Sur la presqu’île de Gallipoli se dresse face à la mer le Mémorial des Martyrs des Dardanelles (Çanakkale Şehitliği ve Şehitler Abidesi), une arche colossale posée sur quatre titanesques piliers de granit pour honorer la mémoire des soldats disparus dans ce que l’Histoire surnommera le "cul-de-sac" de la mort. Quant au cimetière militaire français, il se trouve un peu plus loin, à SeddülBahir, dans la Baie de Morto, où avaient débarqué les Français et les Anglais.
La bataille des Dardanelles ou bataille de Gallipoli opposa, du 25 avril 1915 au 9 janvier 1916, les forces françaises et britanniques à celles de l’Empire ottoman et se solda par la défaite des Alliés. Pour les Turcs, par contre, cette dernière victoire de l’Empire ottoman, où émergea la figure de proue de Mustafa Kemal, le futur Atatürk, commandant de la dix-neuvième division d’infanterie, - célèbre pour la directive donnée à ses soldats : "Je ne vous ordonne pas seulement de combattre, je vous ordonne de mourir"-, est considérée comme le tournant historique qui ouvrit la voie à la fondation de la république laïque.
Pour les Poilus d’Orient survivants, l’enfer des Dardanelles se doubla de la déception de devenir ceux que les historiens surnommèrent "les oubliés de la victoire", leur dramatique expérience ayant été ensuite un peu éclipsée par les effroyables tragédies de Verdun ou du Chemin des Dames. C’est une raison de plus pour effectuer un pèlerinage sur la sépulture des "Dardas" et rendre hommage à leur sacrifice…
Cette terre encore hérissée de forts, dans laquelle les paysans trouvent toujours des balles et des ossements en labourant les champs, engloutit environ deux-cent mille hommes (chiffre estimé englobant les soldats tombés au front mais aussi ceux décimés par la dysenterie et la typhoïde…), Britanniques, Australiens, Néo-Zélandais, Français, et Ottomans venus de tous les pays de l’Empire. Après la signature du Traité de Lausanne, les Anglais et les Français demandèrent l’autorisation de construire des cimetières pour leurs victimes ; quant au monument turc, commencé en 1954, il mit longtemps à sortir de terre et ne put être inauguré qu’en 1960, grâce aux dons de particuliers.
Le cimetière français de Seddülbahir est dominé par une tour lanterne commémorative à trois étages, se dressant au-dessus des flots, où ont été gravés des vers de Victor Hugo :
"Gloire à notre France éternelle,
Gloire à ceux qui sont morts pour elle,
Aux martyrs, aux vaillants, aux forts,
A ceux qu’enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple
Et qui mourront comme ils sont morts…"
Toujours entretenu par la France, il regroupe les tombes de deux mille deux cents trente-six soldats français et coloniaux identifiés et les restes de vingt mille Poilus d’Orient inconnus, répartis dans quatre ossuaires. On peut y lire aussi la plaque commémorative des six-cent quarante-huit marins du cuirassé Bouvet, engloutis dans les eaux par une explosion de mine.
En 1934, Atatürk rendit un émouvant hommage aux soldats de toutes les nations tombés à Gallipoli : "Pour nous, il n’y a pas de différence entre les Johnny et les Mehmet qui reposent maintenant côte à côte, ici, dans notre pays... Vous, les mères qui envoyèrent vos fils de pays lointains, essuyez vos larmes. Vos fils reposent maintenant parmi nous et ont trouvé la paix. Après avoir perdu la vie sur ces terres, ils sont aussi devenus nos fils…"
Ne quittez pas la ville sans avoir goûté à ses spécialités : les sardines grillées, les moules et le fameux Halva de fromage sucré (peynir tatlisi). Quant aux achats, sachez que Çanakkale est connu pour sa délicieuse huile d’olive et son fromage blanc d’Ezine. Et si vous disposez d’un peu plus de temps, n’oubliez pas que dans les environs se trouvent le site de Troie, la cité antique d’Assos avec les vestiges de Hiérapolis et le pittoresque village ottoman d’Adatepe, fameux pour ses anciennes maisons en pierre de taille…