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Claude Onesta : «La nature de la performance est en danger»

Dans le 2e volet de notre entretien exclusif avec Claude Onesta, lors de la journée de l’APM à Phuket, nous nous sommes un peu éloignés du management pour revenir à sa passion viscérale: le sport !

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Claude Onesta, coach emblématique de l’équipe de France de handball et responsable de la Haute performance française pour les JO de Paris
Écrit par Franck S.
Publié le 8 avril 2025

Lepetitjournal.com : Quelques mois après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, que devenez-vous ?

Claude Onesta : Le projet olympique et paralympique m’a nourri et épuisé. J’ai peut-être vécu le dernier épisode, mais aussi le plus important, de ma vie professionnelle. Je l’ai pris comme une mission plus que comme une fonction. Avoir à transformer son monde pour les dizaines d’années à venir, ce n’est pas rien ! L’environnement n’était pas simple mais j’étais le seul à pouvoir me protéger de lui parce que mes résultats me protègent. Et j’avais besoin que ma liberté de penser soit protégée. Mais honnêtement, le projet m’a rincé. Je suis allé au bout de quelque chose. Je ne porterai plus de charge aussi lourde. Je n’en ai plus ni la force ni l’envie. Je peux maintenant être un accompagnateur, un consultant. Témoigner et transmettre, ce n’est pas peu.

 

LPJ : Vous êtes considéré en France, par les connaisseurs, comme le coach parmi les coachs, parce que vous êtes le plus titré mais pas seulement. Est-ce un cocktail de prédispositions, de don, de travail ?

C.O. : Le Bleu Blanc Rouge est dans mon ADN. J’ai toujours pensé que j’y participerais un jour, sans répliquer ce qui a été fait. Je ne l’analysais pas en termes de capacités. Ça ne représentait juste pas quelque chose d’inaccessible. Avant l’équipe de France, je travaillais à la Fédération française de handball et j’étais entraîneur à Toulouse, là où j’avais aussi été joueur, mon club de toujours.

 

J’étais le mec qui pouvait gagner sans moyens

Je n’avais pas de moyens. Je savais donc que si je faisais comme les autres, je ne gagnerais jamais. Il fallait regarder ailleurs.
Quand je suis arrivé en équipe de France, j’étais un énergumène. J’étais le mec qui pouvait gagner sans moyens. Je n’avais pas de certitudes mais pas peur d’aller voir ailleurs ce qui se passait.

 

LPJ : On se dit parfois que cette génération extraordinaire avec laquelle vous avez tant gagné aurait obtenu les mêmes résultats avec n’importe quel coach parce qu’elle comportait quasiment le meilleur joueur du monde à chaque poste. Plusieurs, à tour de rôle, ont même été élus meilleur joueur du monde. En quoi est-ce vrai ou pas vrai ?

C.O. : Je pense que ce n’est pas vrai. Sans mon staff, nos joueurs auraient eu des performances épisodiques. Ils avaient suffisamment de talent pour réussir quel que soit le coach, mais ce que nous avons mis en place est indispensable pour obtenir une continuité aussi solide.

Les médias veulent raconter de belles histoires. Le coach, lui, doit être efficace.

Ensuite, il y a la réalité d’une équipe, d’une génération, et la légende qui l’accompagne. Prenons le cas de nos ailiers. Mickaël Guigou est un génie de ce sport mais pas le plus performant à ce poste. Luc Abalo est un génie extraordinaire mais pas toujours capable de réaliser les choses simples.

Les médias veulent raconter de belles histoires. Le coach, lui, doit être efficace. Je ne craignais pas les joueurs. Je provoquais Nikola Karabatic ou Thierry Omeyer lorsqu’ils avaient été un peu en-dessous et cela compte dans un parcours. C’est ce qui fait la différence entre les équipes qui gagnent et celles qui regagnent.

Le potentiel de l’équipe actuelle est supérieur à celui de l’équipe que j’ai eu à diriger

Je vais ajouter quelque chose qui va peut-être vous surprendre. Je suis convaincu que le potentiel de l’équipe actuelle est supérieur à celui de l’équipe que j’ai eu à diriger. Excepté peut-être le poste de gardien. Quoique, il faut attendre un peu pour le savoir. Peu de gens savent que Thierry Omeyer, avant de devenir le meilleur gardien du monde, n’a pas été pris au bataillon de Joinville, le bataillon des sportifs de haut niveau lorsque le service militaire existait encore. Jeune, son niveau n’était pas avéré. C’est de toute façon le poste sur lequel la performance arrive le plus tard.

