

Tout récemment, tout le monde a pu lire divers articles relatifs à l'interdiction de fumer dans les lieux publics mise en place dans la capitale chinoise. Cette loi, calquée sur les réglementations du monde occidental, aura toutefois bien du mal à s'imposer dans la vie quotidienne des Pékinois. Explications.
Depuis le 1er juin, il est interdit de fumer à l'intérieur des lieux publics de Pékin. Il s'agit plus précisément des lieux de collectivités, autrement dit les magasins, les restaurants, les enceintes scolaires et sportives, les hôpitaux. Ceux qui tenteront à l'avenir d'en "griller une" dans ces endroits seront verbalisés d'une amende de deux cents yuans (trente euros), tandis que l'établissement encoure lui aussi une amende de dix mille yuans (mille cinq cents euros) pour n'avoir pas découragé ce geste. De plus, les publicités des grands cigarettiers sont également prohibées dans la capitale. Une loi qui rappelle beaucoup celles déjà en vigueur dans un très grand nombre de pays européens dont la France. Toutefois, de nombreux faits objectifs tendent à prouver que cette tentative n'est en fait qu'un coup d'épée dans l'eau.
Ce qui fonctionne (presque) parfaitement dans les pays occidentaux ne sera pas si simple d'application en Chine. Dans le passé, quasiment toutes les métropoles du pays ont à un moment vainement voulu imposer une réglementation de ce type. Le résultat est clairement un échec : il est plus que courant de se trouver confronter à un nuage de fumée dans un restaurant de Shanghai alors que le panonceau stipulant l'interdiction est accroché juste à côté. Avec cette nouvelle loi, Pékin se veut être pionnière dans un pays à la traîne dans la lutte mondiale contre le tabagisme. Cependant, la ville s'attaque à des habitudes adoptées par 4,2 millions de ses habitants, soit un Pékinois sur cinq !
Le défi est de taille. Mais de là à penser que la loi pourrait être un exemple et se répandre dans le pays tout entier semble une mission impossible à remplir. Ce défaitisme se résume dans des chiffres accablants : 301 millions de fumeurs, ce qui signifie qu'un fumeur sur trois dans le monde est Chinois. Le détail est pire encore : la majorité des hommes (53%) sont fumeurs et, pour eux, cela commence très tôt car les adolescents sont 18% à fumer régulièrement. Du côté des femmes, c'est l'inverse : le taux est très faible avec seulement 2,4% de fumeuses et 0,5% chez les adolescentes.
Si on ne prend en compte que les hommes, la Chine est le premier pays consommateur de tabac avec 264 millions de fumeurs, tandis que le deuxième, l'Inde, qui pourtant n'est pas très éloigné de la Chine quant à sa population, n'atteint que 106 millions. Les conséquences sont évidemment dramatiques, avec des révélations là encore spectaculaires. Un Chinois meurt du tabac (directement ou indirectement)? toutes les trente secondes ! A l'échelle d'une année, cela fait un total d'un million à un million et demi de Chinois.
Une volonté mitigée de la part des autorités

Dans ce cas, cela peut expliquer une implication plutôt discrète de la part des autorités chinoises. Bien évidemment, ce n'est pas l'unique raison : le fait est que, dans une Chine qui reste majoritairement rurale, la lutte contre le tabagisme paraît une préoccupation bien futile. Il ne faut jamais oublier que, face à des problématiques comme celle-ci ou comme celle des droits de l'Homme, la priorité est plutôt d'assurer un niveau de vie décent à chacun : la Chine est toujours un pays en voie de développement, contrairement à ce que nous laisse voir le mirage des métropoles bien en avance sur les campagnes. Malheureusement, les experts chinois et étrangers s'accordent à dire que le nombre de décès liés au tabac, déjà très élevé, pourraient tripler d'ici 2030 si aucun changement n'intervient dans les prochaines années.
Enfin, dès les premiers jours de la mise en vigueur à Pékin, les infractions constatées n'étaient pas rares. La vérité est que pour un Pékinois l'amende de deux cents yuans semble bien faible et peu dissuasive. Pour les plus sceptiques et amoureux de mots d'esprit, ils pourront conclure la lecture de cet article en se disant que cette loi est une vaste? fumisterie !
Alexandre Pouilly lepetitjournal.com/shanghai Mercredi 10 Juin 2015
