Lors de la 25ᵉ édition de la Festa do cinema francês qui a commencé le 3 octobre, le nouveau film du réalisateur français Ladj Ly a été projeté au cinéma São Jorge de Lisbonne. A cette occasion, le réalisateur du film à succès Les Misérables a présenté au public son nouveau long-métrage, Bâtiment 5. Il sort dans les salles de cinéma au Portugal le jeudi 31 octobre.
La 25ᵉ édition de la Festa do cinema francês a commencé le 3 octobre à Lisbonne et se terminera de même à Lisbonne le 30 novembre avec la rétrospective à la Cinémathèque portugaise de Chris Marker. Jusqu'au 6 novembre, la Festa se poursuit dans 9 villes du nord au sud du Portugal : Porto, Coimbra, Lagos, Leiria, Setubal, Beja et São Bartolomeu de Messines.
Les Misérables, le premier volume d´une trilogie au succès international
En 2020, le réalisateur français Lad Ly remportait le César du meilleur film pour son long-métrage engagé Les Misérables, qui met en scène une bavure policière dans une cité sensible de Seine-Saint-Denis. Alexis Manenti, qui y incarne le rôle de Chris, policier dans la brigade anti-criminalité de Montfermeil, remportait quant à lui le César du meilleur espoir masculin. Le film a été projeté cette année lors de la Fête du Cinéma Français dans la section Seconde Chance.
Bâtiment 5, un deuxième volet de la trilogie qui s'attaque à un autre sujet sensible
Deuxième volet de la trilogie de Lady Ly, Bâtiment 5 met en lumière un autre sujet polémique aujourd'hui en France : la crise du logement. Le long-métrage suit dans sa ville au quotidien Haby Keita, une jeune femme d'origine malienne installée à Montvilliers et incarnée par Anti Diaw. Lorsqu'elle apprend que le nouveau maire de la commune Pierre Forges, incarné par Alexis Manenti, prévoit la destruction du Bâtiment 5 dans lequel elle réside pour réaménager le quartier, elle décide de tout mettre en oeuvre pour sauver son quartier, et toute la vie qui s'y déroule.
À l'occasion de la présentation du film, Ladj Ly et Alexis Manenti ont échangé quelques propos avec Lepetitjournal.com.
Lepetitjournal.com : Ladj Ly, votre film met en avant un problème sociétal très important aujourd'hui, qui est celui du logement. Selon vous, quelle serait la solution pour remédier à ce problème ?
Ladj Ly : Les gens qui habitent dans ces quartiers problématiques la plupart sont propriétaires, quand ils sont arrivés ils ont acheté leur propre appartement. C'est un problème qui touche énormément de personnes et la solution je ne l'ai pas, elle est culturelle et politique, et quand on demande à l'Etat, c'est assez désespérant, on a l'impression qu'il n'y a pas vraiment de solution.
L'immigration semble prendre de plus en plus d'ampleur, ce qui pose des problèmes en termes de logement et de surpopulation de certains quartiers. Selon vous peut-on ralentir cette immigration, ou l'accueillir différemment pour éviter ces problèmes ?
L'immigration prend de plus en plus d'ampleur ces dernières années mais je n'ai pas de solution miracle. On ne peut pas non plus la stopper, car malheureusement il y a des guerres partout dans le monde, les gens sont en souffrance, les gens ont besoin de partir pour essayer de vivre mieux ailleurs. Mais cela reste des sujets très délicats, très compliqués. Aujourd'hui, on ne peut pas dire aux personnes qui habitent en Palestine, qui vivent sous les bombardements, de ne pas partir et de ne pas sauver leur peau.
Est-ce que votre film décrit exactement la façon dont les gens vivent dans ces quartiers ou cela reste-t-il majoritairement de la fiction ?
Tout est vraiment inspiré de faits réels, je n'invente rien. En tout cas, ce que j'essaie de faire dans mon cinéma, c'est avant tout un témoignage de ce qu'il se passe dans ces quartiers là. La seule partie de fiction c'est la scène finale où Blaz entre chez le maire et saccage sa maison, mais il s'avère que six mois après le tournage la même scène s'est produite en France, où des individus ont agressé le maire à son domicile.
Est-ce que les personnages mis en scène dans votre film sont inspirés de personnalités publiques existantes ?
On s'est beaucoup inspirés de personnages politiques existants. La difficulté c'était surtout, vu que la politique est quand même très caricaturale, que les politiques eux-mêmes sont de grands acteurs, d'essayer de se mettre à leur niveau et de mentir aussi bien qu'eux.
À chaque instant, dans le film, il y a une forme de violence qui s'exprime, que ce soit une violence implicite, mais aussi dans chaque altercation, dans chaque discussion, il y a une sorte de saturation de violence dans le film. Est-ce que c'est un parti-pris qui rejoint l'idée de faire un film choc ?
