Pour tous ceux nés avant les années 2000, quand on dit Malabar on pense tout de suite ''quand il y en a marre il y a Malabar'' le fameux slogan de la marque française de chewing-gums du même nom lancée en 1959 par Kréma. Nous disons ceux nés avant 2000 car en 2011, le célèbre type en teeshirt jaune a été remplacé par le chat Mabulle. Mais saviez-vous d'où vient le terme ''malabar'', expression populaire pour désigner un homme grand et fort ?
Avec l'abolition de l'esclavage en 1848 la France et ses colonies manquent de main-d'œuvre. À la Réunion, on recherche notamment des dockers et des travailleurs agricoles pour les plantations de cannes à sucre. On décide donc de faire venir des Indiens de la côte de Malabar qui s'étend de Goa au cap Comorin, à l'extrême sud du Tamil Nadu. Ce sont ces malabars, comme on les appelle en français, qui seront d'ailleurs à l'origine de l'actuel groupe ethnique malbar de l'île de La Réunion. Les malabars du 19ème siècle ont apporté avec eux un savoir-faire utile car nombre d'entre eux avaient déjà travaillé pour la couronne britannique (Kerala, Karnataka) ou pour les Portugais (Goa) dans des plantations ou dans les grands ports commerciaux de Goa, Calicut ou Cochin. On pense que ces ouvriers indiens ont suffisamment impressionné les habitants de l'île pour que le terme de malabar soit devenu un synonyme de force et soit utilisé pour désigner un homme costaud.
Mais il n'y a pas que les Français qui semblent avoir été marqués par les aptitudes particulières des habitants de la côte de Malabar. Les Portugais auraient eux été impressionnés par les spectacles des malabars et auraient rapporté dans la péninsule ibérique le terme ''malabarista'' qui désigne un jongleur.
Enfin, on ne peut manquer de rappeler le poème de Baudelaire '' À une Malabaraise'', qui évoque une belle servante d'un comptoir français en Inde du sud qui rêve de se rendre en France :
Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est Large à faire envie à la plus belle blanche ;
À l'artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître,
Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars !