Spécialisé dans la mode, le design et les arts visuels, le groupe québécois LCI Education a inauguré le 8 octobre dernier son nouveau campus à Barcelone. Un bâtiment flambant neuf de 11.000 mètres carrés à Poblenou, le quartier des nouvelles technologies de Barcelone, qui pourra accueillir jusqu'à 3.500 étudiants, soit trois fois plus qu'avant. Présent à Barcelone depuis 2012, LCI Education forme des étudiants venus du monde entier et propose des licences, masters et doctorats. Propriétaire du Collège LaSalle à Montréal, LCI Education veut faire du campus de Barcelone son nouveau hub européen. Rencontre avec Claude Marchand, 40 ans, CEO du groupe né à Montréal.
Je vois énormément de similarités entre Montréal et Barcelone, par notre langue et notre culture que nous tentons de préserver, sans se fermer aux autres évidemment.
Pouvez-vous nous présenter le groupe LCI Education ?
LCI Education, c'est une communauté d'apprenants qui est présente dans cinq continents au travers de 12 institutions. Nous sommes nés à Montréal en 1959 avec le collège LaSalle et depuis nous sommes restés une organisation familiale. Je suis tombé dedans quand j'étais petit puisque mon père a été directeur général du Collège de la Salle à Montréal pendant 40 ans. Nous nous sommes exportés au Maroc en 1989. Aujourd'hui, en plus de Barcelone, nous avons des campus en Colombie, au Costa Rica, en Australie ou encore en Indonésie.
Racontez-nous l'histoire de LCI à Barcelone.
Le rêve de s'établir en Europe est vraiment né il y a quinze ans. On avait déjà des écoles un peu partout dans le monde, principalement dans des pays émergents. Mais on se disait qu'on ne pourrait jamais être reconnus mondialement comme institution leader en design sans avoir une place en Europe. Donc ce rêve-là a commencé il y a il y a quinze ans, mais nous avons atterri à Barcelone il y a douze ans en rachetant la « Felicidad Duce », la première école de mode d'Espagne, basée à Barcelone.
LCI est donc spécialisé dans la mode ?
La mode est le programme phare de LCI depuis ses débuts. A Barcelone, les racines de LCI viennent de la mode à travers la « Felicidad Duce ». C'est ce qui nous porte. Cela dit, nous avons entrepris un grand virage et nous avons développé d'autres filières. On a ajouté cinq autres spécialisations qui aujourd'hui attirent de nombreux étudiants. Notre école a une belle reconnaissance dans le domaine de l'animation, du jeu vidéo, du design d'intérieur, du design graphique, de la communication et bien sûr de la mode.
Quand j'ai visité pour la première fois le 22@, je me suis dit que c'était le quartier idéal.
Parlez-nous un peu de ce nouveau campus et de ce bâtiment flambant neuf. Pourquoi ce besoin de s'agrandir ici dans le 22@, le quartier des nouvelles technologies de Barcelone ?
Quand j'ai visité pour la première fois le 22@, je me suis dit que c'était le quartier idéal car Barcelone voulait y développer un district de l'innovation. On voyait que ça allait attirer les grandes entreprises, mais aussi les institutions d'enseignement supérieur. Aujourd'hui, on a pour voisin le campus de l'Université Pompeu Fabra. Il y a le musée du Design qui est à deux pas d'ici et on se trouve au milieu d'un écosystème de startups. Mais je dois dire que les Barcelonais qui me conseillent avaient un peu peur car il s'agissait de déplacer l'école de Gracia à Poblenou. Il y avait une certaine crainte à l'idée de sortir du cœur de la ville. Mais dix ans plus tard, force est de constater que c'est la place où une institution comme la nôtre doit être.
Ce bâtiment a mis sept ans à voir le jour. Il a coûté 31 millions d'euros. A quoi ressemble-t-il ?
On ne voulait pas construire le bâtiment de l'école parfaite en 2024. On avait une vision beaucoup plus long terme, et assez futuriste de ce que serait l'école de demain. Et puis on voulait une école qui soit ouverte sur son environnement et sur sa communauté, et pas seulement tournée vers l'interne. Donc on a beaucoup de salles qui sont ouvertes vers l'extérieur. C'est pour la lumière, mais aussi pour que les étudiants puissent circuler. Sur trois étages, il est possible de circuler à l'extérieur et d’observer ce qui s'y passe. Un élément clé du projet, c'est aussi la place publique au pied de l'immeuble et tous les arbres que nous avons pu conserver. Enfin il était très important pour nous de choisir des architectes barcelonais, en l'occurrence Fernando Ansorena et Ivan Serrano de Circular Studio, qui ont fait un travail remarquable.
Et ici, vous n'avez pas forcément beaucoup de salles de cours ?
La Covid nous a démontré que les étudiants peuvent apprendre certaines choses de partout. Donc, dans ces 11.000 mètres carrés, on doit leur apporter une valeur ajoutée. On a des FabLabs spécialisés, des studios photos et des espaces de travail.
Nous avons 30 % d'étudiants internationaux issus de 130 pays différents.
Essayez-vous d'attirer des étudiants étrangers ?
Nous avons 30 % d'étudiants internationaux issus de 130 pays différents. Nos programmes sont en espagnol et depuis cette année, ils sont également offerts en anglais. Moi, je suis Québécois francophone, je suis né dans la ville de Laval. Alors certains détracteurs pourraient dire « Ah, vous allez angliciser la Catalogne, vous allez angliciser Barcelone ». Moi, je répondrais qu'on va vous amener des Colombiens, des Américains ou des Australiens qui font le choix de Barcelone. Il faut le prendre comme un compliment, parce que ces jeunes pourraient aller partout ailleurs. Donc oui, au début, on doit démarrer en anglais, mais ils ne pourront pas rester indifférents à la forte présence catalane dans l'institution et dans la ville, ni à l'espagnol.
Justement, le français est une langue minoritaire au Canada. Quel regard portez-vous sur les débats qui existent à Barcelone sur le surtourisme, l'affaiblissement du catalan et ce sentiment parfois d'un trop-plein d'expatriés ?
Je ne suis pas à l'extérieur de ces débats. Je me considère comme pleinement impliqué dans ces débats. Je suis un Québécois fier et un francophone fier. Donc je peux très bien imaginer ce que les Catalans peuvent ressentir. Mais à Montréal comme à Barcelone, il faut prendre l'arrivée des expatriés comme un compliment et ensuite il faut miser sur notre culture et notre langue pour vraiment les gagner par le cœur et par l'esprit.
Pourquoi avoir choisi Barcelone pour s'installer il y a 12 ans et pour désormais y créer votre hub européen ?
Un Français ou un étudiant international peut sans doute avoir envie de faire des études de mode à Paris ou dans une autre grande ville de mode comme Londres, Milan ou New York. Mais pour améliorer la créativité, je crois beaucoup au pouvoir des villes que j'appellerais “challenger”. Le combat de Barcelone et le combat de Montréal est le même. Ce sont des villes excessivement créatives qui ont une proposition de valeur différente des villes de l'establishment.
Barcelone et Montréal ont donc des choses en commun ?
Je vois énormément de similarités entre Montréal et Barcelone, par notre langue et notre culture que nous tentons de préserver, sans se fermer aux autres évidemment. Ce n'est pas un hasard si Barcelone et Montréal sont reconnues comme des villes aussi créatives. Le fait d'être des nations qui sont une minorité dans un ensemble plus grand éveille en nous ce sentiment de survie. Dans les métiers créatifs qui nous concernent, ça fonctionne très bien. Ce sentiment fait naître l'innovation. C'est bon pour l'art et c'est bon pour la culture.