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La revanche de la Pologne 1980 - 2009 : du bâillon à la reconstruction

Le journaliste Renaud Girard, qui était présent lors du 33e Forum économique de Karpacz, a publié une chronique lundi 9 septembre, dans le quotidien Le Figaro, où il décrypte la transformation de la Pologne. En effet, pour lui, si « pendant plus de sept générations, les Français n’éprouvaient que de la compassion quand ils parlaient de la Pologne » ; de nos jours « ils peuvent désormais l'admirer, voire l'envier, sans arrière-pensée, tant le progrès de ce pays de 38 millions d'habitants a été constant ». Nous avons choisi de remonter le cours de l’Histoire afin de comprendre, malgré les griffures du passé, comment la Pologne en est arrivée à tirer son épingle du jeu. Le premier volet de ce dossier en deux parties, démarre dans les années 1980.

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Photo : Bénédicte Mezeix-Rytwiński - Exposition, Musée de la vie PRL à Varsovie
Écrit par Joémy Romeyer
Publié le 22 septembre 2024, mis à jour le 17 octobre 2024

La fragilisation de l’URSS et l’avènement d’un nationalisme polonais en expansion

Pour bien comprendre le boom économique que connaît actuellement la Pologne, il est nécessaire de faire un saut dans l’histoire du pays afin de recontextualiser cette reprise de l’économie. Premièrement, il s’agit de s’intéresser à la fin du communisme en Pologne. 

 

💡 Qu’est-ce que le communisme soviétique ? 

Le communisme, tel qu’il a été mis en place par Staline puis par les autres dirigeants de l’URSS (Union des républiques socialistes et soviétiques), s’est construit autour de plusieurs grands axes.

Le premier est la collectivisation des terres c’est-à-dire la mise en commun des parcelles agricoles dans de grandes fermes communes, du nom de kolkhozes.

Ensuite, vient la promotion de l’égalité totale : aucune différence de revenu n’est tolérée (excepté pour les membres du parti communiste, la nomenklatura). On procède donc à la dékoulakisation (liquidation des koulaks) ou la destruction de la classe bourgeoise.

De plus, le régime institutionnalise la propagande afin d’avoir un contrôle total sur les médias du pays.

Enfin, au sein de l’URSS, s’établit une répression féroce avec la police politique KGB (Komitet gossoudarstvennoï bezopasnosti) et les camps du goulag (Glavnoïé OUpravlenié LAGereï) où sont internés les dissidents politiques, les minorités sexuelles ou bien de simples citoyens victimes de procès souvent arbitraires et inéquitables. 

 

Dès le début des années 1980, la nation polonaise comprend que le système de l’économie planifiée ne fonctionne pas. En effet, l’inflation ne cesse de grimper et les produits alimentaires commencent à manquer. Malgré plusieurs tentatives, le chef du Parti ouvrier unifié polonais (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza), Edward Gierek ne parvient pas à redresser le pays.  

 

💡 L’économie planifiée, co to jest ?

Une économie est dite planifiée lorsqu’un État ou un organisme étatique fixe et impose des objectifs de production aux entreprises dans le cadre d’un plan annuel, voire pluriannuel. Dans le cas de l’URSS, c’était le Gosplan qui jouait ce rôle.

 

Pour toutes ces raisons, commencent à se former des mouvements prônant un libéralisme tant politique qu’économique pour la Pologne. Le plus connu d’entre eux est Solidarność, du nom de la fédération de syndicats dirigée à l'origine par Lech Wałęsa. Profitant du fait que l’Armée rouge est embourbée en Afghanistan, Solidarność commence à organiser des manifestations dont le point de départ est le port de Gdańsk. Or, l’URSS parvient à réagir en positionnant à la tête de l’État polonais un militaire, Wojciech Jaruzelski, qui instaure la loi martiale – interdisant toute manifestation – dès 1981. 


13 décembre 1981 : le général Wojciech Jaruzelski déclare la guerre à Solidarność

 

Cependant, le mouvement est soutenu par de nombreux pays européens. Ainsi, selon René Girard, dans sa chronique publiée dans Le Figaro, le 9 septembre : « À l'émergence du mouvement ouvrier Solidarność contre l'autoritarisme communiste en août 1980, les Français furent [dans] les premiers à aider la Pologne, à y envoyer des colis, à recueillir ses réfugiés. » Le pays reçoit également l’appui du premier pape polonais, Jean Paul II. Celui-ci, en liaison étroite avec les services secrets états-uniens, va favoriser la diffusion de médias clandestins libéraux et pro-européens, à l’image de Radio Free Europe par exemple. 

Pendant ce temps, la situation économique de la Pologne continue de s’aggraver, car toute réforme libérale est proscrite dans le cadre de la doctrine Brejnev, dictée par Moscou, selon laquelle tout État communiste doit le rester. 

Il faut attendre l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev et le début de la perestroïka pour qu’enfin, en 1988, le Parti ouvrier unifié polonais doive gouverner avec Solidarność grâce à la fin de la doctrine Brejnev de la souveraineté limitée.

