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La longue marche de l’Indonésie sur le chemin de la démocratie - Part. 2

Voici la suite de notre article d'hier consacré à la rétrospective des présidents indonésiens.

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Rétrospective des présidents indonésiens
Écrit par Michel Larue
Publié le 13 décembre 2023, mis à jour le 28 octobre 2024

B.J. Habibi : Reformasi et modernisation

Bacharuddin Jusuf Habibie ou B.J Habibie a commencé une brillante carrière d’ingénieur aéronautique en Allemagne. Il était convaincu que les principaux secteurs garantissant des gains importants de productivité n’étaient pas les secteurs traditionnels comme l’agriculture ou l’extraction de ressources naturelles mais les industries de pointe. Pour mettre en œuvre cette doctrine il a cumulé les postes de ministre de la Recherche, de l’industrie, de directeur d’un institut de recherche, le BBPT, mais également celui de directeur des principales industries technologiques comme l’aéronautique ou la construction navale. Il a eu ainsi toutes les cartes en main pour développer le pays en le modernisant. 

Si B.J. Habibie n’est pas resté longtemps au pouvoir, il a pris, durant son mandat, plusieurs décisions courageuses dont les effets ont été capitaux. Tout d’abord, avec l’aide et le soutien de l’armée il a restauré et maintenu la paix civile. Ensuite, bien qu’issu lui-même de la période d’ordre nouveau, il a entamé la rupture avec ce régime en brisant la limitation à trois partis politiques au parlement imposée par Suharto, favorisant l’éclosion de dizaines de mouvements. Pour accompagner cette ouverture politique, il a libéré la presse précédemment muselée par le pouvoir. Sur le plan international, il a organisé le référendum d’autodétermination au Timor Oriental, qui allait conduire à son indépendance sous le nom de Timor Leste. Il a enfin organisé les élections générales, toujours par le parlement, qui ont élu Abdurrahman Wahid, familièrement appelé Gus Dur. 

 

Gus Dur : la sagesse au pouvoir

Les élections générales de 1999 ont toujours été effectuées par le parlement. Le parti arrivé en tête a été le PDIP, Parti Démocratique Indonésien de Lutte dirigé par Megawati, fille de Soekarno, ce qui lui vaut le nom de Megawati Soekarnoputri. 

Rappel, le PDI était l’un des trois partis au parlement, dont il formait une partie de « l’opposition ». Quand Suharto, trouvant cette opposition trop opposée, a décidé de nommer un nouveau président, Megawati a décidé d’entrer en lutte en rajoutant ce dernier P, signifiant Perjuangan, ou de lutte et devenant le PDIP. 

Bien qu’arrivée en tête, Megawati n’a pas été désignée comme présidente, mais seulement vice-présidente, à la suite de manœuvres des partis musulmans qui lui ont préféré Gus Dur. Celui-ci est une figure musulmane respectée, issu de NU, Nahdlatul Ulama ou Renaissance des Oulémas, une organisation musulmane modérée revendiquant plus de 100 millions de membres. 

Bien que souffrant de deux handicaps, Gus Dur en effet était partiellement aveugle et ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant, il a imprimé plusieurs réformes essentielles. Il a très largement décentralisé le pays, octroyant des pouvoir et des moyens élargis aux provinces et aux districts, kabupaten, dont les assemblées et les dirigeants seront désormais élus. Souhaitant mettre un terme à la rébellion qui ensanglantait la province d’Aceh, au Nord de Sumatra, il leur a octroyé le droit d’utiliser la loi coranique, la Sharia. 

C’est sous son mandat que seront initiées les modifications de la constitution par une commission du parlement visant à rendre plus démocratique la vie politique. Les deux les plus spectaculaires furent de supprimer les postes réservés à l’armée au parlement qui sera désormais constitué seulement de membres élus. De plus, le président sera élu au suffrage universel direct. Ces réformes ne prendront effet qu’après 2002. 

 

Megawati : Soekarno, le retour

À cause de la gestion brouillonne de Gus Dur, le parlement qui l’avait élu l’accusa, sans doute à tort, de corruption. Le 23 juillet, il signa un décret de dissolution des chambres alors que celles-ci le mettaient en situation d’impeachment. Une fois encore, c’est l’armée, avec laquelle ses relations avaient été compliquées, qui a pacifiquement pris le parti du parlement. Gus Dur démissionna et  la vice-présidente, Megawati devint présidente. 

Quelle revanche pour cette femme qui avait passé une partie de son enfance au palais présidentielle avant d’en être chassée en même temps que son père. Son accession à la fonction suprême a marqué plusieurs ruptures. Qu’une femme dirige le pays abritant la plus grande population musulmane a été largement souligné. L’arrivée au pouvoir de la fille du fondateur de la République, Soekarno à qui la population vouait une réelle affection, a été vécue par les Indonésiens comme signant réellement la fin de l’ordre nouveau. Le courage dont elle avait fait preuve en s’opposant à Suharto lui assurait un capital de sympathie.

Son mandat, soutenu par son cabinet, dit de Gotong Royong, expression signifiant cabinet de Coopération mutuelle, a permis de pacifier les relations entre les différentes sources de pouvoir : législatif, judiciaire, mais aussi l’armée et la police. Sa décision peut-être la plus spectaculaire aura été de créer la Commission pour l'éradication de la corruption, KPK. Cette commission est dotée de pouvoirs élargis. Son mandat sera marqué par les attentats de Bali en octobre 2003 à la suite desquels elle nommera Susilo Bambang Yudhoyono ministre de la Sécurité.

