S’ils ont quitté la Nouvelle Calédonie, la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quittés. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs…
Aujourd’hui j’ai RDV avec Sébastien Marques : Réalisateur.
Sébastien a depuis toujours eut un rêve de cinéma, et l’envie de raconter des histoires. Ou plutôt l’envie de raconter son histoire à travers celle de ses personnages; un metteur en scène inspiré qui vous aspire dans son (ses) univers.
De l’envie d’ailleurs à l’expatriation
Sébastien est né en Nouvelle-Calédonie, et y a vécu jusqu’à ses 18 ans. A la majorité il quitte son île pour suivre ses rêves de voyages d’une part et de cinéma d’autre part.
Je suis parti sans me dire que je ne reviendrai jamais ; je n'avais pas de plan en tête je voulais simplement aller voir ailleurs et grandir.
Mais avant cela et pour « s’assurer un avenir » comme le préconisent beaucoup de parents de jeunes artistes, il faut faire des études sérieuses ! Le voilà qui intègre donc une école d’ingénieur en Métropole avec un master en acoustique au cas où sa carrière se dirige ensuite vers la musique ou le cinéma comme il le souhaite. Il en profite pour voyager et faire des stages à l’étranger, notamment en République Tchèque, et accepte rapidement son premier emploi en Chine pour un société de système audio. L’expérience de l’expatriation en Asie se passe à merveille, mais l’envie de réaliser ses rêves sera la plus forte. Il rentre à Paris avec un but en tête : le cinéma.
Direction Paris : la ville des Lumière
Fraichement « re » débarqué à Paris, Sébastien trouve un poste de stagiaire chez MACT Production, qui produit du cinéma d’auteur. Sa soif d’apprendre l’entraine très vite à dépasser ses fonctions de stagiaire et il décide de toucher à tout pour en apprendre un maximum sur les différentes facettes du milieu du cinéma et de la fabrication d’un film.
Au bout d'un an je me suis retrouvé à faire les devis des films, à aller sur les tournages, à participer aux castings, et même à occuper la place d’assistant réalisateur alors que je n’avais jamais mis les pieds sur un tournage avant !
Ces années chez MACT ont été très formatrices pour Sébastien qui en parle comme de « la plus belle école de cinéma possible ».
C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Pascal Caucheteux, PDG de Why Not Productions. Toujours en soif d’apprendre, Sébastien négocie avec lui de travailler quelques mois au salaire minimum pour faire ses preuves et s’il fait l’affaire : il l’embauchera. 10 ans plus tard : il y travaille toujours !
En parallèle de son poste de chargé du développement, l’envie de monter ses propres projets ne le quitte pas.
Je ne voulais pas attendre qu'on me donne ma chance : je voulais la créer moi-même et prendre des risques.
Genèse de son premier film : L’arbre et la Pirogue
Dans ses films Sébastien veut parler de ce qu’il connaît. Il veut raconter une histoire qui soit comme une part de lui. C’est naturellement qu’il commence à écrire le scénario de L’arbre et la pirogue qui est un comte venu de sa terre natale : la Nouvelle-Calédonie. Les souvenirs sont toujours présents : son enfance sur le caillou et les images marquantes de la culture Kanak avec laquelle il a grandi.
Pour moi raconter cette histoire c'était raconter mon histoire. Et j'ai voulu la raconter à la manière d'un conte, comme ceux de La roche percée que l’on l'écoutait quand on était enfant.
Fort de ses connaissances et compétences en production et en mise en scène : il se lance.
Après un faux départ avec le Prix Océans organisé par France Ô en 2017 pour cause de deadline, L’arbre et la pirogue se retrouve finalement sélectionné parmi les courts-métrages en compétition et finit même parmi les 10 projets en pré-sélection. Sébastien n'attend pas une seconde et lance la prépa du film.
L’aventure peut commencer. Il monte son équipe avec un mélange de techniciens basés en France et en Nouvelle-Calédonie. Il s’entoure de grands professionnels, notamment la chef op Irina Lubtchansky, nommée plusieurs fois au César de la meilleure direction photo.
Irina Lubtchansky est une très grande dans son domaine. J’ai eu la chance de pouvoir la rencontrer et surtout de la convaincre de faire un court-métrage non payé à l'autre bout du monde ! Et elle a accepté.
L’équipe s’étoffe au fil du temps, son choix de l’acteur principal se porte sur l’excellent Iabe Lapacas, que l’on a pu voir dans l’Ordre et la Morale de Matthieu Kassovitz. De fil en aiguille il rentre en contact avec Jean-Pierre Swan pour la musique et se rend compte que le second rôle lui va à merveille.
Le tournage se déroule sur 6 jours seulement, et c’est une cascade d’imprévu entre des bagages perdus à l’aéroport, une météo capricieuse, une disparition de pirogue ou encore une plage maudite ! Malgré tout : le tournage se passe, et la magie opère.
