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Virginie Esnault : “J’ai retrouvé en Argentine cet enthousiasme que j’avais perdu”

Après un premier voyage de 9 mois en Argentine, Virginie Esnault a décidé d’y vivre. Arrivée à l’aube du confinement suite à la pandémie du Covid-19, cette chanteuse, maître oratoire et comédienne a été contrainte de s’adapter. Pour elle, “plein d'événements arrivent d'un coup, et à chaque fois c'est un succès”. Lors de notre rencontre, elle nous raconte son parcours, ses activités et ce qui l’a motivée à rester vivre dans la capitale argentine.

Virginie Esnault festival migracionesVirginie Esnault festival migraciones
festival migraciones - novembre 2022
Écrit par Daphnée Quentin
Publié le 2 mai 2024, mis à jour le 27 mai 2024

Comment êtes-vous arrivée à Buenos Aires ?

Dès mes neuf ans, j’étais comédienne en France. J’ai toujours travaillé et ai finalement ressenti le besoin de me ressourcer. La première fois que j’ai décidé de partir, ma fille avait 19 ans et allait commencer ses études. J’ai donc vendu tout ce que j’avais pour financer son cursus et mon voyage. À l’époque, je pensais partir seulement trois mois en Inde et en Thaïlande. Finalement je suis restée neuf mois ! En rentrant, je voulais m'installer avec ma fille à Paris, mais repartir me démangeait… Finalement je me suis envolée vers l’Argentine. 

Pour l’anecdote, j’ai écrit une lettre lorsque j’ai eu 30 ans, en l’adressant à la future moi de 40 ans. J’y ai écrit tous mes rêves, tout ce que je souhaitais réaliser. Quand j’ai eu 40 ans, je ne l’ai pas retrouvée… Ce n’est qu’à 45 ans, en triant mes bouquins, que la lettre est tombée. C’était assez troublant et émouvant, car tellement de choses s’étaient passées durant ces 15 dernières années. J’ai pu cocher certaines cases de cette liste, mais il restait “apprendre le tango”. J’étais seule dans ma maison de famille, et j’ai acheté un billet d’avion pour Buenos Aires. 

 

El Chalten - Virginie Esnault
Découverte de la Patagonie - Fitz Roy - mars 2019

Je suis partie en pensant faire un tour de l’Amérique latine pendant ces neuf mois. Je suis d’abord restée à Buenos Aires, j'ai pris des cours de tango et je me suis inscrite à la fac d'été pour apprendre l'espagnol. J'ai commencé à loger chez des Argentins, dans une colocation remplie d'artistes, c’était une coïncidence incroyable ! Au bout de 9 mois je suis rentrée, mais je n'avais qu'une envie : repartir. J’ai décidé d’y retourner, pour essayer de m’installer cette fois-ci. À l’époque, il n'était pas du tout question que je refasse de la scène parce que j'étais épuisée, je voulais développer mon activité de maître d'oratoire. Juste après mon arrivée, au mois de mars, la pandémie est arrivée et tout a fermé. Je me suis retrouvée sans aucune activité en Argentine, mon passeport expirait en juin et la compagnie aérienne de mon billet retour avait fait faillite... 

 

Comment s’est développée votre activité à Buenos Aires ?

Le premier mois du Covid, j’ai cuisiné pour mes amis de la colocation d’artistes dans laquelle je résidais lors de mon premier voyage. Mon père était chef étoilé en France, c’était assez instinctif pour moi. Après avoir goûté, ils m’ont donné l’idée de faire des “entregas”, et de les vendre. Peu à peu, mon activité s’est faite connaître, j’ai été contacté par un client au consulat de France, et les commandes se sont accumulées. J’avais trouvé un chauffeur de taxi pour les livraisons, et avais repris un système de lunchbox retournables qui existait en Inde. Lorsque le confinement a commencé à se détendre, j’ai organisé des soirées chez moi, je cuisinais et je chantais avec mon ami Carlos qui était à la guitare. C’était toujours plein.

Un jour, j’ai reçu un appel d’une productrice qui m’annonçait que Mario Massaccesi voulait m’interviewer à la radio. J’y suis allée sans trop connaître le milieu, ni l’animateur qui est en réalité très connu ici en Argentine…  Après mon passage, j’ai posté la date de ma prochaine soirée, tout était plein en 15 minutes ! Une semaine plus tard, la productrice m'appelle et me dit : "Mario veut vous interviewer", mais cette fois-ci à la télévision. Du jour au lendemain, des gens me voyaient dans le métro et me reconnaissaient. 

En parallèle, j’ai été invitée à un concert d’un ami, je les ai accompagnés sur une improvisation. À ce moment, le directeur du bar “Je suis Lacan” me dit  "la scène est ouverte pour toi, quand tu veux". J’ai aussi été appelée pour le festival de l’immigration, dans lequel je représentais la France, ce qui était assez comique car je n’avais pas encore les papiers de résidence !

