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RENCONTRE - Amine Boussoffara : la photo, une éternelle recherche

Écrit par Lepetitjournal Tunis
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 octobre 2014

Amine Boussoffara est un photographe d'art, spécialisé dans l'architecture Mahdoise. Membre du club photo de Mahdia dans les années 1980, il a commencé à apprendre la photo argentique. En 1991, il s'installe en famille à Siliana et rentre l'été à Mahdia où il travaille dans les laboratoires photo, et y apprend toutes les techniques

Lepetitjournal.com : Quelles ont été vos premiers sujets de photo ?

Amine Boussoffara : Impressionné par le noir et blanc, j'étais un jour envoyé par mon patron pour réaliser le reportage photo d'un mariage. J'ai tout photographié en noir et blanc, et essayé d'apporter une dimension artistique. Le patron était furieux quand il a découvert mon travail. J'ai promis immédiatement de rembourser la pellicule, mais finalement les mariés ont adoré les photos. Cela n'avait jamais été fait en Tunisie, où les photos d'événement restaient très classiques et très "posées".

Avez-vous décidé d'en faire votre métier ?

Non, j'ai ensuite fait des études pour devenir informaticien. Grâce à mon travail, je peux régulièrement avancer et acheter de nouveaux appareils, ce qui aurait été impossible si j'avais commencé par la photo.

Ensuite j'ai commencé à vendre mes photos, qui étaient de style touristique, "carte postale".

Quand avez vous exposé pour la première fois ?

Ma première exposition était sur mon blog, et a été remarquée par une galeriste de Gand en Belgique. Elle s'appelait "Tunis 2010", et comportait uniquement des photos "murales", sans personnage.

Cette exposition a été une véritable relance artistique pour moi. Les photos ont été bien vendues, et j'ai surtout eu beaucoup d'encouragements, tant par les Belges que les Tunisiens.

Elle m'a permis également d'acheter mon premier REFLEX, et les accessoires. C'est avec cet appareil que j'ai photographié la révolution.

Ensuite j'ai participé à de nombreuses expositions de groupes.

Comment avez vous trouvé votre style si reconnaissable ?

Au début, j'avais tendance à faire de la carte postale, avec des personnages lointains. Puis avec les conseils d'artistes américains, belges, et tunisiens, j'ai appris à me rapprocher, à recadrer, à rendre les personnages vivants, en mouvement.

Quelle est votre méthode de travail ?

Je fais énormément de repèrages. Tout d'abord les ombres, les lumières, en fonction des heures. Je repère ensuite les personnages qui m'inspirent et que je souhaite "immortaliser" : par exemple, les dames en safsari. Je note leurs habitudes, les heures de sortie, de courses ... Elles finissent pas me repérer à leur tour, puis la confiance s'installe, les conversations débutent : "vous avez aimé notre quartier" .... pour finir, les femmes s'habituent à moi, ne me remarquent plus, je fais partie du paysage et là elles sont naturelles, je ne les gêne pas, je peux les photographier.

Comment est née l'exposition si particulière, à Kallaline ?

Nous sommes partis en repérage, avec mon ami Saïf Chaabane qui est un excellent portraitiste, pour réaliser les portraits des vendeurs du marché Kallaline. Ma première idée était de faire une exposition sur mon blog. Puis lors des dicussions avec les marchands, nous leur avions promis un portrait sur bois, en échange de leur participation. Et là nous nous sommes aperçus que les vendeurs exposaient spontanément leur photo à côté d'eux ou sur les fruits et légumes, et c'est là que nous avons eu le déclic : pourquoi ne pas faire l'exposition ici, et faire découvrir ou re-découvrir le marché ?

Quel est votre prochain projet ?

Me fondre dans le quartier "le combattant" à Djebel Ahmar (la montagne rouge), qui compte 3000 personnes. Très peu photographié ou filmé, j'ai eu envie de raconter son histoire, celle de ses habitants. Beaucoup sont liés à l'histoire de Lampedusa. Il compte parmi les quartiers les plus anciens directement après l'indépendance.