A tel point que le film, Prix Océans 2017, sera projeté en clôture de la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes cette année là. Et ça ne s’arrête pas là. Le film est amené à voyager dans plus de 50 festivals à travers le monde : au New York International Film Festival aux États-Unis, au International Short Film Festival de Pune en Inde, au Prvi Kadar International Film Festival en Bosnie Herzégovine, au Hawaii International Film Festival à Honolulu, au Cabo Verde International Film Festival au Cape Vert, au Quatzalcoatl Indigenous International Film Festival à Oaxaca au Mexique… et tant d’autres !
Paradoxe entre le besoin de racines et l’aspiration vers l’ailleurs : quel est le message du film selon son créateur ?
Sébastien Marques : Tout au long de la création du film beaucoup de personnes m'ont dit que ce serait impossible à faire. Impossible de le financer. Impossible de tourner en si peu de jours. Impossible de tourner en tribu. Impossible de passer sur une chaine parce que le film est trop long. Donc un des messages du film c'est de dire que Oui c'est possible. Réaliser ses rêves est possible.
Sur le message du film en soi, je dois dire que Iabe (le personnage principal) raconte une partie de moi et de mon histoire. Malgré l'attachement qu'il a à ses racines et à ses traditions : il a besoin de partir et de découvrir des choses par lui-même.
Depuis mes 18 ans, j'ai très bien compris que je serai toujours coupée en 2. Je serai éternellement insatisfait de là où je suis. Il y a cet état de fait d’être coupé en 2. Quand je suis à Paris tout le monde m’appelle « le calédonien », et maintenant quand je suis en Nouvelle-Calédonie tout le monde m'appelle « le parisien ».
Je suis toujours « l'autre », de « l’ailleurs ». Mais ce que je veux dire avec ce film c'est que l'un n'est pas incompatible avec l'autre: c'est l'arbre et la pirogue. Je pense que je n'ai jamais été aussi proche de la Calédonie que depuis que je n'y suis plus. Ce film parle de : comment chérir ses racines même quand on se déracine soi-même.
Filmer le handicap avec son second film : Les étoiles dansantes
Le handicap est également une part importante de la vie de Sébastien. Son père étant le président à la Ligue d’handisport de Nouvelle-Calédonie, et entraineur de l'équipe de France d'athlétisme Handisport, c’est un milieu et domaine qu’il connaît particulièrement bien.
J'ai grandi avec comme meilleur ami de mon père Pierre Fairbank ; je le connais depuis toujours. Le handicap c'est un peu comme l'arbre et la pirogue : cela fait parti de mes racines, j’ai grandi avec.
C’est lors des championnats d'Europe d’athlétisme handisport de Berlin en 2018, où il était en tant que spectateur, que Sébastien invite l’équipe, athlètes et staff, à une projection privée de son premier film au Cinéma du Panthéon à Paris. Le RDV est fixé, et lors de la réunion parisienne le Directeur Sportif de l’Equipe de France lui confie son envie jamais concrétisé de faire un documentaire sur le Handisport. Les championnats du monde de Dubai approche, c’est l’occasion de se lancer. Il demande à Sébastien d'en être le réalisateur.
J’ai accepté mais en précisant bien que le film suivrait une trame avec un scénario prédéfini et que le focus se ferait sur quelques personnages clefs.
Sébastien se retrouve seul aux commandes de ce tournage d'un semaine. Et d’une commande de la fédération le projet devient un film qui court les Festivals, déjà projeté entre la Bulgarie, New York et l'Argentine!
Même si c'est un documentaire avec des vraies personnes, je crois que je raconte de nouveau ma propre histoire.
Le handicap, comme L'arbre et la pirogue, fait partie de ses racines. Sébastien a grandi dans l'indifférence du handicap : « c'est-à-dire ne pas considérer que c'est un handicapé ; mais que c'est quelqu'un qui a un fauteuil, quelqu'un qui ne voit pas... C'est comme dire : il est blond ou il est brun ; il a les yeux verts ou il a les yeux bleus. C'est juste un fait. ». Avec ce film Sébastien raconte des parcours humains, pas seulement des performances sportives, et il dresse un portrait fort et sensible de ces athlètes.
Avec Les étoiles dansantes Sébastien raconte une nouvelle facette de son histoire à travers le prisme d'autres personnes et personnages.
L'enfant rêveur, mué en stagiaire passionné, est devenu producteur aguerri et réalisateur inspiré n’a plus rien à prouver. Que ce soit sous la forme d’un conte Kanak en Drehu ou d’un documentaire intimiste sur le handisport : l’artiste nous livre à chaque fois une part de son histoire personnelle avec une grande générosité.
Petit aparté puisque la publication de cet article coïncide avec les Championnats d’Europe d’athlétisme handisport en Pologne. A l'heure où j'écris cet article : 4 Calédoniens de l’équipe de France, que l’on retrouve dans Les étoiles dansantes, ont été médaillés cette semaine : Triple Médaille d’Or pour Pierre Fairbank au 100, 400 et 800 m fauteuil – Médaille d’Argent pour Nicolas Brignone au 100 m, Médaille de Bronze au 400 m et au 800 m – Médaille de Bronze Rose Vandegou au lancé - Médaille d'argent pour Thierry Cibone au javelot. Félicitations à eux !