Édition internationale

Afrique du Sud : entretien avec Amélia Lakrafi, députée des Français de l'étranger

Le petitjournal.com a eu le privilège d’avoir un long entretien avec Madame Amélia LAKRAFI, députée de la dixième circonscription des Français établis à l’étranger, à l’occasion de sa visite en Afrique du Sud, et avec Madame Sophie BEL, Consule Générale de France au CAP

Amélia LAKRAFI au CAP Amélia LAKRAFI au CAP
Écrit par Philippe Petit
Publié le 20 février 2025, mis à jour le 24 février 2025

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la députée, à l’occasion de votre visite en Afrique du Sud, vous avez prévu de rencontrer les Français installés à CAPE TOWN. Pouvez-vous vous présenter, pour qu’ils vous connaissent mieux, et nous expliquer votre rôle et vos objectifs pour ce troisième mandat ?

Amélia LAKRAFI :  Je suis députée depuis juin 2017, et j’ai l’honneur de rayonner sur une immense circonscription qui comprend 49 pays, du Ghana au Sultanat d’Oman, et du Liban à l’Afrique du Sud. Cela représente 80 % de l’Afrique, les pays du Golfe et de l’Océan Indien. C’est un territoire immense, 150 000 Français y sont enregistrés. L’INSEE estime qu’ils sont 300 000 à y être installés.

Une députée, élue de la Nation, représente tous les Français, même si elle est attachée à un territoire particulier. Les députés votent les lois, et pour moi notamment celles qui intéressent les expatriés, ils votent le budget et ils contrôlent l’action du gouvernement.

Je représente les Français installés à l’étranger, je défends donc leurs intérêts, je relaie ce qui va et ce qui ne va pas pour nos compatriotes vivant loin de France. Et, comme les autres députés ayant ce statut, j’ai un rôle important dans la diplomatie parlementaire, en étant un liant entre les pays de ma circonscription et la France. En qualité de législateurs, notre parole est d’ailleurs plus libre que celle de l’exécutif ou celle des diplomates, et nous évoluons dans une sphère complémentaire qui a une grande importance, dans notre pays où il y existe une vraie séparation des pouvoirs.

Mes objectifs sont de continuer ce que j’ai commencé :

  • rendre plus visibles nos compatriotes à l’étranger, les valoriser pour ce qu’ils sont,  faire comprendre leurs multiples raisons d’avoir quitté leur pays d'origine, faire savoir par exemple que la plupart des français installés dans les pays de la circonscription sont extrêmement investis pour ceux qui se trouvent en difficulté ;
  • continuer à œuvrer pour la mise en place de textes et initiatives portant sur la protection de nos compatriotes, notamment les femmes
  • continuer à valoriser et soutenir  les entrepreurs français, grandes entreprises, plus petites, ou indépendantes
  • mettre en lumière les actions des Français, très implantés et intégrés dans les pays de cette circonscription , grâce à leurs réseaux, leurs groupements, leurs activités

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la Consule Générale, vous êtes arrivée au Cap en septembre 2023, pouvez-vous également vous présenter, et nous expliquer votre rôle et vos objectifs pour cette mission en Afrique du Sud ?

Sophie BEL : Je suis diplomate de carrière, je travaille pour le Quai d’Orsay depuis une quinzaine d’année. Il s’agit de mon troisième poste à l’étranger, après le Sénégal et la Jordanie, mais de mon premier poste comme Consule générale.

Mon rôle, en tant que Consule générale, est tout d’abord d’offrir un service public de qualité aux Français de ma circonscription, de soutenir et protéger la communauté française sur place, en cas de besoin, mais aussi de représenter la France localement.

Ma circonscription couvre les trois provinces du Cap, ainsi que l’Île de Sainte Hélène où se trouve l’héritage napoléonien que nous devons préserver. 3.000 Français sont inscrits au registre consulaire et ce nombre croît.