Après avoir quitté le pouvoir, elle conservera, jusqu’à aujourd’hui la présidence de son parti, le PDIP, ce qui lui confère un pouvoir, une autorité et une influence sur la vie politique indonésienne. 

 

SBY le premier président élu au suffrage universel 

L’élection de 2004 sera la première de l’histoire du pays à se dérouler au suffrage universel. Elle a opposé la présidente sortante, Megawati et son ministre de la Sécurité, Susilo Bambang Yudhoyono, familièrement appelé par ses initiales, SBY. Chacun des candidats a abordé la campagne différemment. Alors que Megawati a œuvré pour établir des accords électoraux avec les différents partis, devant lui assurer une majorité, négligeant le fait que les partis ne sont pas propriétaires des voix de leurs électeurs, SBY a mené une campagne dirigée vers le peuple et les problèmes qu’il endurait : pauvreté, chômage, santé, sécurité, appuyé par son parti, le Parti Démocrate. Cette stratégie lui sera bénéfique et il sera élu en octobre 2004. Son vice-président était Jusuf Kalla, un homme d’affaires influent originaire de Sulawesi. Il jouera un rôle essentiel pour apporter au président la majorité nécessaire au parlement pour mener sa politique. 

SBY lui laissera de grandes responsabilités avec un réel partage du pouvoir. C’est notamment lui qui négociera l’arrêt des hostilités à Aceh, après que le tsunami du 26 décembre 2004 aura dévasté une grande partie de la province. 

À part le drame causé par le tsunami et plusieurs autres catastrophes naturelles, on peut retenir des deux mandats de SBY une lente consolidation de l’exercice démocratique du pouvoir que n’ont pas entamé les problèmes inter-religieux. 

 

Jokowi un bâtisseur au pouvoir

Les élections de 2014 ont vu s’affronter seulement deux candidats, conduisant à un seul tour. Prabowo Subianto contre Joko Widodo. 

Jokowi Joko Widodo ou Jokowi comme il est familièrement appelé, est issu d’une famille pauvre de Surakarta. Né le 21 juin 1961 il a passé son enfance dans des bidonvilles illégaux le long de la rivière Solo. Son père étant un modeste vendeur de bois, c’est seul qu’il réussit à s’inscrire à l’université Gajah Mada de Yogyakarta d’où il sort en 1985 avec un diplôme d’ingénieur forestier. Il travaillera plusieurs années pour l’entreprise d’état de pâte à papier qui l’enverra dans la région d’Aceh, au nord de Sumatra. Revenu à Surakarta, il crée une entreprise de meubles dont le succès s’affirme tant sur le marché intérieur qu’à l’exportation. L’un de ses premiers clients a été un Français, Bernard Chene qui est connu pour avoir donné son surnom, Jokowi, au futur président, avec le succès que l’on connait.

Fort de ce succès, il est invité à présider l’association nationale professionnelle des fabricants de meubles. En 2005, alors qu’il est un cadre modeste du PDIP, il devient maire de Surakarta. Il y développera son style fait d’attention aux plus démunis, associé à une sincère mais ferme humilité toute javanaise. Il développera son habitude des visites impromptues ou blusukan. Signe de son succès, c’est avec plus de 90% des voix qu’il est réélu en 2010. Il ne terminera pas son mandat, appelé à candidater au gouvernorat de Jakarta qu’il gagne en 2012. Luttant avec son vice-gouverneur, Basuki Tjahaja Purnama, ou Ahok, il lutte contre la corruption dans l’administration et son inefficacité. Il lancera des grands projets, visant à améliorer la vie quotidienne des habitants comme le dragage des canaux pour réduire les inondations, le métro et les transports publics ainsi que la mise en place d’un système de protection sociale.

Il est appelé à candidater à la présidence de la République en 2014 avec Jusuf Kalla, qui avait déjà été le premier vice-président de SBY, comme colistier. 

Élu président, il se concentrera sur plusieurs chantiers : la santé et l’éducation et les infrastructures. Il apportera un soin particulier à faire bénéficier toutes les provinces de la modernisation du pays. Le plus grand de ses chantiers sera peut-être le déménagement de la capitale à Nusantara, chantier seulement dans sa phase initiale.  

Sur le plan international, il a largement contribué à remettre l’Indonésie sur la carte. Cela a été démontré notamment quand le pays a assumé avec brio la présidence du G20. Dans le monde actuel alors que s’exacerbent les antagonismes, il renouvelle l’esprit de non-alignement de Bandung au sein de ce que les commentateurs appellent le Sud Global. 

 

 

Ainsi, sept présidents se sont succédés à la tête de la république, chacun avec sa personnalité, mettant en œuvre son expérience et ses convictions face aux circonstances imposées. Par-dessus tout, ce qui caractérise cette période, c’est l’attachement du peuple indonésien à l’évolution de leur pays. 

Chaque élection inaugure un virage, celle qui aura lieu le 14 février, même si, devant la réussite de Jokowi, les trois candidats ont déclaré vouloir poursuivre les actions en cours.

 

Retrouvez tous les articles consacrés aux élections dans l'onglet dédié sur notre une : "Elections indonésiennes 2024".

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