Au Centre national de danse de Bucarest, le week-end dernier a eu lieu une performance intitulée “Peut-être en 2301 n’aurons-nous pas besoin d’un autre spectacle féministe”. Une mise en scène qui résonne comme un acte de résistance dans une Roumanie où les inégalités, les stéréotypes et les violences de genre persistent.
Camelia Neagoe et Maria-Luiza Dimulescu sont chorégraphes et membres de l’association Delazero, un collectif d’artistes roumain fondé en 2018. Elles présentaient fin mars à Bucarest leur dernière création, “Maybe by 2301 we won't need another feminist show”. Sur scène, les trois interprètes, Maria-Luiza Dimulescu, Mariana Gavriciuc et Anca Stoica, dansent, incarnent et racontent, statistiques à l’appui, des situations vécues par les femmes dans une société patriarcale : violences de genre, discriminations, injonctions à la féminité, tentatives de contrôle de leurs corps et de leurs utérus.
Assises à même le sol de la salle Stere Popescu au Centre national de danse de Bucarest, où elles répètent depuis deux mois, les chorégraphes racontent le processus créatif qui les a conduites à écrire ce spectacle.
“On est toutes les deux enclines à faire des performances plutôt politiques, et la représentation des femmes dans les médias et la société est quelque chose qui nous anime, parce que cela nous dérange et nous préoccupe”, explique Camelia Neagoe.
Un moment charnière pour les droits des femmes
Pour mener à bien leur projet, les deux femmes se sont entourées de personnes qui, comme elles, “sentaient la nécessité de faire ce spectacle”, dans un moment où “on se rend compte que du jour au lendemain, on pourrait perdre tous les droits que l’on a acquis”, poursuivent-elles.
Une intuition qu’elles ont voulue transmettre en diffusant des archives sonores semblant sortir d’un autre siècle, et pourtant récemment publiées sur les réseaux sociaux. Des extraits qui prônent un retour des femmes à la sphère domestique, leur enjoignent de veiller à la satisfaction de leur conjoint ou encore d’embrasser leur “énergie féminine”. “Ce sont des messages qui aujourd'hui ont un tel écho politique que cela encourage ceux qui ne les auraient pas assumés auparavant, à s’en saisir. C’est effrayant de voir la vitesse à laquelle ces idées se répandent,” souligne Camelia Neagoe.
Ainsi peut-on entendre, entre deux Tiktok, la voix de Călin Georgescu, ancien candidat d’extrême-droite à la présidentielle, déclarer qu’une femme ne pourrait être présidente de la Roumanie, arguant que “c’est une zone de lutte intense, ce n’est pas un jeu. Seul un homme peut le faire, soutenu par une femme forte,” ou encore, juger que “le féminisme est une misère absolue imposée par un Occident dégénéré”.
Dans ce contexte socio-politique trouble, tant à l’échelle roumaine qu’internationale, le tableau que dresse la performance du collectif Delazero résonne comme un acte de résistance. Il dit l’urgence de provoquer des prises de conscience. “J’aimerais que les gens ressentent de l’inconfort face à notre performance, observe Maria-Luiza Dimulescu, qu’ils réalisent que tout ce qu’on décrit se passe en permanence autour d’eux”. “Nous voulons les pousser à la réflexion, qu’ils ne se contentent pas de trouver ça joli ou émouvant, mais qu’ils se posent de vraies questions”, ajoute Camelia Neagoe.
Une performance inspirée de faits réels
Elles-mêmes se sont longuement documentées avant d’écrire le spectacle. Avec Centrul Filia, association de référence en matière de lutte pour les droits des femmes en Roumanie, elles ont pris connaissance de données et statistiques alarmantes. “On a découvert de nombreuses choses qui nous ont choquées, rapporte la chorégraphe. Par exemple que jusqu’en 2023, des tests de virginité pouvaient être légalement réalisés en Roumanie, à la demande des parents”. Une pratique pourtant considérée comme une violation des droits humains par l’Organisation mondiale de la Santé.
Outre les études qu’elles ont consultées, leur écriture s’est nourrie de témoignages recueillis lors d’un atelier regroupant une quinzaine de femmes.
“Nous leur avons demandé ce qu'elles ressentent dans la société dans laquelle elles vivent, ce qui les dérange, ce qui leur apporte de la joie”, explique Camelia Neagoe. Des récits qui ont recoupé les leurs. “Entre nous aussi, entre danseuses, on a beaucoup échangé. Au début, quand une de nous prenait la parole, elle disait “bon ce que je vais raconter n’est pas si grave” et finalement, on se rendait compte qu’on parlait de choses extrêmement lourdes, parfois de viol”, confie Maria-Luiza Dimulescu.
Le résultat est un enchaînement de tableaux qui exposent sans détours le poids du patriarcat sur les femmes. Une performance qui fera autant écho chez certaines qu’elle donnera matière à penser à d’autres.
Représentations :
- Bacău : 14 avril, Teatrul municipal Bacovia
- Constanța : 16 avril, Teatrul de Stat