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Comment le Covid-19 frappe l’économie birmane

Des billets de 1000 kyatsDes billets de 1000 kyats
Écrit par Juliette Verlin
Publié le 5 mai 2020, mis à jour le 7 mai 2020

La crise économique mondiale due à la gestion de l’épidémie de Sars-Cov-2 arrive en Birmanie sur un pays déjà bien affaibli par plusieurs guerres civiles et une image internationale en berne après les soubresauts que la question des musulmans de l’Arakan a suscité. Avant même le premier cas de Covid-19 officiel, le 23 mars à Yangon, les secteurs du tourisme et de la restauration subissaient une baisse de la fréquentation interprétée comme une conséquence de la crise de l’Arakan, et que l’augmentation du prix de l’électricité, absolument nécessaire mais mal préparée, ne facilitait pas. Aujourd’hui, la fermeture des frontières donne le coup de grâce à beaucoup. L’industrie manufacturière ou l’agriculture souffrent également de la contraction du commerce international liée au ralentissement des échanges mondiaux qui leurs enlèvent des clients. Pour la banque et l’énergie, le défi est différent : les deux restent très actifs mais fragiles, et d’importants investissements dans ces secteurs ont été reportés sans date. La Banque asiatique de développement (BAD) prévoit dans une étude publiée le mois dernier que la pandémie de Covid-19 va ralentir la croissance économique, désormais estimée à 4,2 % pour 2020, loin des 6,5 % de 2019 ou de l’estimation de 7 % faite pour 2020… à la fin de l’année dernière.

Concrètement, ce sont plus de 60 000 employés du secteur industriel qui ont perdu leur emploi à travers le pays depuis le début de l’épidémie de Covid-19, avec la fermeture de 175 usines, due à l’annulation de commandes et à la perturbation des livraisons de matières premières, d’après le secrétaire permanent du ministère du travail, U Myo Aung. Or, plus de la moitié de ces employés viennent des quatre coins de la Birmanie, et envoyaient jusqu’à 50 % de leur salaire dans leur village d’origine. La perte de cette source de revenus fragilise des foyers frôlant déjà le seuil de pauvreté, estime Jacob Clere, de Smart Textile and Garments, un programme financé par l’Union Européenne soutenant la réforme du secteur du textile. A la perte de cette ressource s’ajoute celle de la manne de la diaspora. Faute de travail, quelque 46 000 expatriés birmans étaient déjà revenus de Thaïlande et de Chine à la mi-avril, d’autre reviennent maintenant. La plupart sont désormais sans emploi, à la charge de leur famille plutôt que d’y subvenir comme précédemment.

Une baisse des investissements étrangers est attendue

L’Union Européenne, destinataire de près de 70 % des exportations textiles de Birmanie, a vu depuis plusieurs semaines la plupart de ses pays membres fermer leurs frontières et les boutiques de vêtements, considérées comme un service non-essentiel. Avec une chute des importations à la clef, et un énorme impact sur l’économie birmane. Afin d’aidre Nay Pyi Taw, Bruxelles a lancé un fond d’urgence de cinq millions d’euros qui permet aujourd’hui de verser une aide mensuelle de 75 000 kyats (environ 50 euros) à plusieurs dizaines de milliers de travailleurs du textile sans emploi.

La plupart des projets d’infrastructure et d’énergie lancés par le gouvernement birman font appel à des investisseurs étrangers. Même si le nombre de projets d’investissement approuvés et ayant reçu un permis est plus élevé que l’année dernière – 3 milliards d’euros - entre le 1er octobre 2019 et le 31 mars 2020, en augmentation de 1,9 milliard par rapport à la même période de l’année précédente – une baisse des investissements étrangers est attendue. La division par deux du prix des permis d’investir lancé par la Myanmar Investment Commission depuis le 20 avril ne semble pas suffisant pour inverser la tendance même si de gros partenaires comme la Chine ou le Japon affirment qu’ils vont maintenir les projets lancés une fois la pandémie maîtrisée, cela reste au niveau des mots et il faudra attendre pour mesurer les actes.

