Après avoir vécu sur trois continents, la sculptrice française Val s’est installée en Thaïlande en 2003. Inspirée par l’Asie et portée par les aléas des rencontres, elle y a développé son art avec une patte singulière, se faisant en quelques années un nom dans les milieux d'art internationaux. Pour cette autodidacte, l’éloignement de la terre natale fut un facteur déterminant. Pour autant, elle ne renie pas ses racines et les revendique au contraire. Rencontre avec la lauréate du Trophée Art de Vivre des Français de l'étranger
Valérie Goutard a découvert et pris goût à la sculpture il y a 15 ans, en France. "Une véritable révélation, un électrochoc, un véritable retour à la nature", se souvient-elle. Arrivée à Bangkok en 2003, c’est en Thaïlande qu’elle a affirmé ses talents d’artiste avec comme fil rouge "l'homme et sa relation avec son environnement". Avec une faculté particulière à saisir des postures, des attitudes typiquement humaines, universelles ou résolument intimes, les œuvres de Val mettent en scène des personnages en bronze campés sur des structures architecturales épurées. Son travail se caractérise par une forte notion de liberté. Liberté qu’elle ressent dès le départ, dans sa recherche d’inspiration - "J’aime utiliser des matériaux avec lesquels on part de rien", nous disait-elle en 2007 en parlant de l’argile qu’elle utilise. Liberté qui ressort aussi de son travail, à travers le mouvement de ses personnages et l’ouverture des architectures dans lesquelles ils évoluent. Sa relation à la nature et à l’urbanisme sont aussi des composantes fondamentales de sa création.
Un peu plus de dix ans après sa première exposition, à Bangkok, les œuvres de Val ont été vues dans de nombreux pays d’Europe, d’Asie et d’Océanie: Thaïlande, France, Chine, Hong Kong, Singapour, Taiwan, Australie, Singapour, Belgique, Pays-bas. Il est même possible d’admirer certaines de ses créations sur des lieux publics comme le parvis de l’hôtel Sofitel Sukhumvit à Bangkok ou encore sur l'avenue Nanjing, l'une des artères les plus animées de Shanghaï.
LePetitJournal.com l’avait rencontrée la première fois en 2007, puis encore en 2010 et 2013. Cette année, fort de son parcours exceptionnel, le jury du Trophée des Français de l’étranger a décidé de récompenser Val en lui remettant le Trophée Art de Vivre lors de la grande soirée du Trophée des Français de l’étranger, le 17 mars. Avant de prendre l’avion pour Paris, elle a bien voulu répondre à nos questions.
LEPETITJOURNAL.COM - Pourquoi êtes-vous partie vivre hors de l’hexagone ?
VAL - Cela vient d’une vraie volonté de vivre à l’étranger, de quitter la France à un moment donné. Je gardais des souvenirs de voyage en Afrique et en Amérique du Sud quand j’étais enfant et adolescente, qui avaient enrichi ma vision du monde et m’avaient offert des images de paysages extraordinaires.
Et puis j’aime me sentir française à l’étranger. Je trouve que l’on y acquière un sentiment d’indépendance.
J’aime parler français dans la rue et que les gens autour ne puissent pas comprendre ce que je dis. Cette notion de se sentir étranger dans un pays est quelque chose qui me convient tout à fait, il me semble circuler en électron beaucoup plus libre.
Pourquoi l’Asie ?
Il ne s’agit pas d’une volonté préméditée. Je me voyais plutôt partir en Amérique du sud car je parlais espagnol couramment. Et aussi parce que c’est un continent qui m’avait offert ses grands espaces, ses grands paysages, les Andes, la terre de feu, la mer, la littérature, des cultures, il y a une histoire ancienne, etc.
Mais il s’est trouvé qu’une opportunité s’est présentée pour la Thaïlande. Et cela a été une chance folle pour moi car il y a en Thaïlande une tradition du bronze, avec beaucoup de fonderies dont certaines ont un vrai savoir-faire, et en sculpture monumentale, et dans le processus du bronze tel qu’on le vit aujourd’hui avec des moules en élastomère et des moules en céramique. Et donc j’ai énormément appris avec ces fonderies, particulièrement celle d’Ayutthaya avec laquelle je travaille depuis le début.
