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L’eau à Singapour - De la vulnérabilité à la durabilité

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MacRitchie reservoir (copyright street directory)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 22 novembre 2021, mis à jour le 22 mai 2024

L’eau est un enjeu stratégique pour Singapour depuis son indépendance, compte tenu de sa densité de population croissante et de ses ressources en eau douce limitées. L’importation d’eau de Malaisie a été longtemps la principale source d’approvisionnement. Mais la remise en cause à plusieurs reprises par la Malaisie des conditions de cette fourniture a conduit Singapour à développer le recyclage des eaux usées et le dessalement de l’eau de mer, de façon à être aussi indépendant que possible. Par ailleurs, des campagnes de sensibilisation ont été menées pour inciter à un usage de l’eau plus économe.

 

Réactualisation d'un article rédigé par Catherine Soulas Baron pour lepetitjournal.com/singapour le 15 novembre 2018

Une dépendance préoccupante par rapport à la Malaisie

Bien avant la fondation de Singapour en tant qu’État souverain, les sources naturelles d’eau douce suffisaient amplement. Mais, face à la croissance démographique et économique du pays, ces ressources se sont très vite avérées insuffisantes. La Deuxième Guerre mondiale – le manque d’eau a été l’un des éléments contraignant les Britanniques à capituler – puis la pollution des rivières provoquèrent des rationnements en eau potable qui laissèrent un souvenir amer dans la mémoire collective. Face à une situation instable vis-à-vis de l’approvisionnement en eau potable, deux premières voies ont été suivies.

Tout d’abord, Singapour a œuvré pour récupérer le maximum d’eau de pluie tombant sur son territoire, en construisant des barrages de retenues à travers toute l’ile et en éliminant les sources de pollution qui pourraient contaminer cette eau de ruissellement, dont l’élevage des porcs. Aujourd’hui, 17 réservoirs permettent de collecter l’eau tombant sur 2/3 de la surface de l’ile et, en fonction de la météo, peuvent satisfaire 10% des besoins du pays.

Puis, sous l’impulsion de Lee Kuan Yew, deux traités furent signés en 1961 et en 1962 avec l’État de Johor, situé dans le sud de la Malaisie. Ces deux traités sont garantis par l’accord d’indépendance de Singapour, signé entre les deux États le 9 août 1965. Annulant un premier accord datant de 1927, le traité de 1961 permettait à Singapour, moyennant une faible compensation, de pomper sans restriction les eaux des rivières Tebrau et Scudai. En contrepartie, Singapour vendait à l’État de Johor l’équivalent de 12 % de l’eau pompée, en eau dûment filtrée. À l’expiration du traité, en 2011, Singapour restitua à Johor les installations de pompage et de purification en parfait état de marche. Le deuxième accord, signé en 1962, devrait prendre fin en 2061. Il donne le droit à Singapour de puiser jusqu’à 250 millions de gallons (près d’un million de m3) par jour dans la rivière Johor. En échange, Singapour doit vendre chaque jour à Johor l’équivalent de 2 % de l’eau importée en eau traitée que l’État malaisien paie ½ ringgit par 1 000 gallons, soit 0,043 S$ par m3.

 En 1990, la Malaisie a autorisé, moyennant compensation, la construction du barrage de Linggiu afin de faciliter le captage de l’eau de la rivière Johor. Singapour peut désormais acheter davantage d’eau, le prix de cet approvisionnement supplémentaire étant calculé selon une formule fixe. Les autres termes du traité de 1962 restent inchangés.

 

secheresse
Le réservoir de Linggiu en temps de sécheresse (copyright Todayonine)

 

Entre 1998 et 2003, il y a eu des tensions entre Singapour et la Malaisie, qui a entre autres choses chercher en vain à revaloriser le prix de l’eau vendue à Singapour au mépris des traités signés. Le sujet est revenu sur la table en 2018 avec le retour au pouvoir du Premier ministre de l’époque, Mahatir Mohamad. Là encore Singapour a tenu bon, en s’appuyant sur les termes des traités et sur la considération que, malgré les années, ces termes restaient équilibrés. La démission de Mahatir Mohamad et l’arrivée de la pandémie ont mis de nouveau ce sujet de côté. L’eau importée de Malaisie représente aujourd’hui environ 40% de l’eau consommée à Singapour, mais est sujette aux caprices du climat, comme on l’a vu en 2016, lorsque le barrage de Linggiu est tombé à 20% de sa capacité.

 

L’approvisionnement en eau durable, une priorité nationale

Afin de réduire la dépendance vis-à-vis de son voisin, alors que la demande en eau ne cessait de s’accroitre, des solutions d’approvisionnement alternatives ont dû être trouvées. Lee Kuan Yew avait ainsi fait de « l’approvisionnement en eau durable » une priorité nationale, prenant le pas sur toute autre politique, qu’elle soit sociale, économique ou militaire. Une question de survie pour Singapour ! Il a fallu injecter des moyens sans précédent, rationnaliser et innover.

