilles maritimes.
En attendant la mise en place d'un programme national en Inde, certaines solutions peu coûteuses peuvent contribuer à prévenir les accidents. L'utilisation de barrières stratégiques autour des zones aquatiques, l'apprentissage des compétences de base en natation pour les enfants et la mise à disposition de dispositifs de flottaison sont autant de mesures possibles.
La noyade représente un fardeau considérable pour la société, et toute initiative est la bienvenue, car chaque vie humaine est précieuse.