Dans le cadre du Photo Phnom Penh Festival, Vincent Fournier explore le temps et l'évolution à travers des œuvres imaginatives, tandis que Christine Spengler témoigne des conflits avec une esthétique unique, mêlant passé et futur.
VINCENT FOURNIER, France, Mur de l'Ambassade de France.
On sait que certaines importantes découvertes scientifiques sont nées de rêves. On sait également que, dans le temps, tout évolue, se transforme. La terre, nos corps, les espèces, les animaux, les végétaux et que, sur la longue durée, ce sont de véritables mutations qui s’opèrent. Des espèces disparaissent, d’autres apparaissent et tout peut être différent.
L’ancien étudiant de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, qui a d’abord travaillé comme directeur de création et photographe dans l'industrie publicitaire et cinématographique, nous parle du temps, du passé et du futur, avec des images sorties autant de son imaginaire que de ses lectures, des films qui l’inspirent, des recherches scientifiques qui le passionnent autant que de l’univers de la science-fiction qu’il affectionne.
Les plantes de Flora incognita (Plantes inconnues), les animaux de Auctus animalis et de Post Natural History, ont-ils existé il y a des siècles ou sont-ils des catégories à venir ? Les faux noms latins inventés par l’auteur, comme pour leur donner une valeur savante et scientifique, ne sont là que pour nous donner à réfléchir. Ou nous faire rêver et sourire.
Ces fleurs qui pourraient exister demain semblent animées d’une force intérieure qui leur permet de nous offrir une danse élégante. La photographie l’évoque et invente la collection d’un herbier pour demain. Les animaux, eux, peuvent être des combinaisons de technologie et d’espèces actuelles que nous reconnaissons aisément mais sont dotés de pouvoirs nouveaux, ce qui n’empêche pas qu’ils soient tout simplement beaux, plus beaux même que certains qui nous sont familiers. Un monde au-delà du naturel qui frise avec la perfection, ce qui n’exclut pas l’humour, souvent présent.
Vincent Fournier fait preuve d’une maitrise absolue de la technique, nous entraine dans un musée de créatures hybrides qui peuplent son univers. Celui d’une fiction qui pourrait bien arriver et qui, pour lui, traduit « la nostalgie des rêves de futur de mon enfance ».
CHRISTINE SPENGLER, France, Musée Sosoro
Elle se définit elle-même comme « correspondante de Guerre, artiste plasticienne & écrivaine ». Les deux aspects de sa pratique visuelle, qui correspondent également à deux étapes de sa vie, sont cependant reliés par plusieurs axes que l’on retrouve dans des photographies dont l’esthétique n’a pourtant rien à voir.
Pendant quinze années elle a, en noir et blanc, été la femme qui a témoigné, dans le monde entier, du plus grand nombre de conflits armés. Ses photographies aux cadrages précis et à la distance toujours juste et respectueuse ont été publiées dans les plus prestigieux supports de presse de la planète. Elles sont la mémoire d’un monde déchiré, douloureux, fracturé. Mais, contrairement à beaucoup d’autres de ses confrères, celle qui s’illustra entre autres au Vietnam et au Cambodge lorsqu’elle était très jeune, avec deux autres Françaises, Françoise de Mulder et Catherine Leroy, s’est toujours davantage intéressée à la situation des civils en situation de guerre qu’aux combats eux-mêmes. Et elle a fait leur place, dès le début, aux femmes. Sa façon à elle d’affirmer la vie dans un contexte de mort. Photojournaliste, elle était, par son exigence esthétique, une artiste qui prend position.
Profondément et durablement marquée par le suicide d’Eric, son jeune frère, qu’elle apprit en 1973 à Saigon, elle décida, dix ans plus tard, d’exorciser ce drame personnel en créant des images qui vont « redonner vie aux disparus ». Elle se souvient de ses visites au Musée du Prado de Madrid lorsqu’elle compose ces visions colorées, associant portraits en noir et blanc de ceux qui lui étaient chers à des objets, des fleurs, des perles, des plantes et des tissus chatoyants. Dans cet ensemble qui la mène des membres de sa famille aux vierges et toreros espagnols, de la célèbre cantatrice Maria Callas à la peintre Mexicaine Frida Kahlo, se trouve également l’écrivaine Française Marguerite Duras, qui occupe une place à part. Elle est, comme elle le dit, son idole.
Le 11 février 1974, Christine Spengler photographia le premier bombardement de Phnom Penh par les Khmers rouges. Elle en donna l’image sombre d’une fin de monde et l’image fut publiée dans le monde entier. Cinquante ans après, cette photographie revient au Cambodge en témoignage de mémoire et en hommage à une grande artiste.