

Depuis fin avril, plusieurs touristes victimes d'une escroquerie au blackjack, supposément organisée par un gang philippin, ont déposé plainte auprès de la police de Phnom Penh. Jeune Américaine d'origine coréenne en visite au Cambodge, Barbara est l'une d'entre eux. Pour LePetitJournal.com, elle revient sur le déroulement de l'escroquerie, et raconte la poursuite qu'elle a lancée contre les malfaiteurs, soutenue par Bopha, une Franco-khmère installée à Phnom Penh et révoltée par cette affaire.
Arnaque au Black Jack
C'est près du Marché de Nuit que Barbara se fait aborder par une des membres du gang d'escrocs. Photo DR
Début mai 2012. Barbara mange près du Marché de Nuit, lorsqu'elle est abordée par une jeune femme philippine. Sans méfiance, Barbara explique qu'elle est étudiante au Etats-Unis, en visite au Cambodge pour quelques jours. La jeune inconnue rétorque aussitôt que l'une de ses soeurs souhaite justement aller étudier là-bas. Au bout de quelques minutes de conversation, elle finit par demander à Barbara de venir chez elle pour discuter avec la s?ur en question. "J'ai souvent rencontré des personnes si hospitalières au cours de mon séjour, je ne me suis donc pas méfiée". Elles montent ensemble dans un tuk-tuk : pendant près d'un quart d'heure, le conducteur zigzague dans les rues de Phnom Penh. "Elle me disait qu'elle était un peu perdue, moi j'étais totalement désorientée."
Lorsqu'elles arrivent enfin devant une maison, Barbara n'a plus aucune idée de l'endroit où elle se trouve. Trois personnes sont là pour l'accueillir, mais aucune trace de la soi-disant s?ur, dont on lui dit qu'elle est "partie voir sa mère à l'hôpital". Barbara se voit offrir une première canette de soda fermée, qu'elle boit donc sans s'inquiéter. Une deuxième canette lui est alors servie, ouverte cette fois-ci. Elle ne veut pas être impolie et la boit également, tout en répondant aux questions qu'on lui pose sur sa vie. Entretemps, un quatrième homme est arrivé. Il se prétend croupier de casino et lui propose de lui apprendre à jouer en 10 minutes : "Le black jack est un jeu très simple, je t'apprends à jouer, ce n'est pas de la tricherie", lui dit-il. C'est à ce moment-là que Barbara commence à se sentir mal. A avoir peur. Tout devient un peu flou dans sa tête : "Je me sentais comme paralysée. J'étais consciente mais c'est comme si une force m'empêchait de m'exprimer correctement, je disais non mais ça ne marchait pas. J'avais l'impression d'être une poupée qu'il pouvait manipuler sans problème". Elle est sûre qu'une drogue a été introduite dans sa deuxième boisson, une sorte de pilule du violeur que les Cambodgiens désignent comme le "médicament qui provoque l'évanouissement".
"Parie 400 dollars, ça va être drôle. Après on ira au Nagaworld, tu vas gagner beaucoup d'argent", l'encourage un des escrocs. Elle refuse. Lorsqu'elle récupère son sac, elle constate que les 1.400 dollars qu'elle avait dans son portefeuille ont disparu. Impuissante, dans l'incapacité de se défendre, elle se laisse emmener par plusieurs des escrocs devant une première banque, qu'ils quittent aussitôt parce qu'un garde les observe avec suspicion. Au guichet d'une seconde banque, une des filles de la bande, munie de la carte bleue et du passeport de Barbara, prétend être une de ses amies et retire 3.000 dollars de son compte courant. Elle tente de gagner plus en prélevant sur son compte épargne, la banque refuse. Une fois le gang reparti avec l'argent, Barbara, encore sous l'emprise de la drogue, rentre à son hôtel en état de faiblesse et de choc.
Les deux femmes qui voulaient arrêter un gang d'escrocs
Photo de suspect reproduite sur un blog évoquant une affaire similaire au Vietnam. Photo DR
Dès le lendemain, Barbara se rend au bureau de police, puis retourne dans la rue où la jeune Philippine l'a abordée. C'est en discutant avec les vendeurs du quartier qu'elle fait la connaissance de Bopha, Franco-khmère propriétaire de la boutique Natur'elle, revenue dans son pays d'origine pour "aider à le reconstruire". Révoltée par cette affaire d'escroquerie qui ''salit son pays'', Bopha décide de se lancer avec Barbara dans une enquête acharnée afin d'arrêter le gang.
Les jours suivants, Barbara recroisera à plusieurs reprises les escrocs qui l'ont piégé, près du Marché Central, puis à Riverside, à chaque fois en pleine action - en train d'amadouer des touristes par des remarques plaisantes. Le 14 mai, Barbara les aperçoit à nouveau et avertit Bopha. Cette dernière appelle aussitôt la police, qui piste les suspects pendant un moment avant de les arrêter. Trop tôt selon Barbara : en l'absence de preuve concrète, les escrocs sont relâchés au terme de huit heures en garde à vue.
Mais les deux femmes ne veulent pas s'arrêter là. En interrogeant les tuk-tuk basés à Riverside, elles apprennent qu'un groupe de huit personnes s'installe quotidiennement à la terrasse d'un café du quai Sisowath, et accoste régulièrement des touristes qui finissent par les suivre. Le même jour, elles reconnaissent de nouveau l'un des suspects. Bopha monte sur une moto afin de les suivre à la trace. Ils se dirigent vers le Marché Russe. Mais il tombe des cordes, la mission devient difficile et s'achève lorsque la roue de la moto crève. Bopha interpelle un des vendeurs du coin : "Suis-le, je te paye. Trouve leur adresse". Mais celui-ci perdra à son tour la trace de l'escroc.
Il faudra attendre le lendemain pour que la police, alertée par Bopha, vienne de nouveau arrêter deux des membres du gang. Cette fois, ils ne resteront pas plus de 10 minutes au poste : un des malfrats aurait sorti sa carte de police philippine et un visa aux normes, tandis que les preuves ne sont toujours pas concluantes.
A ce jour, Bopha et Barbara ont relevé deux adresses : "Nous voulons vérifier qu'il s'agit des bonnes adresses mais nous avons besoin de la police. Mais les policiers ne comprennent pas vraiment, parlent peu anglais, ce qui rend la tâche difficile pour Barbara". La jeune Américaine aura ainsi perdu 4400 dollars, et surtout beaucoup d'énergie. Elle devrait être au Vietnam depuis le 11 mai. Cependant, elle ne souhaite pas quitter le Royaume avant d'avoir démasqué le réseau de ces escrocs, toujours en activité à Phnom Penh, et visiblement un peu partout en Asie : des témoignages similaires auraient été recueillis au cours de ces deux dernières années, notamment en Thaïlande et au Vietnam.
Anaïs Chatellier (http://www.lepetitjournal.com/cambodge.html) Vendredi 18 mai 2012
