Le 24 mars 2024, je décide de partir une journée, depuis Biała Podlaska, jusque dans la petite bourgade de Terespol, ce n’est pas bien compliqué : c’est le terminus du train. Seule dans mon wagon… pardon, dans ma voiture voyageurs, je descends et découvre une gare lugubre, Dworzec PKP Terespol. Tripadvisor, Lubelskie Travel, Trip.com et autres sites sont formels : la seule raison valable de se rendre à Terespol, c’est pour aller au poste-frontière avec le Bélarus. Je m’y suis donc rendue et ces 3 km de trajet m’ont apporté un nouvel éclairage sur les tensions entre la Pologne et son voisin présidé par Alexandre Loukachenko. Je vous livre mes impressions : entre écriture cyrillique, billets de banques bélarusses, files d’attente interminables au poste-frontière et ronde des avions de l’OTAN, c’est une journée qui m’a transportée dans un autre univers, avec la guerre, à la fois invisible et bien présente. C'était il y a 3 mois, mais il en est malheureusement de même encore aujourd'hui...
Détour historique
Józef Bogusław Słuszka, châtelain de Vilnius, fonde la ville en l’honneur de sa femme, Teresa Gosiewska, en 1697, d'où vient le nom de Terespol. Une église y est construite et des moines dominicains y élisent domicile.
L'ancienne splendeur de la ville de Terespol a laissé des traces à travers ses bâtiments historiques, d’un harmonieux développement entre les différentes religions. Ainsi cohabitent des églises catholiques romaines, des églises orthodoxes, des cimetières gréco-catholiques avec un Mizar tatar ou encore un cimetière juif.
L'histoire de la Polonaise Terespol est liée à celle de la forteresse de Brest, actuellement au Bélarus, dont elle a pu bénéficier du rayonnement. C’est à la suite du développement du bastion de Brest en 1913 par les Russes, où tout est recentralisé, que Terespol perd brusquement de son importance.
Le poste-frontière de Terespol, reflet des tensions entre la Pologne et le Bélarus
À 3 kilomètres de la gare, Dworzec PKP Terespol se situe le poste-frontière avec le Bélarus, Przejście graniczne Terespol-Brześć, et à quelques encablures, Brest-Litovsk, Brześć Litewski, ville connue pour avoir accueilli la signature du traité de paix entre l’Allemagne et la Russie en mars 1918.
Actuellement, en juin 2024, il y a deux points de passage routiers à la frontière polono-bélarusse. Il s’agit du poste-frontière de Terespol-Brest, réservé aux voitures et aux piétons et le point de passage de Kukuryki-Kozłowicze, par lequel passent les camions. Pour les particuliers, Terespol est ainsi la seule porte de passage vers le Bélarus pour les Polonais, et vers la Pologne pour les Bélarusses.
Spectatrice d’un tour de passe-passe
Dès ma sortie du train, je remarque que l’ambiance est très différente des autres gares polonaises : tout est écrit en cyrillique, parfois plus mis en évidence que les inscriptions polonaises.
Alors que rien ne me presse, je suis happée par un tourbillon de personnes qui se massent vers un arrêt de car devant la gare ; ce car leur permet de rejoindre le Bélarus, mais à l’évidence, il n’y a pas de places pour tout le monde. Quelque peu effarée, j'assiste à la corruption de ce chauffeur en billets bélarusses, qui laisse monter les plus offrants.
La ruée vers le Bélarus
Je décide de me rendre au poste-frontière, mais à pied. Il n’est pas possible de passer le poste-frontière sans visa valide pour le Bélarus, c’est-à-dire sans invitation officielle : je suis donc toujours restée du côté polonais.
Je ne croise personne sur mon chemin, mais à l'approche du poste-frontière, c’est une ribambelle de petites boutiques de changes qui m’indiquent l’arrivée.
Ce poste-frontière est pour les voitures et les piétons. Très peu de personnes traversent venant du côté polonais, alors que du côté bélarusse, les choses sont différentes, ils sont nombreux à tenter de rejoindre la Pologne. Je ne sais cependant pas si ce sont des Bélarusses ou des Polonais qui, avec les difficultés du passage de cette frontière “Wracam do kraju”.
Côté voiture, la file d’attente au poste-frontière est longue. Par curiosité, j’ai regardé sur Google Maps, qui indiquait quasiment un kilomètre de bouchon de véhicules qui attendaient pour passer la frontière.