Qu’est-ce que le fait de vivre à l’étranger d’une manière générale vous a apporté dans votre parcours ?
En fait, vivre à l’étranger, cela permet de voir que le modèle que l’on connait n’est pas forcément unique. Et cela permet du coup d’interroger ce modèle. Cela ne veut pas dire qu’on le renie, c’est juste que l’on est capable de s’interroger sur le bien fondé des différents éléments qui le constituent, d’en garder certains, d’en modifier d’autres, d’en rejeter, etc. Et aussi de s’interroger sur ce que l’on veut faire de sa vie, le sens que l’on veut lui donner, sur les notions de famille, de vie professionnelle, d’argent, les notions de temps, de vie, de mort, bref, toutes ces questions pratiques, existentielles ou philosophiques.
On a tout d’un coup sous les yeux des modèles radicalement différents de ceux que l’on a connus auparavant et cela surprend. Et cette idée d’être surpris et étonné, c’est à mon sens la base pour pouvoir voir qu’il y a des choses merveilleuses qui se passent, pouvoir être en interrogation permanente et savoir que l’on peut douter, on peut oser, que des freins que l’on ressentait n’ont pas forcément lieu d’être et que des choses que l’on pensait comme acquises ne sont pas forcément aussi définitives qu’il y parait.
Le fait d’être à l’étranger m’a également permis de ressentir cette liberté d’oser. Je n’ai pas été confrontée au jugement. Il y a moins d’a priori en Asie que l’on peut en ressentir en France. Je viens d’un milieu qui n’est pas du tout lié à l’art, je n’avais donc aucune connexion dans ce milieu, pas de formation en art ni en sculpture et je crois qu’en France il aurait probablement été beaucoup plus difficile de me faire ma place. Là, je suis partie librement, avec ma bonne foi, mes mains et ma bonne volonté.
Et puis la sculpture, le bronze est quelque chose qui coûte très cher, et en Asie j’ai bénéficié de coûts plus limités, je n’ai pas eu à monter une entreprise d’emblée, bref, j’ai pu faire mes démarrages dans mon coin.
Quels freins ou difficultés avez-vous ressentis du fait d’être à l’étranger ?
Quand on vit à l’étranger, il y a bien entendu des règles à respecter. J’ai eu une période compliquée dans ma vie - que beaucoup de gens qui habitent ici peuvent rencontrer - où j’avais une inquiétude par rapport à mon statut qui pouvait paraitre précaire à certains moments–je n’avais pas encore de société, pas de permis de travail, etc. Et ce sont des Thaïlandais qui m’ont aidée. Ma fonderie qui m’a fourni un permis de travail, pendant une courte période mais cela m’a soulagée et libérée.
L’autre aspect est que, financièrement, j’ai également connu des périodes un peu tendues. Et lorsque l’on est en Thaïlande, ou à l’étranger de manière générale, on est face à soi-même pour se débrouiller par rapport à cela. Mais j’avais une vraie volonté de pouvoir me débrouiller, de pouvoir payer mon loyer sans avoir à réclamer d’argent à qui que ce soit. On n’a pas d’aides, ici, mais en même temps, c’est un stimulateur extraordinaire.
Il y a un sens de la responsabilité et une capacité de rebond en Thaïlande que je trouve complètement extraordinaire et qui génère un certain élan vital. Je pense que cela est lié au fait que, même s’il y a une entraide familiale, chacun sait qu’il est responsable de sa vie et de soi.
On ne se perd pas en circonvolution. On fait les choses telles qu’on doit les faire, sans se poser de question. Et le travail fait partie de la vie, même lorsque la vie devient extrêmement difficile comme on l’a vu lors des inondations de 2011 quand des familles ont perdu toutes leurs affaires et leur travail pendant une longue période : dès que le coup dur est passé, tout le monde se remet au travail sans poser de questions. Et ce cela pousse toujours vers l’avant.
