Édition internationale

À Paris, les scientifiques se mobilisent pour défendre la science dans le monde

En soutien aux scientifiques américains, des centaines de chercheurs et universitaires se sont mobilisés, jeudi 3 avril 2025, devant le campus Pierre et Marie Curie, à Paris, pour défendre une science libre et indépendante dans le monde.

Des chercheurs, scientifiques, universitaires et citoyens se mobilisent pour la science et la recherche, le 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)Des chercheurs, scientifiques, universitaires et citoyens se mobilisent pour la science et la recherche, le 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)
Écrit par Sherilyn Soekatma
Publié le 9 avril 2025, mis à jour le 10 avril 2025

 

Ils en ont assez. Assez de voir la science réduite à un simple outil de profit. Assez de la précarité. Assez de l’indifférence. Au pied du campus Pierre et Marie Curie, une foule engagée s’est rassemblée, jeudi 3 avril 2025, à Paris. À l’appel du collectif Stand Up For Science France, chercheurs, étudiants et citoyens se sont mobilisés une nouvelle fois en faveur de la recherche, des sciences et de la liberté académique. Blouse blanche sur les épaules, mégaphone dans une main, pancarte dans l’autre,... Derrière les slogans, ce sont des inquiétudes profondes qui se dessinent. Comment résister à l’obscurantisme et redonner espoir aux laboratoires en crise ?

 

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Quand la science bascule dans l’ombre

« Ce gouvernement veut éteindre les connaissances, il veut les mettre dans l’ombre, c’est ce qu’on appelle l’obscurantisme, se désole Andrée De Backer, chercheuse en sciences des matériaux et membre de Scientifiques en rébellion. Finalement, ce gouvernement ne souhaite garder qu’une science qui produit de la technologie pour un système de surconsommation qui les enrichit et qui maintient leur pouvoir. »

 

Andrée De Backer, chercheuse en sciences des matériaux et membre de Scientifiques en rébellion, à la manifestation Stand Up for Science, le jeudi 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)
Andrée De Backer, chercheuse en sciences des matériaux et membre de Scientifiques en rébellion, à la manifestation Stand Up for Science, le jeudi 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)

 

Si les coupes budgétaires et les licenciements massifs frappent de plein fouet les scientifiques américains, les chercheurs français s’inquiètent de voir ce modèle gagner du terrain en France. Pour Olivier Long, maître de conférences en Arts Plastiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, il ne fait aucun doute que la course à la rentabilité prime sur l’intérêt général : « Et leur truc, c’est des tableaux Excel avec de l’argent derrière, et leur argent, on sait où il est. Ce qu’il se passe en France, en douce, c’est ce qu’il se passe aux États-Unis, au cas où vous n’auriez pas compris. »

Dans les services publics français, les alertes se multiplient. Michelle Van Den Bergh, infirmière dans un hôpital universitaire public à Paris et doctorante en première année, en témoigne : « À l’hôpital public, les postes sont supprimés et il y a de moins en moins de lits, déplore-t-elle. Pour tout ce qui est public, les fonds sont supprimés petit à petit. »

 

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Une fuite des cerveaux américains

Face aux attaques massives que subit la recherche aux États-Unis, 75% des scientifiques américains envisagent l’exil, majoritairement vers le Canada ou l’Europe, d’après un sondage mené par le journal Nature. Sur le continent européen, la France s’organise pour les accueillir. « Aix-Marseille a déjà débloqué un gros budget pour accueillir des chercheurs américains », rapporte Virginie Gueguen, maître de conférence à l’Université Sorbonne Paris Nord. En plus de dégager un budget, l’université a annoncé la mise en place d’un programme Safe Place for Science.

 

« On a passé l’âge d’être TRUMPées », un slogan de H. Laux accroché au vélo de Michelle Van Den Bergh, infirmière et doctorante présente à la manifestation Stand Up for Science, le 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)
« On a passé l’âge d’être TRUMPées », un slogan de H. Laux accroché au vélo de Michelle Van Den Bergh, infirmière et doctorante présente à la manifestation Stand Up for Science, le 3 avril 2025, à Paris. (Crédit : Sherilyn Soekatma)

 

Mais cet accueil suscite aussi des réserves. Pour Andrée De Backer, cette ouverture ne doit pas se faire à n’importe quel prix : « Que des cerveaux veuillent venir, oui, mais s’ils viennent, l’esprit détourné par ce que je reproche aux États-Unis, dans leur politique, je n’en veux pas. Et s’ils viennent avec des aspirations salariales qui ne correspondent pas à un modèle de société dans laquelle on va pouvoir évoluer ensemble sereinement, je n’en veux pas non plus.» 

Une prudence que partage Sandrine Bouchet, ingénieure de recherche, qui s’inquiète d’un décalage de valeurs : « Beaucoup de chercheurs français sont partis à l’étranger car le salaire en France est bas, souligne-t-elle. Faire venir des Américains en France c’est bien, mais le niveau de vie ne sera pas le même, et ils risquent de ne pas apprécier. » 

 

« L’arrêt de la récolte de données communes et partagées sur la santé et le climat va fortement impacter la recherche française. »

 

La peur au cœur des labos

Depuis l’investiture de Donald Trump, près de 2.000 jeux de données relatives au changement climatique et à la santé publique ont été supprimés des sites gouvernementaux américains. « Je suis inquiète pour les sujets de recherche qui concernent la santé et le climat, rapporte Virginie Gueguen. L’arrêt de la récolte de données communes et partagées sur ces sujets là va fortement impacter la recherche française. »

 

« Depuis sept ans, on vit dans la peur, chaque jour il y a une mauvaise nouvelle. »

 

Dans les laboratoires, l’inquiétude est devenue la compagne quotidienne des jeunes chercheurs. « La peur se retrouve à tous les niveaux de la recherche, témoigne Lucie Biezanowski, doctorante. Entre l’absence de postes permanents, les budgets en chute libre et l’incertitude qui plane sur l’avenir, les jeunes chercheurs avancent dans le flou. Un sentiment d’usure que partage Sandrine Bouchet : « Depuis sept ans, on vit dans la peur, chaque jour il y a une mauvaise nouvelle. »

 

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Pour beaucoup, le manque de perspectives et de soutien gouvernemental étouffe peu à peu toute envie d’aller de l’avant, mais certains ne cèdent pas au fatalisme. Pour Andrée de Backer, la solution passe par l’espoir et l’accompagnement, en particulier celui de la jeunesse : « Je suis très sensible aux jeunes. Il leur faut de l’espoir. Je veux qu’on les aide avec notre expérience et notre sagesse à trouver la meilleure voie. » 

 

Derrière les discours alarmistes, une solidarité discrète se tisse entre générations. Une manière de dire que, même dans un contexte sombre, la recherche peut encore être un espace de transmission et de confiance.