Comment allez vous procéder ?

Je vais régulièrement dans les petits cafés, je discute, je fais connaissance avec les gens, je prends des contacts. Je veux me plonger complètement dans leur univers pour pouvoir retranscrire en photo ce qu'il émane de ce quartier et de ses habitants.

Ici on trouve le tunisien simple, authentique, le temps est suspendu. L'ambiance, l'esthétique, le mouvement me rappellent mon enfance.

J'aimerais aussi photographier des quartiers beaucoup plus secrets qui sont aussi dangereux, comme Hay el Noor, mais il est impossible d'y rentrer sans payer pour être protégé et prendre des photos, c'est très compliqué.

La photo pour vous, c'est une manière de raconter une histoire ?

La photographie réussie c'est la capacité de ressentir et d'analyser les choses, et de pouvoir les reproduire avec ton appareil.

C'est une des raisons pour lesquelles je continue à faire des photos de mariage, mais en évitant absolument l'aspect figé qui ne rend pas les effets de ce moment exceptionnel à leur juste valeur.
J'aime beaucoup l'ambiance des mariages tunsiens, il y a de la culture, de l'ambiance, du folklore.

Quelles sont les photos que vous n'avez pas pu faire ?

J'ai essayé de faire un photo reportage sur les niqabées, pour comprendre leur choix. Certaines optent pour le niqab volontairement, d'autres sont poussées par leur mari. Celles que j'ai rencontrées sont pour la plupart des jeunes femmes qui ont fait de la prison, qui sont rejetées totalement par la société et même par leur propre famille. Seules, avec un passé de drogue ou de prostitution, elles sont récupérées par un "parrain" un "émir". Ce sont des recruteurs. Leur but est de leur réapprendre une vie saine basée sur l'Islam, ou une certaine interprétation de l'Islam. Elles suivent, ainsi que les hommes recrutés, une thérapie militaire : lever aux aurores, respect des prières, cigarettes et alcool bannis. Ils sont "récupérés par la prière", on leur offre chaque jour les repas et l'accès à l'hygiène, mais aussi vêtements et logement.
Ils sont incités à franchir toutes les étapes, de l'apprentissage de l'islam, au mariage, à l'obtention de grades comme "abu", et pour finir l'accès au jihad, qui n'est pas une obligation de l'Islam, mais plutôt un mot détourné par les radicaux afin de lancer leur groupe armé dans un but purement politique.  Tout cela est très encadré par des instituteurs, des instructeurs et parfois payé.

C'était donc trop difficile de transmettre par la photographie, car ces jeunes femmes qui devaient faire l'objet de mon reportage font partie de la 3e catégorie : celles qui sont totalement dirigées et ne peuvent pas parler librement. 

Quelle est la prochaine étape dans votre recherche ?

Je suis en perpétuelle recherche, j'ai envie de changer de style pour découvrir de nouveaux horizons.
J'ai rencontré dernièrement un critique d'art spécialisé dans la photo et qui n'a pas du tout aimé mes photos, trop "architecturales" pour lui. Il m'a vivement conseillé de me remettre en question.

Cela m'a fait beaucoup réfléchir, et j'ai commencé à échafauder un nouveau style, j'ai l'ambition d'y arriver. Je veux faire un travail universel, artistique et humain !! je suis en train d'évoluer, je présenterai je l'espère, ce nouveau travail l'année prochaine.

Voir plus de photos ICI

Propos recueillis par Isabelle Enault (www.lepetitjournal.com/tunis) lundi 6 octobre 2014

Voir son premier blog ICI
Voir son blog Flickr ICI

 

BIBLIOGRAPHIE

"Les fantômes de la révolution" - Stories of change - Beyond the arab spring (world press photo)

Dégage, une révolution

Irada (volonté) 

logofbtunisie
Publié le 6 octobre 2014, mis à jour le 6 octobre 2014

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