Le projet de la Yangon Elevated Expressway a par exemple vu sa date limite de réponse à l’appel d’offre repoussée à fin avril à la demande d’investisseurs affectés par l’épidémie dans leur pays d’origine. Le développement de la zone économique spéciale de Dawei, et la route Dawei – Htee Kee qui doit relier la capitale du Tanintharyi à la Thaïlande ont été retardés. L’entreprise australienne Woodside Energy, l’un des partenaires d’un projet d’exploitation d’un gisement de gaz naturel en eaux très profondes dans l’Ayeyarwady, a annoncé que ses investissements en Birmanie allaient diminuer en 2020, ce qui pourrait avoir un impact sur ce projet.

La bombe agricole à retardement

Dans le secteur bancaire, c’est le fardeau des créances « pourries », connu depuis longtemps, qui explose d’un seul coup. Ces créances sont définies comme des prêts qui ne peuvent pas être remboursés à temps par les débiteurs. En Birmanie, durant les années de la dictature, ce genre de « prêts » a longtemps servi à subventionner les hommes d’affaires ou à blanchir de l’argent sale. Puis avec la transition démocratique et l’ouverture économique, ces « prêts » ont d’abord constitué un frein à l’ouverture du secteur bancaire – les banques birmanes affaiblies par ces créances douteuses craignaient l’arrivée et la concurrence des banques étrangères, notamment régionales, à peu près saines – ce qui en retour freinait les capacités d’emprunts des autres acteurs économiques et le développement du pays. Puis ces créances « pourries » sont devenues un fardeau au développement des banques elles-mêmes. Avec la crise du Covid-19, les prêts que les débiteurs ne pourront pas honorer en temps et heures vont bien sûr augmenter, et cela s’ajoutera à la dette des créances « pourries » au point de devenir dangereux pour certaines banques.

« Tant que nous n’aurons pas plus de détails sur les bilans bancaires, nous ne connaîtrons pas l'étendue des dommages sur le secteur financier du pays », juge Andrew Bauer, consultant pour le Natural Resource Governance Institute. Parmi les débiteurs les plus à risque d’être en défaut de paiement se trouvent les acteurs dépendant directement des dépenses des consommateurs, comme les centres commerciaux, les aéroports et les hôtels, et qui manquent donc de fonds pour rembourser leurs prêts.

Le manque de confiance de la population envers les institutions publiques pourrait également entraîner des retraits massifs d’argent liquide, ce qui fragiliserait les établissements bancaires. D’après un rapport de l’International Growth Center sur les politiques adoptées face au coronavirus, « la banque centrale agit désormais comme le prêteur de dernier recours aux banques locales, ce qui n'était pas le cas dans les années 1990-2000, mais l'absence généralisée de confiance dans les institutions publiques persiste et rend un épisode de panique plus probable ». Dès la mi-mars, la banque centrale birmane a d’ailleurs demandé aux banques d’augmenter leurs réserves d’argent liquide disponibles en agence et aux distributeurs automatiques.

L’agriculture enfin, un secteur clé de l’économie birmane puisqu’il représente environ 30 % du produit intérieur brut (PIB) et plus de 50% de l’emploi total dans le pays, est particulièrement à risque. Entre les conflits internes, les catastrophes naturelles récurrentes et le nombre élevé de travailleurs agricoles pauvres, la Birmanie pourrait potentiellement devenir un « point chaud » de la sécurité alimentaire, selon la Banque mondiale, au point que la stabilité alimentaire du pays pourrait être menacée. Ce secteur est en effet dominé par les petits exploitants agricoles, très affectés par les perturbations du commerce frontalier et les restrictions à la circulation des produits, de la main-d'œuvre et des consommateurs. En conséquence, le prix des denrées agricoles a souvent chuté, frappant les revenus des agriculteurs et leur capacité à planter la prochaine récolte. Une bombe à retardement…

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