Terespol : ville jumelée ou jumelle de Brest-Litovsk ?
Pendant ces quelques heures à Terespol, j’ai pu constater une forte perméabilité de la ville aux influences bélarusses.
M'abritant de quelques gouttes de pluie sous le parvis d’une petite boutique de change, la vendeuse me parle en bélarusse. Je bafouille quelques mots en polonais, mais je me sens rapidement un peu prise en étau, et je sens bien qu’elle exige que je change quelques złoty en roubles bélarusses, беларускі рубель. Je balaye du regard cette boutique miteuse et je comprends rapidement que c’est dans un business parallèle que j’ai mis les pieds : des cartes postales, en soutien à l’armée de la Mère-Patrie [la Russie] sont proposées à la vente.
L’omniprésence de la langue bélarusse dans l’espace public à Terespol est vraiment une spécificité de cet endroit : je ne l’ai pas retrouvée dans d’autres frontières. Je suis allée plusieurs fois à la frontière avec l’Ukraine, en 2022 et 2023, à Przemyśl, et je n’ai pas vu autant de traduction en Ukrainien. Il y en avait bien sûr, mais c’était plus des traductions temporaires, pour les réfugiés, alors qu’ici je constate que ce sont des panneaux qui s’inscrivent dans la durée.
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J’avais pu noter la même chose aux postes-frontières de Korcowa-Krakowiec, Przejście graniczne Korczowa-Krakowiec, à la frontière polono-ukrainienne, les traductions n’étaient pas omniprésentes. Ce bilinguisme, que j’ai retrouvé partout à Terespol, a été pour moi l’un des plus grands étonnements de la journée.
Un petit air de guerre des étoiles
Sur le chemin du retour, j’observe une ronde d’avions militaires volant autour de la ville, faisant suite au survol de l’espace aérien polonais quelques heures plus tôt par un missile russe.
Le 24 mars 2024, peu avant 5 heures du matin, un missile russe avait été observé par des radars militaires polonais au-dessus de l’espace aérien national. Oserdów, village de la voïvodie de Lublin situé à 2 km de la frontière avec l’Ukraine où le missile a été repéré, est soudainement devenu le point d’attention de toute l’armée polonaise ainsi que des politiques.
Ce n’est pas la première fois qu’un missile russe viole l’espace aérien polonais : en 2023, les restes d’un probable missile russe avaient été retrouvés dans une forêt, à plus de 500 km de la frontière avec la Russie.
Si le missile n’est pas tombé sur le sol polonais, les tensions, elles, ne sont pas retombées après cet incident. L’ambassadeur de Russie en Pologne, Sergueï Andreev, convoqué pour des explications, n'est pas venu et assume : « J’ai considéré qu'il était absurde de discuter de ce sujet sans que des preuves soient fournies ». Malgré les fortes tensions entre les gouvernements polonais et russes, ces refus diplomatiques sont des pratiques restées rares dans l’histoire.
Ambasador Federacji Rosyjskiej w Polsce Pan Siergiej Andriejew nie przybył dziś do siedziby MSZ. Zastanawiamy się, czy wykonuje instrukcje MSZ w Moskwie i czy jest w stanie właściwie reprezentować w Warszawie interesy Rosji.
— Ministerstwo Spraw Zagranicznych RP (@MSZ_RP) March 25, 2024
| Rzecznik MSZ w oświadczeniu dla mediów pic.twitter.com/Gyq1jj4kaD
Mardi 26 mars 2024, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Andrzej Szejna, avait déclaré dans une interview accordée à la station de radio RMF24 que :
« l’OTAN analyse divers concepts » [ pour répondre de manière adéquate à ces attaques hybrides ] « y compris en abattant des missiles lorsqu'ils sont très proches de la frontière de l'OTAN ». Andrzej Szejna, vice-ministre polonais des Affaires étrangères, mardi 26 mars 2024
" NATO analizuje różne koncepcje” "w tym zestrzeliwania rakiet, gdy są one bardzo blisko granicy NATO”. Andrzej Szejna, vice-ministre polonais des Affaires étrangères, mardi 26 mars 2024
C’est une nouvelle boîte de Pandore que le gouvernement polonais a ouverte : la possibilité qu’un pays membre de l’OTAN abatte un missile russe encore en Ukraine, car il menace potentiellement son territoire. À l’heure où j’écris cet article, le 27 mai 2024, l’OTAN ne s’est pas prononcé sur cette question.