La nouvelle génération devrait aller chercher de grands titres

La nouvelle génération devrait aller chercher de grands titres. Elle est mieux répartie et plus homogène. Il me manquait, par exemple et pour être un peu technique, un gaucher à l’arrière droit. J’ai dû y faire jouer Jérôme Fernandez, joueur extraordinaire mais droitier.

J’en profite pour rendre hommage à Cédric Burdet, qui va nous chercher le titre olympique à Pekin. Si j’avais écouté les médias, les autres joueurs et ma famille, je ne l’aurais pas pris. Le coach ne doit pas chercher à plaire à tout le monde. Nous n’avions pas d’atomes crochus mais je me suis dit qu’un jour, il nous serait utile. Je crois ne pas m’être trompé…

Ils n’auraient pas dû être champions d’Europe 

 

LPJ : Comment avez-vous vécu leur premier tour incompréhensible pour nous, puis leur folle élimination des Jeux de Paris ?

C.O. : Sur l’erreur qui entraîne élimination, la faute est collective. Tous - le coach, les joueurs - ont une réponse fausse. C’est une situation que chacun a déjà vécue. J’en ai discuté avec Guillaume Gille, le coach de l’équipe de France, après. Pourquoi n’a-t-il pas pris un temps mort très directif ? Il m’a expliqué comment il l’a vécu. C’est un problème de leadership. Dinka Mem a dit : « je prends les affaires en main ». Il est fan de NBA. Là-bas, dans ces moments-là, c’est à la star de gérer la situation. Les autres l’ont laissé faire. Il y a eu un manque de décision forte.

 

LPJ : Vous l’avez vécu en coach ou en supporter ?

C.O. : Je l’ai vécu en coach. J’étais devant la télé avec plein de monde la Maison de la performance. Je suis parti à dix minutes de la fin parce que je le sentais. J’ai regardé à l’extérieur, sur un grand écran. J’aurais pu écrire toutes les pages. J’étais frustré. Ça m’était insupportable. Pendant les minutes qui ont suivi, personne ne pouvait me parler.
Pour revenir à leur tournoi plus globalement, le problème est assez simple : ils n’auraient pas dû être champions d’Europe en début d’année. Leur victoire est hasardeuse et presque chanceuse.
Il s’agit, comme parfois, d’une réussite anormale. Ils sont arrivés trop sûrs d’eux aux JO.

 

LPJ : Ce que vous avez construit dans le hand semble tout de même pérenne…

C.O. : Pour le hand, l’épisode Dinard est soldé et je m’y associe, j’en ai déjà parlé. Je n’ai pas su le gérer à temps, c’est un fait. J’ai tout de même fait venir Guillaume Gille dans le jeu quand j’ai senti le problème arriver. J’ai plaidé pour qu’il ait le temps de travailler. Il l’a fait et il ne mérite pas le procès qu’on lui fait parfois. Il a pris les rênes et est immédiatement devenu champion olympique en 2021. Auparavant, il avait été champion du monde aux côtés de Didier Dinard et il est devenu champion d’Europe en 2024. Il a remporté les trois titres et je crois donc, en effet, qu’on peut parler de pérennité.

Les Jeux c’est la conquête, c’est arracher les médailles aux autres

 

LPJ : On quitte donc le hand pour la préparation des JO. Avez-vous vraiment préparé et réparé les coachs comme les athlètes en vue de Paris 2024 ?

C.O. : C’est vrai. J’ai vécu Tokyo, trois ans avant Paris, dans l’ambiance Covid. J’allais de site en site sans contrainte. J’ai observé et côtoyé les équipes au plus près. J’en ai tiré le constat que nous avions de de bons entraîneurs, mais pas d’acteurs capables de faire gagner les athlètes. Les entraîneurs faisaient progresser leurs athlètes, mais devenaient observateurs au moment de la compétition. Pourtant, quel est leur métier sinon éviter cet échec ? Ils n’étaient pas au rendez-vous de la conquête. Les Jeux c’est la conquête, c’est arracher les médailles aux autres.