Mes objectifs, pour cette mission, sont :

  • d’assurer un service de proximité pour les Français, résidents ou de passage (touristes) dans la circonscription
  • d’entretenir de bonnes relations avec les autorités locales, dans une des provinces les plus dynamiques du pays, en lien étroit avec l’Ambassade à Prétoria
  • de soutenir les entreprises françaises en identifiant des opportunités ou en favorisant des mises en relation
  • de faire rayonner la France et ses valeurs, notamment à travers notre lycée et nos Alliances.

Le terme « Générale » attaché à ma fonction de Consule est important, car cela signifie que mon travail s’étend au-delà de la matière consulaire pour embrasser également les sujets liés à la politique, la coopération, l’économie. Mon travail prolonge celui effectué par l’ambassade à Pretoria.

 

 

Amélia LAKRAFI au Cap, avec les entrepreneurs français

 

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la députée, comment situez-vous l’Afrique du Sud parmi les pays très variés situés dans votre circonscription, dont certains sont très développés et d’autres sont largement moins avancés ?

Amélia LAKRAFI : L’Afrique du Sud est plutôt un pays très développé, avec une bonne note dans le « doing business », avec des infrastructures qui n’ont rien à envier aux nôtres. On n’a pas vraiment l’impression d’être en Afrique, ni de voir ce que l’on voit d’habitude dans d’autres pays du continent. Même si je conviens que cela change quand on quitte les grandes villes. C’est vraiment la première chose qui marque en arrivant en Afrique du Sud.

Cape Town est le lieu où on ressent le plus cette impression, avec les multiples sièges régionaux des grandes entreprises nationales ou multinationales.

Les sociétés Françaises sont très présentes ici. Et elles se singularisent largement par leurs actions sociales : certaines entreprises, très réputées et bien implantées ici, investissent des sommes importantes dans la formation de milliers de Sud-Africains chaque année, sans forcément en attendre un retour direct pour elles-mêmes. Elles prennent leur part au développement.

 

Mme Lakrafi chez African Jacquard
Amélia Lakrafi, à African Jacquard, avec Christine Daron

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la Consule Générale, quelles sont vos impressions à propos de l’Afrique du Sud ?

Sophie BEL : l’Afrique du Sud est un pays singulier par son histoire. Ce n’est pas n’importe quel pays. Je suis fière que nos entreprises contribuent, malgré les nombreux défis, à la transformation économique du pays. Plus de 400 entreprises françaises sont implantées en Afrique du Sud et elles emploient 65 000 Sud-Africains dans les domaines de l’énergie, du tourisme, de l’agriculture, des transports, des services. Et pourtant ces chiffres importants sont peu connus et mériteraient d’être davantage mis en avant

Concernant mes impressions, en arrivant au Cap, j’ai été frappée, comme tout un chacun, par la très grande beauté de cette région qui n’a pas été défigurée par un urbanisme galopant. Les Sud-Africains ont réussi à sauvegarder la ressource fabuleuse que constituent leurs paysages, qui sont aussi une source très importante d’activité économique (tourisme).

Au-delà de cet aspect, je suis frappée par la volonté de la société sud-africaine d’aller de l’avant malgré les traumatismes du passé. L’avènement de la démocratie date d’il y a à peine 30 ans. C’est court à l’échelle du temps : une génération. En dépit des multiples obstacles encore présents (chômage des jeunes, faible croissance, ségrégation spatiale encore très présente…), les Sud-Africains, quelle que soit leur communauté, souhaitent faire avancer leur pays auquel ils sont attachés. Ils savent qu’ils ont besoin les uns des autres et que leurs destins sont liés. C’est une belle leçon dont nous pourrions nous inspirer.

 

 

Le Cap
LE CAP                                                                                           Photo: Roberto HUCZACK - unsplash

 

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la députée, Madame la Consule Générale, dans le cadre de vos fonctions respectives, quels sont les domaines ou les préoccupations concernant les Français installés en Afrique du Sud pour lesquels vous intervenez le plus fréquemment ?

