En Asie depuis 10 ans, cette parisienne diplômée de l’Essec a fondé Uplifters, une ONG visant à aider ces migrantes à surmonter de multiples défis : vivre dans un environnement nouveau loin de leurs familles, avoir à exécuter des tâches pour lesquelles elles ne sont pas toujours préparées, se trouver à la merci d’employeurs qui peuvent en abuser, et tombant parfois sous la coupe d’usuriers qui réduisent à néant le projet financier qui a motivé leur migration. Lepetitjournal.com a rencontré cette entrepreneure passionnée pour en savoir plus sur son parcours et sur son entreprise.
Marie, qu’est-ce qui vous a amené à Singapour ?
En fait, c’est mon troisième séjour à Singapour. J’y suis venu pour la première fois dans le cadre de ma scolarité à l’ESSEC à la fin des années 2000 : j’ai alors passé six mois au campus de l’école dans ce pays.
Puis, j’ai commencé à travailler en France dans une entreprise de formation en ligne, où je m’occupais notamment de formations dans le domaine de la coiffure et de l’esthétique.
Ensuite, j’ai suivi mon mari, qui travaille dans les assurances, dans ses affectations successives à l’étranger. C’est ainsi que je suis revenue à Singapour en 2014, puis partie à Hong Kong en 2016, puis revenue de nouveau à Singapour en 2022.
Comment vous est venue l’idée de Uplifters ?
Quand
Comme beaucoup de Français, j’ai été très peinée de voir les sacrifices auxquelles elles devaient consentir et les difficultés auxquelles elles faisaient face. Elles quittent leurs foyers par nécessité financière pour travailler à l'étranger, dans des conditions souvent précaires. Selon l'Organisation Internationale du Travail, elles font partie des migrantes les plus vulnérables. Elles sont loin de leurs familles, vivent au domicile de leurs employeurs et même quand elles sont victimes d’abus, il est difficile pour elles de partir à cause des dettes souvent contractées pour obtenir leur emploi. Elles envoient l’essentiel de leur salaire à leurs familles et se trouvent ainsi dans une situation financière fragile, qui peut les amener à emprunter de l’argent à des usuriers peu scrupuleux et ainsi tomber dans une cercle vicieux d’endettement sans fin ; elles ne connaissent pas les codes, voire le langage, de leur pays d’accueil et ne sachent pas vers qui se tourner quand elles se trouvent en difficulté ; et elles souffrent de la séparation avec leurs proches et surtout leurs enfants, car elles ne retournent dans leur pays d’origine pour certaines que tous les deux ans ou moins et ne peuvent donc pas voir leurs enfants grandir.
Mon employée de maison, Yvonne a une licence en finances, mais n’avait pas pu trouver de travail bien payé aux Philippines. La seule différence entre nous deux, c’est que j’avais eu la chance de naître en France et d’avoir eu accès à des opportunités qu’elle n’avait pas eues. Elle n’avait aucune épargne, envoyait tout son salaire à sa famille et était ainsi à la merci du moindre aléa. Cette réalité m’a frappée : si une femme comme Yvonne n’avait rien mis de côté pour son avenir malgré des années à l’étranger, alors combien d'autres devaient être confrontées à des situations similaires ou pires ?
Je me suis alors dit qu’il y avait quelque chose à faire pour améliorer la vie de ces femmes. Lors de mon second séjour à Singapour, j’avais travaillé chez Aidha, organisation à but non lucratif qui offre des formations en présentiel aux employées de maison étrangères. J’y étais responsable d’un campus qui accueillait 700 nouveaux étudiantes chaque année, ce qui comprenait la gestion des équipes et des équipements du campus, l’organisation des activités, …
A travers mes échanges avec Yvonne, j’ai eu un déclic, il était possible d’être complémentaire d’organisations comme Aidha en offrant des formations en ligne, et gratuites, donc accessibles au plus grand nombre.
En effet, une formation en présentiel suppose une certaine disponibilité de leur part : or, beaucoup d’entre elles ne peuvent quitter que très rarement le domicile de leurs employeurs. D’autre part, toutes les employées de maison n’ont pas la chance que leurs employeurs subventionnent leurs formations.
