A Singapour, Pangdemonium fait partie de ces compagnies qui, en choisissant souvent de mettre en scène des sujets de société, s’attache avec humour et tendresse à provoquer la réflexion et fait bouger les lignes. Rencontre avec Adrian Pang, acteur charismatique, autour de la création de Pangdemonium, du théâtre à Singapour et des 3 pièces qui sont à l’affiche cette saison.
Comment décririez-vous le style de Pangdemonium?
Adrian Pang – Lorsque nous avons créé Pangdemonium en 2010 avec Tracie, c’était la concrétisation d’un rêve : avoir notre propre compagnie de théâtre pour produire les pièces que nous aimons et traiter des thèmes qui nous tiennent à cœur. Puis, au fil des deux premières saisons, Pangdemonium s’est forgé une identité. Comme un enfant qui grandit et construit sa propre personnalité pendant les premières années de sa vie, sous l’œil bienveillant de ses parents. C’est vrai que ce qui nous porte, nous stimule et nous émeut, c’est de raconter des histoires auxquelles les gens ne s'attendent pas forcément, qui vont peut-être même les mettre mal à l'aise ou leur faire peur, mais qui vont les interpeller et les pousser à réfléchir et à se questionner sur des sujets de société.
Sans perdre de vue l’aspect divertissement, nous voulons proposer un théâtre qui ne détourne pas nécessairement de la réalité mais qui pousse au contraire à y réfléchir.
Comment choisissez-vous les pièces que vous produisez ?
- Nous lisons beaucoup de scripts. Je commande des scripts sans arrêt ! C’est malheureux, mais je lis plus de scripts que de romans. Pire, je n’en lis souvent que la moitié. Si je n’accroche pas dès le début, je passe au suivant. Il est très rare qu’une pièce me saisisse dès les premières pages, mais quand ça arrive, je sais que c’est la bonne.
Et le fait est que, chaque année, sans qu’on le définisse volontairement à l’avance, un thème commun se détache des pièces que nous choisissons. Cette année, les trois pièces que nous présentons sont très différentes, mais elles traitent toutes, chacune à leur façon, des questions de l’identité, de la famille, du foyer et de l’espoir, dans un monde où règne le chaos.
Parlez-nous de ces 3 pièces. La première est une pièce française The Father, de Florian Zeller. Qu’est-ce qui vous a donné envie de la mettre en scène à Singapour ?
- J’avais entendu parler de Florian Zeller et de cette pièce. Il est connu et reconnu en France et internationalement. Quand j’ai lu le script, ça m’a tout de suite plu. C’est le genre d’écriture que j’adore. C’est drôle, intelligent, et en même temps complètement dérangé ! J’aime la construction du récit, ses incertitudes et ses répétitions. C’est génial ! Dans la pièce, on voit le monde à travers les yeux de ce vieil homme, atteint de la maladie d’Alzheimer. C’est très convainquant et théâtral. On a ainsi un aperçu de ce que ça peut être, combien cela doit être déroutant et terrifiant. En parlant de la maladie, la pièce parle surtout d’amour, de la famille, de la vérité et des relations humaines. La pièce d’origine se déroule en Europe, mais le thème est universel et transposable n’importe où, en particulier à Singapour.
La seconde pièce, Dragonflies, est une création de votre artiste en résidence, Stéphanie Street. De quoi s’agit-il?
- L’histoire de Dragonflies (libellules) se déroule en 2021 ; le changement climatique fait des ravages à travers le monde, le Brexit cause le chaos à travers l’Europe et Donald Trump a été réélu pour un deuxième mandat en tant que président des Etats-Unis. L’Angleterre et de nombreuses nations européennes ont instauré des lois anti-immigration. Le personnage principal, Leslie Chen, doit quitter l’Angleterre pour retourner dans son pays d’origine, Singapour, avec sa fille. C’est la première fois que nous présentons une pièce avec un contexte aussi prégnant, avec des enjeux globaux comme la politique, le changement climatique, les déplacements des populations, ... donc nous sommes un peu en terrain nouveau, mais il s’agit encore, in fine, d’hommes et femmes, et de l’histoire d’une famille et de quête d’identité. L’histoire d’un homme qui essaye de trouver un sens dans son monde qui s’effondre, et qui veut protéger sa fille adoptive. Il a perdu sa femme, sa patrie et cherche le salut, une lueur d’espoir. Nous ne prétendons pas avoir trouvé la solution pour changer le monde, mais nous essayons simplement de rappeler que dans ce monde, ce sont les gens, la compassion, l’entraide, les interactions de tous les jours qui nous font avancer chaque jour. C’est un sujet que nous tenions à aborder en particulier ici, à Singapour, où les gens ont un sentiment de sécurité profondément ancré et se sentent assez éloignés de ces crises humaines qui secouent le monde aujourd’hui.
Vous terminez avec Peter and the star catcher (Peter et la poussière d’étoiles), dont le ton paraît plus léger. Une note d’espoir ?
- Il s’agit de l’histoire revisitée de Peter Pan, comment ce petit garçon est devenu Peter Pan. Nous avons assisté à une représentation de la pièce à New-York, et j’ai été séduit par l’histoire de cet orphelin qui recherche une famille et un sens à sa vie. Au milieu de cette folle aventure de pirates et d’épées, de sauvages et de sirènes ridicules, cette histoire d’un garçon ordinaire en quête d’un espoir m’a ému. Alors, oui, il y a certainement un changement de ton par rapport aux deux autres pièces de la saison, mais derrière le côté magique, il y a une vraie réflexion.
Est-il difficile aujourd’hui de faire et produire du théâtre à Singapour ?
- Il est parfois difficile de traiter de certains sujets de société, comme la drogue ou l’homosexualité. Mais si nous le faisons et que nous gardons des scènes parfois explicites dans nos pièces, ce n’est pas par pure provocation, mais parce que cela sert la réflexion. Par exemple, dans The Pillowman, quand l’enquêteur principal prend un rail de coke sur scène, nous pointons du doigt à quel point il est misérable. Nous ne faisons pas l’apologie de la drogue mais évoquons l’usage de la drogue comme une échappatoire et une perte. Il est important de parler du mal être de certaines personnes, celui des jeunes en particulier. C’est difficile, mais ce n’est pas impossible. Il y a de nombreux échanges et négociations raisonnées avec le MDA sur certains sujets sensibles. Mais lorsque nous voulons produire une pièce, nous nous engageons pleinement et nous allons jusqu’au bout, et nous avons toujours réussi à réaliser nos projets.
La partie « production » d’une pièce de théâtre est-elle quelque chose qui vous plait ou que vous faites par obligation ?
- Ce n'est pas forcément ce que je préfère et ce n'est pas toujours facile, mais c'est aussi un immense privilège de faire un métier qui me passionne, de pouvoir choisir les projets que j’aime et de les mener jusqu'au bout. Parfois porter les deux casquettes d’acteur et de producteur est un peu délicat. J'ai eu une carrière d'acteur pendant 20 ans. Je suis heureux aujourd'hui d’être réellement partie prenante dans chaque pièce que nous produisons. Mais le vrai boss, c'est Tracie. Vraiment ! J'en plaisante très souvent mais ce n'est pas du tout une blague. C'est la réalité. Je suis son assistant. Elle met en scène toutes nos pièces. Sur le plan de la direction artistique, je suis dans son ombre. Nous faisons les choix artistiques ensemble, mais la scénographie, tous les rouages artistiques dans les moindres détails, la direction des acteurs et la vie de tous les jours de Pangdemonium, c'est elle !