La violence est omniprésente dans le film, mais malheureusement quand on s'inspire de cette réalité, et bien c'est un monde qui est violent, ne serait-ce que le fait d'habiter dans ces tours s'apparente à quelque chose de violent. Ils connaissent ça, pour la plupart, depuis leur naissance, donc forcément il y a une forme de violence qui est omniprésente. Moi même j'ai grandi dans ces quartiers, le fait d'habiter là, d'être en colère, de subir ces injustices, de subir la misère sociale, toute la difficulté d´y vivre.
Et puis le fait d'expulser les gens de leur domicile, de leur foyer, est-ce qu'il y a plus violent que ça ?
Les acteurs sont-ils des amateurs ou des professionnels ?
La plupart des acteurs sont des amateurs, 80% des figurants sont des habitants du quartier. Je trouve cela intéressant de travailler avec des acteurs non-professionnels, car on arrive toujours à avoir quelque chose de très authentique, très réaliste. À côté de cela j'avais aussi des acteurs professionnels.
Est-ce que vous avez voulu faire passer un message politique afin de faire changer la façon de penser des politiques pour améliorer l'intégration des immigrants ?
Je pense que le cinéma peut changer les choses, oui. Je pense à mon premier film, Les Misérables, qui a eu un impact énorme que ce soit à l'international ou en France. Pour ce film, en revanche, on a l'impression que le sujet dérange vraiment. Il n'a pas eu le même succès que Les Misérables, on sent que c'est un sujet que l'on ne veut pas trop mettre en avant car le problème du logement est un problème récurrent qui concerne énormément de personnes en France.
C'est un film fort en émotions, que souhaitez-vous faire passer à travers les émotions ?
Au vu du sujet, on s'est dit que c'était un sujet qui concerne énormément de Français, et pour l'avoir vécu, c'est quelque chose qui fait mal. Quand on voit tous les gens qui ont perdu leur logement, en termes d'émotions c'est très fort, donc on a voulu mettre de l'émotion pour que le public puisse se mettre à la place de ces habitants et comprendre aussi leur souffrance.
En quoi le message dans ce film est-il différent de celui dans Les Misérables ?
Ce sont deux sujets totalement différents. Le film Les Misérables parlait beaucoup de violences policières, là on parle de la crise du logement, c'est un tout autre sujet. Après cela se rejoint, ce sont les mêmes problématiques, d'où l'idée de faire une trilogie pour parler de ces problèmes.
Pourquoi avoir choisi un personnage féminin, le personnage de Haby, pour le rôle principal ?
Le personnage de Haby est un personnage très important, c'est le type de personnage qu'on voit très rarement au cinéma. C'est un plaisir d'offrir un premier rôle à une femme, surtout que c'est un rôle qui est important, c'est un personnage qui incarne l'espoir, et qui décide de prendre le pouvoir. La solution aujourd'hui elle est là, c'est de réellement s'engager politiquement
Alexis Manenti , comment avez-vous vécu votre rôle dans ce film alors que vous avez reçu le prix du meilleur espoir masculin aux Césars en 2020 ?
Alexis Manenti : Le fait d'être jeune espoir aux Césars n'a pas particulièrement changé ma manière de travailler, j'ai essayé d'être très impliqué, comme pour chaque film, mais j'étais très heureux de retrouver Ladj Ly, j'étais impatient de tourner.
Quelles difficultés avez-vous rencontré pour incarner ce personnage qui est un peu superficiel ?
Il fallait le rendre le plus complexe possible, le plus réel aussi, et qu'on arrive à le comprendre, à comprendre ses motivations et à savoir pourquoi il agit comme ça. Comme dans chaque film, c'est essayer de créer le hors-champ du personnage pour qu'on se rende compte du chemin qui l'a mené à être cette personne.
Dans le projet de cette trilogie, pensez-vous participer au troisième volet ?
J'espère, j'espère vraiment pouvoir jouer dans le prochain film de Lady Ly. Rien n'est sûr mais je l'espère !
Quel est votre ressenti à propos de votre présence à la fête du cinéma français à Lisbonne ?
On est très content, je suis toujours très heureux de découvrir un nouveau pays, la manière dont les gens ressentent le film. J'étais déjà venu au Portugal pour tourner, et puis là maintenant pour présenter un film, c'est toujours un grand plaisir, surtout dans une très belle salle comme celle-ci, c'est beaucoup d'émotions.
Quel grand message souhaitez-vous transmettre à travers ce film ?
J'ai toujours du mal à parler de message pour un film. Ce sont des sensations, je pense que cela parle d'un thème qui est important, qui est le problème du logement, et ça pose la question du futur, de ce qui nous attend. Il y a quand même un message d'espoir, on l'espère.
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