300 familles, dont 200 familles haïtiennes, occupent un ancien hangar désaffecté dans la région sud de São Paulo depuis le printemps 2020, en raison des difficultés socio-économiques rencontrées pendant la pandémie de la covid-19. Wilson (38) est d’origine haïtienne et a immigré au Brésil en 2016, fuyant la crise politique et sociale de son pays. Il travaillait dans un restaurant avant d’être licencié dès le début de la crise sanitaire et, ne pouvant plus payer la location de son logement, il est allé s’installer avec sa famille à l’occupation Port-au-Prince.
La situation des Haïtiens à São Paulo
L’immigration haïtienne au Brésil est récente et s’explique par plusieurs facteurs. Selon le professeur José Rodrigues dos Santos qui enseigne de l’Université de l’état de São Paulo, la « découverte » du Brésil par les Haïtiens a eu lieu en 2004. La Minustah (Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti) a été créée cette année-là pour rétablir la sécurité et la stabilité du pays caribéen après des épisodes de violence et de troubles politiques, qui ont culminé avec la chute du président de l’époque, Jean Bertrand Aristide. Enfin, après le tremblement de terre qui a frappé le pays en 2010, nombre d’Haïtiens tentent de chercher une vie meilleure, ailleurs qu’à Haïti.
Ainsi, le nombre d’immigrants haïtiens au Brésil qui s’élevait à 595 en 2010 a atteint 30 000 au cours de l’année 2014. Selon le rapport annuel de l’Observatoire des migrations internationales de 2019, 492 700 migrants à long terme ont été enregistrés entre 2011 et 2018 au Brésil.
Les Haïtiens représentent 21,5 % du total des migrants au Brésil et sont la principale nationalité sur le marché du travail formel en 2018.
Cependant, les Haïtiens doivent faire face aux constructions raciales enracinées dans la société brésilienne et nombre d’entre eux se retrouvent marginalisés ; un rêve brisé. La mairie de São Paulo a néanmoins signé la “Déclaration de Marrakech – des villes travaillant ensemble pour les immigrés et réfugiés” en 2016, afin de renforcer les droits et de garantir la dignité des immigrés.
En outre, depuis la crise sanitaire, les immigrés haïtiens font face à une situation de vulnérabilité sociale et économique qui s’est accentuée.
L’occupation Port-au-Prince de São Paulo
Le terrain appartient à une société immobilière qui a l’intention de construire des ensembles d’habitation. Le site, cependant, est reconnu en tant que zone d’intérêt social spécial (ZEIS) et, selon le plan d’aménagement municipal, elle devrait être destinée à la construction de logements populaires.
Le hangar, abandonné depuis plus de trente ans, appartenait à une famille italienne où étaient fabriqués des coffres forts, puis des tanks et des pièces pour l’armée brésilienne. Les coupes budgétaires de l’état des forces armées dans les années 90 ont mis fin à l’aventure de l’entreprise.
La pandémie et des mouvements populaires ont comblé ce vide laissé dans une ville qui a grandi trop vite, aux confins d’une urbanité brutale, entre des rampes d’autobus, une grande avenue et un fleuve à moitié enterré qui a toutes les caractéristiques d’un égout.
À l’intérieur du hangar, la communauté s’est organisée en attribuant des espaces à chaque famille, ici et là, hommes et femmes chargent des brouettes de sables et de briques pour édifier leur maisonnette.
Des ruelles sans nom apparaissent au fur et à mesure que les constructions avancent, un étale de fruits et légumes, une grand-mère vendant des cacahouètes, un café, un magasin de bricolage. Après avoir manifesté contre la réappropriation du hangar en bloquant l’avenue située près de l’occupation, la procédure d’expulsion qui visait la communauté a été suspendue par la Cour de justice de São Paulo au mois de février 2021, en raison de la situation liée à la covid-19 et du manque d’aide aux familles.
L’utilité sociale de la terre
La lutte des campagnes brésiliennes pour la terre se prolonge vers les cités. Selon Rosa Maria Viera Meideros, professeur à l’Université Fédéral du Rio Grande do Sul, l’histoire de cette lutte se confond avec celle de la propriété́ de la terre du Brésil.
Elle débute avec la distribution des premiers lots sous la forme de « sesmarias », de grandes propriétés concédées par le roi du Portugal, mesurant environ 13000 ha. Puis, avec la « Loi des Terres », la propriété de la terre est institutionnalisée au Brésil en 1850. Celle-ci est acquise aux enchères publiques décidées par la Couronne. Seuls les « fazendeiros » puissants y ont accès, tandis que la majorité́ des colons et des travailleurs agricoles ne peuvent même pas acquérir un petit lot.
En raison de ces inégalités liées à l’espace et aux obstacles à réaliser une réforme agraire, les mouvements populaires s’organisent et envahissent les grandes propriétés inexploitées, luttant pour leur reconnaissance. La constitution brésilienne prévoit que les terres inutilisées, qui ne remplissent pas leur fonction sociale ou qui ont été acquises frauduleusement, servent à la réforme agraire.