Le rôle le plus important appartient à l’Agence de l’eau, la Public Utilities Board, créée en 1963. Ses missions sont multiples : elle définit la politique de gestion des ressources et gère l’approvisionnement, la production et la distribution de l’eau. Elle contrôle la qualité de l’eau et traite la collecte des eaux usées domestiques et industrielles. C’est encore elle qui forme les professionnels de l’eau – ingénieurs et techniciens – et qui finance la recherche et le développement. Enfin, elle communique et sensibilise la population à ces sujets sensibles.

C’est dans ce contexte qu’ont été développées deux nouvelles solutions pour approvisionner Singapour en eau.

 

De l’eau usée sur votre table ?

Dès les années 1970, le recyclage des eaux usées a fait l’objet d’études de faisabilité. Mais il a fallu attendre une vingtaine d’années pour que les technologies de membrane deviennent suffisamment économiques et fiables. En 2000, une première usine permettant de recycler 10.000 m3 d’eau usée en eau potable par jour a démarré et les résultats ont été concluants. La NEWater était née, et ses bouteilles en vente dans les supermarchés.

 

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Lee Kuan Yew dégustant la NEWater (copyright The Politic)

 

Aujourd’hui un vaste réseau souterrain (Deep Tunnel Sewerage System) achemine les eaux usées jusqu’aux cinq usines de retraitement. L’eau, purifiée grâce à des technologies très innovantes – microfiltration, osmose inverse et purification par irradiation aux rayonnements ultraviolets –, est redistribuée presque en totalité aux usines. 5 % sont reminéralisés et rendus propres à la consommation, même si la population est réticente à la boire. La première phase du Deep Tunnel Sewerage System a été terminée en 2008. La seconde sera achevée en 2025 et traversera toute l’île sur une longueur de 100 km. La NEWater peut fournir 40 % des besoins en eau de Singapour et espère couvrir 55 % des besoins en 2060, sachant que les industries utilisent aujourd’hui un peu plus de la moitié de l’eau consommée à Singapour et que ce ratio est estimé monter à 70% en 2060.

Vous pouvez aller visiter en famille l’usine de Changi. Vous y apprendrez énormément de choses, non seulement sur ces techniques de recyclage de l’eau, mais, d’une manière plus générale, sur la problématique de l’eau à Singapour.

 

Que d’eau, que d’eau !

Certains trouvent paradoxal qu’on puisse manquer d’eau sur une ile, par définition entourée d’eau. Mais transformer de l’eau de mer en eau potable ou utilisable par les industries n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Une première usine de dessalement de l’eau de mer a été mise en fonction en 2005, à Tuas, la seule au monde à utiliser la technique d’osmose inverse, très gourmande en énergie (3.5 kWh par m3). D’autres techniques sont à l’étude, comme l’électrodéionisation, qui pourrait diviser par d’eau la consommation d’énergie. Une deuxième usine, beaucoup plus grande, a été ouverte en 2013, toujours à Tuas. La troisième, Tuas Desaliantion Plant, inaugurée en juillet 2018, utilise un système de flottation à air dissous et ultrafiltration. La quatrième, qui a ouvert à Marina East en 2020, permet de traiter à la fois de l’eau de mer et de l’eau douce puisée dans le réservoir de Marina. Une cinquième est en cours de construction a Jurong. Elles peuvent satisfaire jusqu’à 30 % de la demande en eau de Singapour, qui est aujourd’hui de plus de 1.5 millions de m3 par jour.

 

usine de dessalement
L’usine de dessalement de Tuas (copyright Todayonline)

 

Parallèlement à sa politique de développement et de diversification de ses sources d’eau, Singapour cherche à en limiter la consommation.

La politique visionnaire de Singapour en matière de traitement de l’eau est devenue une référence mondiale. Mais elle reste vulnérable. On prévoit notamment un doublement de l’utilisation de l’eau d’ici 2060. Par ailleurs, les usines de désalinisation, supposées répondre à 80 % des besoins en 2060, sont extrêmement gourmandes en énergie. Enfin, elle reste encore grandement dépendante de la Malaisie.

C’est pourquoi des campagnes de sensibilisation ont été lancées pour inciter la population et les entreprises à être plus économe. Ajouté à une revalorisation du prix de l’eau de 30% entre 2017 et 2018, pour refléter la hausse des couts de production induite par les nouvelles sources, cela a porté ses fruits : la consommation d’eau résidentielle quotidienne par habitant est passée de 165 litres en 2000 à 141 litres en 2018, l’objectif étant de 130 en 2030. Pour référence, le français moyen consomme environ 110 litres d’eau par jour.

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