 

Affiche Amor y Desilución
Affiche du one woman show "Amor y desilusión". 

 

J’aime beaucoup improviser entre mes chansons, donc je commence à raconter mes petites histoires de Française en Argentine, de mon fiancé qui est parti le jour de notre “convivencia”... En voyant les gens rire de mes petites misères, j’ai décidé d’en faire un one woman show qui s’appelle “Amor y desilusión”. J’y suis connu sous le nom de Ohlala Virginie, la cantatriz Française. Plus tard, je crée aussi mon récital de tango franco-argentin dans lequel j’interprète une Française que les Argentins surnommaient Muneca Brava. Je joue aussi dans le cabaret Casazabala, je chante à des événements privés, j’ai participé au festival Ladys tango international, au festival Vivi Francia… Plein d’événements arrivent d'un coup, à chaque fois le public est présent et c'est un succès.

 

Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ?

Aujourd’hui, mon activité principale est maître oratoire : cela concerne la prise de parole en public, la gestion du stress, la communication interpersonnelle... Je suis certifiée dans ce domaine depuis dix ans. J’ai commencé à proposer des formations à l’Alliance française auprès de diplomates et d’élèves du lycée Mermoz pour préparer leur oral de bac et éveiller leurs graines d’orateur. Pour l’instant, je suis joignable via mon compte LinkedIn, j’ai des clients en France (chefs d’entreprise, étudiants à Sciences Po…) avec qui je travaille en visio ou sur place. En France je proposais aussi des formations bénévoles à des femmes victimes de maltraitance. Pour l’instant ce n’est pas possible ici, mais j’aimerais créer mon école pour développer tous ces aspects de maître d’oratoire et de coach artistique francophone.  

En parallèle, je renoue avec le théâtre. Ce côté artistique me dépasse un peu, car je ne pensais pas du tout y retourner aussi vite… Je suis issue du théâtre et du cabaret, j’aime vraiment avoir le trac, et le public argentin est tellement porteur ! Il est très enthousiaste, bienveillant, participatif. Depuis peu, je fais également partie du groupe soliarte, un groupe initié par le collectif Solidaires. Ce groupe français est très dynamique en matière d’engagement et d’éthique, leur travail est incroyable ! Ils nous représentent au consulat, à l’ambassade… 

 

Pourquoi avoir choisi de rester en Argentine ?

J’ai arrêté de jouer en France car je n’avais plus de motivation. J’ai commencé là-bas dans les années 1980, à une époque où il y avait encore une belle énergie de création et une certaine spontanéité. Plus nous avançons en France et plus nous sommes surveillés dans nos propositions, c’est d’ailleurs pour cela que je n'ai jamais fonctionné avec des subventions pour ma compagnie. Je voulais rester complètement autonome, être engagée, comique et tout public. Ici, j’ai retrouvé cette énergie de création, nous nous amusons sérieusement à créer, nous cherchons… J’ai retrouvé cet enthousiasme que j’avais perdu !

Je trouve aussi que vivre ici est une grande leçon de vie. Lorsque l’on connaît réellement Buenos Aires, que nous côtoyons des porteños et des Argentins, nous voyons bien qu’il y a de gros problèmes. Mais lorsque nous sommes amis avec eux, présents dans leur quotidien et leurs difficultés, nous voyons cette énergie et cet espoir qui les portent. J’admire leur résilience !

 

Vous vous êtes exprimée plusieurs fois sur vos réseaux sociaux concernant le mouvement #metoo, le mouvement s’est-il aussi étendu en Argentine  ?

J'ai commencé très jeune le théâtre, en tant que petite fille et j’ai vu beaucoup de jeunes comédiennes quitter ce milieu. Le fait que mes parents aient un restaurant et que j’y ai travaillé m’a permis d’être assez vive et de savoir mettre des barrières. En créant ma compagnie en France, je n’ai plus eu de problème de ce genre là, car je travaillais avec des personnes éthiquement engagées, avant même metoo. 

Lorsque je suis arrivée en Argentine, j’ai pu assister aux manifestations pour la liberté d’avorter et à celles du mouvement “Ni una menos” . J’ai trouvé les Argentines très fortes en mobilisation. Ici, l’engagement a été immédiat, et s’est tenu grâce à une sororité incroyable. J’ai trouvé cela très émouvant, rapide et assez efficace même si cela reste fragile et que le combat n’est jamais acquis. Concernant le milieu de l’audiovisuel, j’ai tout de suite rencontré dans ma colocation une réalisatrice très engagée, Monica Simoncili, qui fait énormément de documentaires sur les mouvements sociaux et sur l’histoire de l’Argentine. Elle a créé le mascarocine.

J’ai été accueillie, soutenue ici, je peux dire que j’ai une vraie famille. Cerise sur le gâteau, ma fille Ambre, réalisatrice et photographe, m’a rejoint à Buenos Aires pour s’y installer !

 

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