Les partis communistes de chaque république sont désormais indépendants. Cet évènement fait de la Pologne le premier pays européen à sortir du communisme soviétique.  

 

La sortie du communisme comme annonciatrice d’une reprise économique sans pareil

Si dès le début des années 1980, l’URSS est en perte de vitesse, en 1989, il n’y a plus de doute : le communisme soviétique est en train de s'effondrer.

Dès l’été 1989, Mikhaïl Gorbatchev annonce la fin de l’antagonisme entre communisme et capitalisme avec la création de la Maison commune européenne. 

 

💡 La Maison commune européenne, co to jest ? 

La Maison commune européenne est une initiative de Mikhaïl Gorbatchev qui avait pour but de fusionner l’OTAN et le Pacte de Varsovie, de dénucléariser l’Europe et de construire un marché commun européen. Or, cette initiative ne porte pas ses fruits et constitue un échec.

 

Le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin annonce la fin de l’URSS qui sera dissoute deux ans plus tard, le 25 décembre 1991. 

Dès la chute du mur, la Pologne s’ouvre au commerce international et commence même à organiser des rencontres économiques comme lors du Forum économique de Karpacz dont la première édition se tient en 1991. 

 

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L’adhésion à l’Union européenne, un appui non négligeable à la reconstruction polonaise post-communiste

C’est en 2004 que la Pologne voit sa demande d’adhésion à l’Union européenne acceptée, en même temps que les demandes des autres pays du groupe de Visegrad. En effet, la Pologne possède alors un marché libre, garantit les droits humains et possède un système judiciaire équitable et impartial.

Néanmoins, il faut remonter quelques années en arrière : dès 1998, la Pologne commence à échanger et à signer des accords de coopération commerciale avec l’Union Européenne. Pourtant, cette dynamique a du mal à lui faire rattraper son retard sur les autres pays européens, et ce, tout au long des années 1990 et 2000. 

 

PIB/habitant en parité de pouvoir d'achat
Source : Commons.wikimedia.org 
Abscisses : Temps (en année).
Ordonnées : PIB/habitant en parité de pouvoir d'achat (mesure économique permettant de mesurer le pouvoir d'achat dans un pays ayant une autre unité monétaire que le dollar) avec le dollar comme monnaie de référence.

L’Union européenne va donc être l'une des principales sources de la reprise économique polonaise, et ce, pour deux raisons. 

D'une part, la Pologne va bénéficier de subventions de l’UE, pour permettre au pays de rattraper son retard économique issu de sa période communiste. Ces fonds vont être principalement investis en infrastructures (écoles, hôpitaux, transports…), dans le secteur de l’énergie ou encore dans celui de l’agriculture.

C’est ce qui fait dire à René Girard, toujours dans les colonnes de Le Figaro, que « la Pologne a remarquablement bien utilisé les considérables subsides qu'elle a reçu de Bruxelles pour rénover ses infrastructures. » 

D'autre part, la Pologne va commencer à intéresser les investisseurs étrangers grâce à son fort potentiel de dynamisme économique. Si la fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été difficiles pour la Pologne avec un chômage en hausse, son entrée officielle dans l’UE en 2004 conforte les investisseurs étrangers mais aussi les entrepreneurs locaux. C’est par exemple le cas de Sanofi qui crée sa filiale polonaise cette année-là ou de Danone, quelques années plus tard en 2009.

 

Un moment de doute : la crise de 2008-2009 

Si, avec la crise des subprimes, bon nombre d’économies s’effondrent notamment à l’Ouest ; la Pologne montre une résilience surprenante à ce choc économique. En effet, contrairement à d'autres pays (comme l’Espagne), la Pologne ne connaît que peu de récession. 

 

PIB par habitant de la Pologne
Source : Data.worldbank.org 
Légende : évolution du PIB/habitant de la Pologne par rapport au temps (en année). 

 

PIB par habitant de l'Espagne
Source : Data.worldbank.org
Légende : évolution du PIB/habitant de l'Espagne par rapport au temps (en année). 

 

💡 Petit mémo sur la crise des subprimes :

Le point de départ de la crise sont les subprimes (ou prêts hypothécaires à haut risque). Ces derniers vont faire l'objet d'une titrisation par les banques états-uniennes, de sorte que ces prêts à risque se retrouvent dans des titres financiers normaux, à faible ou sans risque.

Mais, la Réserve fédérale des États-Unis a peu à peu augmenté ses taux directeurs, ce qui rend les prêts immobiliers moins intéressants et plus coûteux pour les ménages. Les ménages les plus précaires ayant contracté un subprime ont souvent dû hypothéquer leur logement à leur banque. Le nombre de biens immobiliers sur le marché grimpe en flèche alors que la demande n’augmente pas. 

Ce mécanisme va déclencher la faillite de plusieurs banques comme la célèbre Lehman Brothers. Avec la mondialisation, la crise finit par toucher, de manière plus ou moins forte, tous les pays ayant des liens commerciaux avec les États-Unis.


 

La revanche de la Pologne 2020 - 2025 : du bon élève désavoué au retour en grâce

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