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BORIS CYRULNIK – « Le héros, c’est celui qui révèle une faiblesse »

Écrit par Hélène Boyé
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 15 novembre 2016


Le psychanalyste français, pape du concept de résilience, était de passage au Salon du livre francophone de Beyrouth pour son dernier ouvrage Ivres paradis, bonheurs héroïques . Entretien.

Photo : Boris Cyrulnik et Hélène Boyé - lepetitjournal.com/Beyrouth
Lepetitjournal.com/Beyrouth : Pourquoi avons-nous besoin de héros dans nos vies ?
Boris Cyrulnik : Le héros, c'est celui qui révèle une faiblesse. Quand on est enfant, on est petit et faible. Quand on est enfant, on a besoin de héros.

Le premier héros, c'est maman ; le deuxième héros c'est papa. Le père arrive après parce que la mère, lorsqu'elle est enceinte, marque les premières empreintes dans le psychisme de l'enfant. S'il n'y a pas de père ou de deuxième référent affectif équivalent, l'enfant n'a plus qu'une seule -personne à aimer et devient prisonnier de l'affection de sa mère. Le père joue le rôle de « séparateur ». Lorsque l'enfant arrive à l'adolescence, il continue à aimer sa mère et établir d'autres relations affectives car il a appris à aimer plusieurs personnes.

Quels ont été les vôtres ?
Pour me construire, j'ai eu besoin de Tarzan et de « Rémi sans famille » dans mon enfance, puis de Jules Vallès à l'adolescence. Jules Vallès, c'est le héros qui apporte l'égalité et la liberté. Je voulais être comme lui. Ils étaient des héros bénéfiques. Mais en temps de guerre, ces héros ne sont pas suffisants.

Vous écrivez qu'« un héros ne peut naître que dans des circonstances extrêmes » et que « toutes les cultures ont besoin de héros puisqu'il n'y a pas d'Histoire sans tragédies ». Dans les sociétés occidentales confortables, comment se recherche-t-on un héros ?
En période de paix, on a des « petits héros » c'est-à-dire des footballeurs, des chanteurs, etc? Le footballeur sauve un match, le chanteur sauve une soirée? ils nous aident à être heureux. Ils nous font vivre des moments de bonheur.

Et en période de troubles ou de guerre ?
En temps de guerre, les héros sont tragiques. Ils sont prêts à mourir et à tuer pour sauver le peuple. C'est ce besoin de héros tragiques qui conduit les personnes vulnérables à donner le pouvoir à un dictateur pour les sauver. Cette vulnérabilité peut être psychosociale.

Hilter a été élu en Allemagne, Morsi a été élu en Egypte. Trump a été élu démocratiquement. Son programme est celui d'un futur dictateur. Les Américains ont élu Trump parce qu'ils sont effrayés et qu'ils se sentent mal.


Qui sont ces jeunes qui partent faire le jihad pour mourir en héros ?
Dans une enquête du CNRS sur les 9000 adolescents qui ont choisi le jihad, nous avons montré qu'ils ne connaissent rien à l'islam. 40% d'entre eux sont des enfants de chrétiens. Pourquoi font-ils le jihad ? Parce qu'on leur promet une aventure merveilleuse pour sauver le peuple en Syrie, se rapprocher de Dieu. C'est un leurre.

Les mères musulmanes issues de l'immigration sont les plus malheureuses car ce n'est pas ce qu'elles voulaient donner à leurs enfants. Elles voulaient que leurs enfants deviennent Français et travaillent bien à l'école. Au final, leurs enfants vont faire le jihad alors que leurs parents se sont sacrifiés pour eux. Elles sont d'autant plus malheureuses que leur entourage les accuse d'être responsables de cette situation.

Sur les 9000 cas étudies, nous avons repéré une centaine de psychopathes. Ce ne sont pas des malades mentaux mais des personnes souffrant de graves troubles du développement, une aubaine pour Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique).

Peut-on dire que ces jeunes sont le produit de nos sociétés de confort qui ne donnent plus assez de rêves et d'émotions ?
Exactement ! C'est la défaillance de notre culture qui ne donne plus de rêves, d'épopées. Ils s'ennuient. Ils triment pour avoir le bac mais ça ne débouche pas toujours sur un emploi. Et lorsqu'ils en ont un, le travail est ennuyeux. Mais ces gosses ont besoin de rêve. Ils ont l'ivresse de quelque chose de merveilleux ? je parle d'ivres paradis - mais ils se font escroquer.
Vous expliquez comment un individu comme Mohamed Merah a été érigé en héros?

En France, il a été héroïsé par les enfants des quartiers. Ces enfants ont réagi comme cela parce qu'ils sont malheureux et que Merah les revalorisent. « Vous nous avez méprisé, maintenant, vous allez nous craindre », ont-ils dû se dire. Merah avait tout raté comme eux, mais il a réparé l'humiliation sociale et familiale qu'ils ont ressentie.

 

Hélène Boyé / La Rédaction (www.lepetitjournal.com/Beyrouth) Dimanche 13 novembre 2016

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