 

LPJ : Peut-on revenir sur le plus bel exemple de votre méthode et de sa réussite : la façon dont vous avez recadré l’équipe de BMX qui avait lamentablement échoué à Tokyo et a réussi le triplé à Paris ?

C.O. : Je les ai vus à Tokyo, j’étais au stade. Ils étaient tous les trois en finale. Nous avions donc trois chances sur sept de décrocher une médaille. Et j’assiste à leur auto-destruction. Lorsque je retrouve l’entraîneur, plusieurs mois après, dans un séminaire de coachs, il me dit que ce qui s’est passé est normal parce qu’il n’y aura jamais de projet partagé chez eux. Je lui ai répondu que le premier à éliminer c’était donc lui, que si personne, ni lui ni les athlètes, ne voulait partager un projet, il n’y aurait plus de crédits pour sa discipline. J’agis donc sur lui, puis je vais les voir en stage et on transforme l’essai.
Je suis spectateur à Paris et je les vois faire un, deux et trois. Lorsque les deux premiers passent la ligne et se retournent pour voir si le troisième les suit, je me dis qu’on a réussi. Le président de la République se retourne vers moi pouce levé, mais sans connaître l’histoire.

 

LPJ : Ce qui est vrai et faisable dans les « petites » disciplines, l’est-il dans les disciplines plus médiatiques et riches ?

C.O. : L’intelligence peut et, évidemment, doit s’exprimer dans toutes les disciplines, qu’elles soient plus médiatiques ou plus confidentielles. Prenons l’exemple de Léon Marchand. C’est quelqu’un qui a besoin de son émancipation mais aussi de ses racines. L’intelligence du système c’est d’associer Nicolas Castel, son entraîneur à Toulouse, et Bob Bowman, son entraîneur aux États-Unis.
L’intelligence de Bowman c’est de maintenir Castel dans le jeu. C’est ce qu’on appelle l’intelligence collective.

Le potentiel existe et il existera encore à Los Angeles

 

LPJ : Beaucoup de Français étaient sceptiques quant aux capacités de nos athlètes à se hisser à la hauteur de l’événement pour rapporter un nombre record de médailles, ce qui est souvent le cas pour les pays hôtes. Honnêtement, et vous ?

C.O. : Je me suis dit que je devais convaincre mes collègues coachs que c’était possible. J’ai demandé à Emmanuel Macron dix millions et sept postes pour que des gars aillent sur le terrain à la rencontre et au soutien de tous ces coachs. Il m’a dit qu’il était d’accord si Matignon était d’accord. Jean Castex était alors Premier ministre et il avait été, avant cela, délégué interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques et parallèlement le premier président de l’Agence nationale du sport. Nous étions donc devenus copains et il n’a pas été très difficile de le convaincre que ce n’était pas la peine de traiter les athlètes si les coachs étaient dépressifs. Ainsi est né le Plan coachs qui a grandement participé aux résultats que nous avons enregistrés.

 

LPJ : Êtes-vous inquiet des restrictions budgétaires pour ce qui n’est pas prioritaire bien qu’indispensable, c’est-à-dire notamment la culture et le sport ?

C.O. : Si je n’avais pas peur, je serais naïf. On est rattrapé par un monde politique court-termiste. À côté de lui, l’administration veut reprendre la main. Tout cela n’est pas bon. Donc oui, la nature de la performance est en danger. Il appartient à ceux qui ont la chance de le pouvoir de faire perdurer les idées.

 

LPJ : Si votre action a été pérennisée dans le monde du hand, êtes-vous optimiste quant à l’avenir olympique des équipes de France, notamment à Los Angeles en 2028 ?

C.O. : Nous avons fini cinquième nation à Paris. On aurait pu, avec un peu de réussite, signer un résultat exceptionnel et finir troisième. Le potentiel existe, évidemment, et il existera encore à Los Angeles. S’il n’y a pas de résultats, c’est que nos décideurs n’auront pas pris les bonnes décisions. La performance met du temps à se mettre en œuvre mais peut se débrancher très vite.
Quelqu’un de mon équipe a aujourd’hui pris ma suite. Si on lui en donne les moyens, ça marchera. Si on lui enlève des moyens, ça n’ira plus.
 

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