Qu’est-ce que la Thaïlande - ou l’Asie - apportent à votre inspiration ?
Je commence à prendre conscience de l’influence qu’a pu avoir l’Asie, ou peut-être plus particulièrement la Thaïlande, sur ma manière d’appréhender et de vivre les choses. Mon travail est éminemment intuitif et instinctif et donc, l’évolution de ma philosophie, de mon caractère ou de ma maturité ces dix dernières années est évidemment teintée d’Asie et se retrouve dans mon travail.
Par exemple, la notion du temps est un aspect sur lequel j’ai fortement évolué, je ne le force plus. Mon rythme de travail et le temps qui se déroule semble maintenant plus concomitant et c’est incroyablement confortable. J'ai la perception au quotidien d’un temps qui de déroule en secondes et quand je regarde en arrière il me semble que les choses ont avancé incroyablement vite toutes ces années.
Quelque chose qui est très fortement ancré en moi aujourd’hui, c’est cette capacité à admirer tout d’un coup une nouvelle fleur dans mon jardin, à observer un oiseau. Ce sont des images de l’instant, et je pense que l’Asie est très forte sur cette capacité de savoir savourer l’instant, le respirer à plein poumon tel qu’il vient.
D’ailleurs, quand il s’agit d’un instant négatif, lorsque cet instant s’arrête, on ne s’y appesantit pas, on passe à autre chose.
Il y a aussi cette notion de mouvement, d’énergie. La nature est tellement foisonnante dans les pays tropicaux que l’on ressent presque cette nature qui pousse. En observant des zones qui ont été durement inondées il y a trois ans, on a l’impression de ne plus en voir les stigmates. Tout est revenu de manière foisonnante, à l’identique. On pourrait pratiquement voir l’herbe pousser !
Cette force qui pousse est quelque chose que je ressens aussi dans l’urbanité, à Bangkok, à Shanghai, à Hong Kong - peut-être moins à Singapour qui a des aspects un peu plus policés. On sent une vibration, une trépidation de la ville qui m’envahit complètement. A New Delhi, c’était tel que cela m’avait carrément déstabilisée.
C’est une espèce de vibration qui sourd de la terre, que ce soit dans l’Asie urbaine ou l’Asie rurale, et nous donne la force de nous lever le matin et d’avancer.
Quel est l’apport de la France dans tout cela ?
Tout d’abord la France m’a apporté une langue que j’adore. Je lis énormément et j’écris beaucoup - que pour moi - ce qui m’aide à poser mes idées. J’ai l’amour du mot et de la langue française. Cela fait partie de moi.
Il y a d’ailleurs des échanges et des apports réels entre la littérature et mon travail.
Je pense par exemple à François Cheng, Chinois naturalisé français membre de l’Académie française. Ses écrits m’ont apporté énormément et m’ont aidée à mettre une passerelle entre l’Orient et l’Occident, à réaliser que je pouvais être entre ces deux mondes et que l’on pouvait l’être confortablement. Il m’a aussi aidée à mettre des mots sur des choses que je pressentais. Le philosophe Lucien Jerphagnon m’a aussi transportée, Virginia Woolf a des phrases d’une contemporanéité extraordinaire, etc. Toutes ces lectures, que ce soit des philosophes ou des écrivains, ont une influence dans mon travail. Je fonctionne beaucoup par ricochet d’idées. Du coup,il peut y avoir une phrase que je lis à un moment donné, cela va me donner une idée par rapport à un développement de ce que je cherche à dire avec mon travail. Cela aide vraiment mon cheminement de pensées, cela m’aide vraiment à approfondir mon travail.