Amélia LAKRAFI : les Français d’Afrique du Sud me sollicitent un peu moins qu’avant. Cela doit signifier qu’une partie de leurs préoccupations se sont estompées, et que les difficultés antérieures se sont apaisées. Le sujet le plus fréquent concerne la difficulté pour obtenir des visas pour venir s’installer ici. Et dans ce cas, mon rôle est de transmettre les demandes aux acteurs concernés, pour trouver des solutions.

Je reste très attentive à toutes les demandes qui me sont adressées, je les traite dans l’ordre d’arrivée, et je recontacte les personnes qui me sollicitent au cours des permanences parlementaires que je tiens à distance chaque vendredi après-midi.

Sophie BEL : en plus de mes activités traditionnelles de Consule, je me déploie dans le domaine de la diplomatie économique en accompagnant et soutenant nos entrepreneurs français dans leurs démarches, y compris en essayant de faciliter l’obtention de visas d’affaires. Le processus s’est d’ailleurs amélioré depuis l’installation du gouvernement de coalition. Je suis également active en matière de coopération universitaire ou de recherche : plusieurs organisations françaises sont implantées ici comme le CNRS, le CIRAD, l’IRD.

La France a également une coopération ancienne et active avec la province du Western Cape, dans le secteur viticole et les métiers de la filière qui y sont liés, qui sont particulièrement pourvoyeurs d’emplois locaux. J’aurai le plaisir d’accueillir bientôt une délégation de la région Bourgogne Franche Comté, acteur clé de cette coopération bilatérale depuis 25 ans.

Je soutiens également notre coopération en matière de santé qui s’est matérialisée en 2023 avec la création au Cap d’un centre destiné à la production locale de vaccins. J’accorde enfin une attention particulière à la coopération autour de la production d’électricité, la centrale de Koeberg près du Cap, - seule centrale nucléaire en activité sur le continent africain-, étant le fruit d’une coopération historique avec EDF et FRAMATOME.

 

Amélia Lakrafi et Sophie Bel - le Cap

 

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la députée, Madame la Consule Générale, quelles sont vos priorités dans les domaines concernant les Français qui sont ici ?

 

  • L’éducation

Amélia LAKRAFI : l’enseignement dans les écoles françaises continue à se développer à travers le monde. Ce qui est positif pour la promotion de la francophonie, de la culture et des valeurs françaises. La préoccupation sur la baisse des bourses scolaires constatée récemment touche peu les quelques Français qui les sollicitent en Afrique du Sud.

Sophie BEL : un de mes dossiers prioritaires est l’Ecole Française du Cap, une école conventionnée avec l'AEFE, qui est en plein essor depuis trois ans, avec une augmentation des effectifs de près de 10% chaque année. Mon rôle consiste à l'accompagner dans sa trajectoire de croissance.  C'est une vitrine très importante de notre pays en Afrique du Sud.

 

  • La culture

Amélia LAKRAFI : en ce qui concerne l’Institut Français et les Alliances Françaises d’Afrique du Sud, je fais régulièrement le lien, en apportant conseils et expériences grâce à ma connaissance des institutions des autres pays.

 

Amélia Lakrafi - Le Cap

 

Sophie BEL : nous avons la chance d'avoir un Institut Français en Afrique du Sud ainsi que 14 Alliances Françaises, structures locales créées bien souvent par des Sud-Africains pour partager l’amour de la culture et de la langue française. Elles ont bien souvent souffert de la pandémie et sont en train de réinventer leur modèle parce que le besoin de créer des liens entre nos deux pays, nos deux peuples demeure très fort. J'offre un soutien aux trois Alliances Françaises de ma circonscription afin de leur permettre de poursuivre leur développement et leurs missions.