C’est pour pallier ces deux problèmes que j’ai fondé Uplifters en 2018 à Hong Kong, où j’ai vu que les employées de maison étrangères y étaient exposées aux mêmes difficultés. Il y a quelques mois, j’ai ouvert une antenne à Singapour.
Qu’est ce qui caractérise Uplifters ?
Tout d’abord, Uplifters offre des formations en ligne, ce qui contourne le problème de la disponibilité des personnes. Les modules de formation peuvent être activés à n’importe quel moment sur mobile ou via les réseaux sociaux. Mon début de carrière en France m’avait évidemment préparée à ce type de service. Mais, Uplifters offre aussi la possibilité d’échanges avec d’autres étudiantes, ce qui crée un esprit de communauté, des liens d’amitié, et des partages d’expériences, propres à augmenter l’impact des formations et à briser le cercle de solitude dans lequel beaucoup se trouvent.
Ensuite, grâce à des donations, les formations sont gratuites, à la condition que les étudiantes suivent d’abord le module « Dare to dream », qui couvre la gestion de l’argent, le développement personnel, et bien-être mental. En effet, un des principaux pièges qui guettent ces employées de maison étrangères est l’absence d’épargne locale, qui les amène à recourir à des usuriers en cas de besoins urgents, et ainsi tomber dans un puits sans fond où elles doivent demander un prêt pour en rembourser un autre. Elles ont aussi du mal à refuser des demandes de leurs enfants, vis-à-vis desquelles elles se sentent coupables, et ainsi se mettent en difficulté financière. En fin de compte, beaucoup doivent revenir dans leurs pays dans une situation pire que celle qu’elles avaient quand elles l’avaient quitté, en contradiction avec le but même de leur migration. Mais il y a aussi des formations pour les aider dans leur rôle d’employée de maison dont une formation pour s’occuper des enfants. Nous avons aussi des formations pour les employeurs, pour les aider à avoir une relation de travail positive avec leur employée de maison et leur donner les outils pour la former si besoin.
Enfin, un module « peer coaching » permet aux anciennes étudiantes, de participer à la conception des programmes et à la formation des nouvelles. En effet, rien de tel que l’expérience de personnes ayant traversé les mêmes chemins pour trouver la bonne manière de faire passer les messages.
Uplifters est ainsi une ONG pour les employées de maison et par les employées de maison. Elle a contribué à bâtir une communauté solidaire et autosuffisante pour des femmes qui ont des parcours de vie difficiles. Plus de 10.000 femmes ont bénéficié de nos formations et nous avons plus de 50% de réussite sur nos programmes longs comme Dare to Dream (25 heures de formation sur 3 semaines). Plus de 50 femmes ont donné de leur temps pour soutenir leurs pairs. Plus de 80% des femmes qui ont bénéficié de Uplifters déclarent que cela a eu un impact majeur dans leur vie.
Comment avez-vous vécu la période COVID ?
Plutôt bien jusqu’à ce que nous l’attrapions. Alors à Hong Kong, mon mari et moi avons été contaminés et, selon les règles alors en usage, nous avons été envoyés à l’hôpital tandis que nos enfants alors âgés de 2 et 4 ans était en cellule d’isolement. Heureusement notre employée de maison, Yvonne, était là pour s’en occuper jusqu’à qu’elle soit elle aussi contaminée. Nous avons eu la chance qu’in extremis nos enfants puissent me rejoindre dans une chambre à l’hôpital et que cela ne soit pas une assistante sociale inconnue qui soit en charge d’eux dans la cellule d’isolement. Grâce à Yvonne, ils n’ont jamais eu peur ou le sentiment d’être abandonnés. Et nous avons tous appris à vivre dans un tout petit espace pendant quatre semaines !
Quelles sont vos activités au-delà de Uplifters ? A ce stade de nos vies, le quotidien est bien rempli, je m’occupe de nos jeunes enfants !
Pendant mes congés, je fais souvent de la randonnée. Par exemple, je viens de marcher une semaine au Japon en suivant le chemin du pèlerinage de Shikoku. J’aime aussi beaucoup courir, je me prépare en ce moment au semi-marathon d’Angkor Wat.