Ensuite, évidemment, il y a toute la culture française. Quand j’ai commencé la sculpture, je n’avais pas vraiment une grande culture des arts plastiques.Et du coup, je suis partie de manière beaucoup plus libre, sans avoir d’image pré-ancrée dans mon esprit. Et aujourd’hui, alors que ma direction est plus affirmée, je me rouvre beaucoup plus sur la culture. A chaque voyage à Paris, c’est un véritable bonheur d’aller dans les expositions. A Noël par exemple, je suis allée au Louvre-Lens où j’ai eu des chocs incroyables avec des sculptures de l’antiquité. Je suis allée visiter la fondation Vuitton, d’abord parce que j’aime beaucoup le travail de Frank Gehry – l’architecte de la fondation Vuitton – que j’ai découvert après qu’une personne m’aie dit qu’une de mes sculptures (Ville fantastique) lui rappelait ses architectures. Et, par hasard, je suis tombée là-bas sur une exposition lumineuse d’Olafur Eliasson qui m’a laissée pantoise. Paris m’a aussi offert l’exposition Bill Viola au Grand Palais, qui a également été un choc incroyable.
Il y a aussi la beauté de Paris avec ses bâtiments, ses architectures, son histoire, etc.
Comment le lui rendez-vous à la France ?
De manière indirecte, je suis Française et je ne m’en cache pas du tout. Quand je fais un salon à Taipei, un salon à Shanghai, une exposition à Singapour, etc. et bien tout le monde vient voir le travail d’une artiste française. Et donc, j’ai l’impression de participer au rayonnement de la France à l’étranger, et j’en suis très fière et très heureuse. Et c’est vrai (rires) !
Pensez-vous que vous auriez pu réaliser les mêmes choses en étant en France ?
Même si je me sens très Française, je pense que je n’aurais jamais pu réaliser le parcours que j’ai fait si j’étais restée en France. L’une des raisons est propre à moi-même et vient du fait que j’avais besoin de couper le cordon ombilical. Mais j’avais aussi besoin de me sentir libre d’oser, car quand vous vous lancez dans un métier où personne ne vous a jamais imaginée et que vous avez deux enfants, cela peut générer une certaine inquiétude dans votre entourage. Du fait d’être loin, je ne tombais pas dans l’inquiétude, et c’est tant mieux car l’inquiétude est quelque chose qui bride complètement, c’est lié à la peur et cela empêche l’élan.
Qu’est-ce que vous évoque la France ?
Des architectures fantastiques, un patrimoine fabuleux. Mais c’est aussi des personnalités. Je rencontre un grand nombre de Français qui ont des vies passionnantes... La France c’est aussi une éducation. Il y a énormément de Français, qui ont une vraie volonté d’entreprise quels que soient les domaines. Et aujourd’hui cette volonté entrepreneuriale irradie énormément à l’étranger. La France est très présente. Quand je me balade en Asie, il y a de nombreux Français qui ont trouvé leur place, qui sont reconnus pour leur savoir-faire, ils ont créé de belles entreprises. Il y a un véritable rayonnement et une image de ce rayonnement et de cette culture à l’étranger qui est très positive.
Quelle est votre relation avec la France ?
Je me sens très étrangère quand je reviens en France aujourd’hui. Un peu comme quand je suis à Bangkok. Je suis étrangère dans les deux cas, en fait.
Néanmoins, j’y ai mes racines, ma famille est là-bas. Mes enfants sont repartis en France pour y étudier après leur bac. Je suis vraiment très attachée à la France, à la beauté de ses villes mais aussi de ses paysages. Il y a des variations de climat, de faune et de flore, il y a une culture, un amour du beau qui est réel, une gastronomie qui est fantastique.
La France, j’y retourne toujours avec grand plaisir. J’y suis allée quatre fois par an ces deux dernières années.
Il y a des personnes en France que je retrouve à chaque fois avec plaisir, on a des échanges sur toutes sortes de sujets qui m’apportent énormément. Je pense particulièrement à un sculpteur bien plus âgé que moi avec qui on a des échanges d’expérience qui, en plus, me procurent ce sentiment d’appartenance au monde de l’art et à la culture française. Cela me fait grand plaisir, car aujourd’hui, mon travail se vend beaucoup plus en Asie qu’en France et, le jour où la France,… l’Europe, m’accueillera comme je le suis en Asie, et bien j’en serai vraiment ravie, ce sera comme une boucle qui se refermera.
Voir aussi le site Internet de Val
Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC mercredi 18 mars 2015