Ils sont venus vivre à Barcelone parce que la ville les a séduits, mais cette séduction qui agit également sur les millions de touristes visitant chaque année la capitale catalane a des effets désagréables sur les Français installés ici. Témoignages.
Avec plus de 7,2 millions de visiteurs enregistrés entre janvier et août 2024, Barcelone pourrait à nouveau battre cette année des records de fréquentation touristique. Le bureau « Destination Barcelone », chargé de promouvoir la destination, s'en réjouit : l'an dernier, la ville proprement dite a reçu un total de 15,6 millions de personnes, soit près de 26 millions de touristes pour l'ensemble du district de Barcelone. Et cet été, la fréquentation a augmenté de 7,5%.
Nathalie est beaucoup moins enthousiaste que « Destination Barcelone » au regard du flux croissant de touristes qu'elle a pu observer cet été depuis son balcon perché au-dessus d'une ruelle de la Barceloneta, puisque ce quartier ouvert sur la plage est l'un des plus fréquentés de la cité. Arrivée à Barcelone dans le cadre d'un stage de fin d'études il y a trois ans, la jeune Française a décidé de rester pour travailler dans un groupe de téléphonie. « Quand je me suis installée dans ce petit appartement, mes parents ont d'abord payé le loyer de 850 euros, ce qui me paraissait déjà cher pour 50 mètres carrés. Mais en réalité, je crois que les prix étaient alors modérés par la chute de fréquentation touristique liée au Covid... Aujourd'hui, il est compliqué de trouver un endroit où loger pour moins de 1.000 euros par mois dans le coin ».
De fait, Nathalie se demande comment elle fera lorsque le bail arrivera à échéance et qu'elle devra affronter une inévitable augmentation, même si ses parents continuent à l'aider. « De toute façon, les charges locatives représentent les deux tiers de mon salaire, et je serais bien icapable d'en assumer seule le coût ». La Française a donc commencé à chercher d'autres logements plus accessibles, quitte à s'éloigner du centre de la capitale catalane.
Barcelone a décidé de freiner la saturation touristique
Gentrification et nuisances en tous genres à Barcelone
« Ça devient de plus en plus difficile de vivre dans le centre-ville ou les alentours », confirme Victor, qui habite dans le quartier de Poble Sec, et qui dénonce également cette gentrification directement liée au tourisme. Avec toutes les nuisances qui s'ensuivent. Sur son palier du troisième étage d'un immeuble de la rue Concordia, le couple qui vivait là depuis vingt ans a fini par rendre les clés après plusieurs mois sans payer le loyer.
« Je les connaissais bien », dit le Français, « ils avaient un petit salaire pour deux et ne parvenaient plus à faire face à l'augmentation du prix du loyer, qui a été multiplié par quatre en quinze ans ». L'appartement laissé vacant vient d'être racheté par un fonds d'investissement américain. Victor redoute qu'il soit transformé en appartement touristique, comme c'est le cas juste au dessus de chez lui, au quatrième étage : « En plus des allers-venues incessantes, le bruit est parfois insupportable, parce que les touristes restent quelquefois dans l'appartement à faire la fête toute la nuit, en mettant la musique à fond et en beuglant. Il y a déjà eu des disputes sévères entre des touristes de passage et des voisins, et la police est intervenue plusieurs fois ».
Paradoxalement, Victor gagne sa vie avec ce genre de « business », puisqu'il travaille dans une centrale de réservation touristique ! Et il s'estime heureux d'avoir ce logement, alors que nombre de ses collègues sont obligés de cohabiter avec d'autres locataires pour parvenir à assumer le prix de leur loyer.
Occupation à outrance de l'espace public
Chloé a connu cette expérience « communautaire » avant de s'installer dans le quartier de Gracia, également très fréquenté par les touristes, mais un peu à l'égard de la « masse ». La Française, qui vit à Barcelone depuis près de vingt ans, a réussi à s'acheter un appartement près du Parc Güell juste après la grande crise financière de 2008. « Aujourd'hui, ce serait presque impossible pour moi ici, parce que les prix ont explosé à cause de l'afflux des touristes ».
Ces monuments de Barcelone épinglés comme pièges à touristes en 2024
Mais ce qui la gêne surtout dans cette inflation touristique, c'est l'occupation à outrance de l'espace public : « Quand je me suis installée dans cet appartement, j'avais l'habitude d'aller pique-niquer au Parc Güell avec les amis de passage, et de profiter de la vue sur la ville ; aujourd'hui, l'entrée du parc est devenue payante sur réservation, et même si les résidents des alentours peuvent y accéder, ça devient une sorte de barnum qui a totalement perdu son côté familial et convivial ».
Avec la massification du tourisme, l'ambiance se dégrade, c'est évident.
« Davantage de pollution »
Dans la calle Princesa du quartier de Ciutat Vella, près du musée Picasso, Antoine fait le même constat... en pire : « Il est vrai que j'aime bien l'animation de ces rues, mais là, ça devient n'importe quoi ! Tous les magasins de cette zone sont transformés en boutiques de souvenirs ou de téléphones, et puis on commence à sentir une insécurité dont les premières victimes sont d'ailleurs souvent les touristes qui se font arracher leurs sacs ou carrément braquer... Avec la massification du tourisme, l'ambiance se dégrade, c'est évident ».
Au point que ce Français de 37 ans a décidé de rejoindre une association de quartier pour la « décroissance touristique », afin de dénoncer publiquement les impacts négatifs du tourisme à Barcelone : « En plus de contribuer de manière significative à l'expulsion des résidents et à la gentrification, c'est aussi un facteur de précarisation de l'emploi. Sans oublier toutes les conséquences néfastes en termes de pollution, car ce tourisme de masse favorise le trafic d'avions et de bateaux de croisières ».
Les membres de cette association ne croient pas beaucoup aux promesses du maire de Barcelone, Jaume Collboni, de ne plus octroyer aucune nouvelle licence de location des logements résidentiels à des fins touristiques et de ne pas renouveler les autorisations en cours des 10.000 maisons ou appartements touristiques actuellement disponibles dans la capitale catalane. « Les promesses n'engagent que ceux qui y croient », ironise Antoine, qui rappelle que les loyers à Barcelone ont grimpé de 68% au cours des dix dernières années, et que les prix de d'achat de l'immobilier ont augmenté de 38%. « Et selon moi, ce n'est pas près de s'arrêter, pas plus que la fréquentation touristique ».