Depuis un mois, Leonida a quitté sa communauté Shipibo dans le nord du Pérou pour venir à Lima vendre ses objets artisanaux. Un moment très difficile pour elle et sa famille. Elle nous raconte.
Malgré les problèmes politiques et sociaux qui affectent actuellement le Pérou, et tout particulièrement les groupes autochtones, c’est la rentrée scolaire également chez les Shipibos et Leonida doit acheter des fournitures scolaires pour ses filles. C’est la raison pour laquelle elle a quitté son village pour aller vendre son artisanat dans la capitale péruvienne.
Mère de cinq enfants, Leonida Mendoza, membre du groupe indigène Shipido Konibo de la communauté de San Francisco, se souvient de sa vie lorsqu'elle était enfant. « Je me souviens que mon grand-père allait pêcher et ramenait beaucoup de poissons pour tout le monde ; nous vivions bien en communauté, nous invitions tout le monde à venir à la maison, maintenant ce n'est plus pareil. Parfois ma grand-mère pleurait parce qu’elle pressentait que notre manière de vivre ne serait plus possible et que nous allions souffrir. Elle ne savait ni lire ni écrire, et pourtant elle savait ce qui allait se passer dans le futur », nous confie Leonida.
C’est pourquoi je dis à mes filles qu'elles doivent étudier pour ne pas souffrir, mais c'est très triste de ne plus pouvoir vivre selon ses traditions.
Avec la pandémie, les populations les plus vulnérables du monde entier ont été grandement touchées et il n'est pas surprenant que les peuples autochtones vivant dans des communautés reculées soient dans une situation encore plus compliquée. Sans accès aux soins et sans aucun soutien de l’État, ils sont contraints de migrer en ville et de changer leurs coutumes et leurs modes de vie qu'ils avaient dans leur village.
« Nous n'avons aucun soutien de la part du gouvernement. Nous avons demandé de nombreuses fois de l'aide pour les écoles de notre communauté mais c’est désolant car nous votons pour ces hommes politiques, nous les élisons pour nous représenter et ils nous oublient » ajoute la représentante de la communauté Shipibo.
Selon le registre du Ministère de la Culture, il existe 55 peuples indigènes au Pérou, dont 51 vivent en Amazonie et 4 dans les Andes, mais ils doivent de plus en plus s'adapter à un nouveau mode de vie et à un monde globalisé. Désormais, au lieu d’imaginer passer leur vie dans leur village, ils préfèrent aller tenter leur chance en ville et abandonnent leur vie indigène.
Leonida est venue à Lima pour vendre ses produits artisanaux : des colliers et bracelets fabriqués avec des graines, notamment de Huayruro, mais aussi des vêtements brodés ou teints. Elle a fait 18 heures de bus, puis a payé 400 soles pour une chambre où elle doit partager la salle de bain et la cuisine avec d'autres personnes. Elle dort dans le même lit que ses deux filles, Fabiola (11 ans) et Greice (13 ans). « Je les ai amenées cette fois, parce qu'elles ne connaissaient pas Lima et n'avaient jamais vu la mer ».
En essayant de vendre son artisanat à Miraflores et dans les zones touristiques de Lima, Leonida s’est vite rendue compte que c'était très difficile. Il y a beaucoup moins de touristes à cause de la situation politique et les policiers ne lui permettent pas de vendre dans la rue, sans parler du manque d'empathie et la discrimination des certains Péruviens.
Déjà trois semaines que Leonida est à Lima et elle n'a pas encore vendu suffisamment pour acheter des uniformes et des fournitures scolaires pour ses filles. « J'ai seulement de quoi payer ma chambre et m’acheter le billet de bus pour rentrer chez moi », explique-t-elle.
Leonida s'inquiète de sa situation et reconnaît que les prochaines générations devront étudier dur pour pouvoir avoir un emploi. Bien qu'elles parlent Shipibo et connaissent leurs traditions, ses filles considèrent également qu'il est plus important d'étudier afin de se préparer à aller vivre en ville.
Les Shipibos, des indigènes reconnus pour leur grande sagesse et leur lien avec la nature
Les Shipibos sont considérés comme des artisans hors pairs et sont reconnus pour leur maîtrise des plantes. Ils utilisent principalement des peintures végétales pour décorer leurs textiles, composés de figures qui naissent de leur imagination, après avoir effectué un rituel avec l'ayahuasca. Il s’agit d’une boisson hallucinogène médicinale ancestrale, qui leur permet de se connecter spirituellement entre eux et de voir les figures qu'ils représentent sur leurs tissus et broderies. Mais ce type de pratiques et de coutumes des Shipibos se font de plus en plus rares.
Beaucoup de personnes sont entrées dans notre communauté, donnant de l'argent aux gens en échange de terres. Nous sommes dans le besoin et les gens acceptent ces transactions.
Aujourd'hui au Pérou, les groupes indigènes se retrouve dans une situation très critique. Soit, ils continuent de se battre pour préserver leur culture malgré la disparition progressive des plantes et des produits naturels indispensables pour mener à bien leurs traditions, soit ils abandonnent ce qui était une culture splendide et millénaire. Mais que deviendra notre humanité le jour où nous perdrons nos racines ancestrales ?