 

  • L'entreprenariat

Amélia LAKRAFI : je contribue à la mise en place du statut d’entrepreneur français à l’étranger. En plus des 400 belles entreprises françaises implantées dans le pays, il y existe aussi des centaines d’artisans ou d’entrepreneurs individuels. Ils devraient se faire connaitre, notamment auprès des consulats, pour amplifier cette démarche de création d’un statut qui pourra les valoriser, et aussi pour les intégrer aux activités et les connecter aux évènements de la communauté française.

Et surtout, il existe aussi, à travers le monde, en plus des chambres de commerce, des clubs d’affaires que j’ai réunies dans un Cercle des Clubs d’Affaires Français Francophones à l’International qui sont maintenant en réseau et peuvent échanger de façon constructive.

Sophie BEL : je considère comme mon devoir de valoriser les artisans et entrepreneurs français qui exercent leurs activités ici. Ils sont nombreux, dans des domaines variés. Je contribue donc à les mettre en avant lors des évènements organisés par le Consulat, comme la célébration du 14 juillet, où nos vignerons français ont par exemple la possibilité de proposer leurs productions.

L’Afrique du Sud est une terre d’opportunités. Le pays se transforme, s'ouvre au secteur privé, qu'il soit domestique ou international. Mon rôle est d'identifier les éventuelles opportunités pour nos entreprises et de les informer. À elles ensuite de se montrer convaincantes. Nos entreprises sont également très présentes dans le domaine de la formation professionnelle, plusieurs d'entre elles ont créé des centres de formation, comme des écoles hôtelières que nous soutenons.

 

  • La place des femmes françaises venues pour suivre leur conjoint

Amélia LAKRAFI : la question se pose plus à Johannesburg où les expatriés sont plutôt de passage pour quelques années, qu’au Cap où les Français et les Françaises sont souvent là depuis longtemps et sont plus intégrés.

Nous cherchons un moyen pour valoriser l’expérience de ces femmes, qui pour la plupart ont des activités non-salariées multiples, dans les associations humanitaires ou de formation, et qui interviennent dans de nombreux domaines. Il s’agirait d’une sorte de VAE (Valorisation des acquis de l’expérience), un moyen de reconnaître et de capitaliser leurs connaissances nouvelles, acquises au cours de leurs activités.

Sophie BEL : le visa d'épouse ne permet effectivement pas de travailler. Pour obtenir un visa de travail, il faut pouvoir présenter un contrat de travail en Afrique du Sud.

Les femmes peuvent aussi s’engager dans les actions bénévoles ou associatives. Comme l'a dit la députée, un travail est en cours pour pouvoir valoriser leur expérience dans leur CV une fois de retour en France. Car bien que non-rémunéré, cela reste un travail et on y acquiert très souvent de nouvelles compétences.

 

Amélia Lakrafi et Sophie Bel - Le Cap

 

 

Lepetitjournal.com : Madame la députée, Madame la Consule Générale, quel message souhaitez-vous adresser aux Français installés en Afrique du Sud ?

 

Amélia LAKRAFI : je voudrais leur dire que je suis très fière de les représenter. C’est une communauté extrêmement dynamique et engagée, comme j’en ai rarement vu. Je suis là, pour eux, disponible pour les écouter, les défendre, faire la promotion de leurs actions et les représenter à Paris.

 

Sophie BEL : je souhaite leur dire que c’est un honneur pour moi, et une responsabilité, de servir les Français du Cap. Ma porte leur est toujours ouverte, et je les remercie sincèrement pour l’accueil qu’ils m’ont réservé à mon arrivée il y a 18 mois.

 

Photos: Sofia Khelloqi

 

 


Pour nous suivre sur Facebook :  https://www.facebook.com/LPJJohannesburg

Pour l'actualité, bons plans, reportages et évènements :  https://lepetitjournal.com/johannesburg

Pour nous contacter :  philippe.petit@lepetitjournal.com

Flash infos