Née d’une mère française et d’un père allemand, Lena Tschauder a grandi avec deux cultures à la recherche d’un nid familial. Vingt-huit ans plus tard, elle se questionne encore sur ce qu’est vraiment un chez-soi.


Depuis quelques années, je décide de répondre à la question « D’où viens-tu ? » en disant que je suis franco-allemande. Je ne parviens pas à dire que je viens seulement de France ou seulement d’Allemagne, je viens des deux pays, et peut-être d’autres endroits aussi.
Quand j’étais petite, mes parents adoraient écrire, et rêvaient d’être publiés et d’en vivre. Ils consacraient une majeure partie de leur journée à l’écriture, et après des débuts tumultueux en Allemagne et en Angleterre, ils décidèrent de chercher un havre paisible en France, au cœur de la nature et non loin de la mer, l’atmosphère propice à la rêverie, à l’imagination et à l’éveil de la créativité.
Des premières années paisibles au cœur de la campagne bretonne
À mes deux ans, mes parents achetèrent une ancienne ferme dans le Morbihan et après un départ douloureux d’Angleterre, nous emménageâmes à Sérent, une petite commune de 3.000 habitants. Je faisais mon entrée en petite section de maternelle dans l’école du village quelques mois plus tard.
Les prochaines années de mon enfance étaient empreintes d’une sérénité inégalable. Mes journées commençaient avec le chant des oiseaux au petit matin et se suivaient d’une routine cadencée par les horaires de l’école ainsi que des heures passées à la maison à jouer seule avec mes poupées. J’étais une enfant timide et réservée qui supportait mal l’agitation de ses camarades de classe, mais qui finit par très bien s’intégrer dans l’école et la culture du village. Entre les petits jeux avec mes amies lors des récréations, les goûters d’anniversaire, les heures de cours assise à une vieille table en bois avec un encrier, il y avait aussi une place précieuse que mon père tenait à réserver à l’apprentissage de l’allemand. Bien que j’apprisse l’allemand en même temps que le français, je n’avais presque aucun autre contexte culturel pour le pratiquer qu’à la maison avec mon père, puis ma mère, lorsque nous étions tous les trois ensemble. Je perçois encore aujourd’hui cette différence. Mon père m’apprit à lire et à écrire en allemand que je parlais presque parfaitement, même si je mélangeais des mots des deux langues. Le franco-allemand est encore un langage que je parle aujourd’hui, mais en toute conscience, avec celles et ceux qui le comprennent.
À Sérent, la maîtrise de l’allemand était une singularité qui me rendait unique aux yeux des autres élèves et professeurs. À ma connaissance, aucun autre élève ne parlait l’allemand et je compris, à travers la curiosité manifeste de mes camarades de classe, que c’était une particularité précieuse.
Sérent était devenu mon chez-moi. À mes sept ans, ma mère m’annonça que nous allions déménager. J’en pleurais, mais ma candeur et mon enthousiasme enfantin me firent rapidement rêver d’un nouveau départ exaltant.
Mes parents n’avaient pas eu le succès escompté auprès des maisons d’édition et ma mère s’était décidée à devenir professeure d’allemand. Enfin, ils peinaient à se construire un avenir professionnel en Bretagne et souhaitaient que je grandisse avec les deux cultures, à la frontière franco-allemande.
Les nouveaux débuts en Sarre et les défis d’une adaptation culturelle
À mon entrée en CE2, j’étais scolarisée dans une école française à Sarrebruck, en Allemagne, et mes parents, pressés par le temps, achetèrent une maison mitoyenne à Völklingen, une petite ville voisine. Le contraste entre l’environnement dans lequel j’avais grandi jusqu’alors et celui dans lequel je me retrouvais ensuite était saisissant, mais mon innocence enfantine me protégeait d’un choc culturel que je ressentis quelques mois et années plus tard.
Nous nous étions installés dans une région industrielle, dans le Land de Sarre, et les enfants du voisinage parlaient un dialecte que j’avais du mal à comprendre. De l’autre côté de la frontière, en France, ancienne région minière, les mots prononcés avaient une sonorité différente de ce que je connaissais. En plus du franco-allemand, que je maîtrisais, il fallait aussi apprendre à comprendre, et d’une certaine manière, essayer d’apprécier, le sarrois et le lorrain.
À l’école, parler le français et l’allemand était la norme. Je perdais ce qui faisait mon unicité, à laquelle je m’étais attachée, et il me fallut deux ans pour m’adapter au niveau scolaire plus exigeant. Par ailleurs, j’eus du mal à me faire de nouveaux amis et mon intégration dans cet environnement ne fut jamais véritablement aboutie.

Concilier les différences culturelles à la recherche d’un équilibre
Mes parents habitent toujours en Sarre, dans une maison pleine de charme à quelques mètres seulement de la frontière française. Même si j’adore ce nouveau cocon familial, j’ai conservé cette impression que nous nous y sommes retrouvés par hasard, ainsi qu’un sentiment diffus de quelque chose d’essentiel qui nous distingue de nos voisins. J’aime Sarrebruck, ses bars et cafés, ses vastes forêts et les coins d’herbe où pique-niquer au bord du fleuve Sarre en été, mais je chérirai toujours davantage le carillon de l’église à Sérent.
Je porte en moi une nostalgie ineffable, et la quête d’un chez-moi que je ne parviens plus à retrouver. Et Sérent, qui n’a pourtant presque pas changée, ne m’est, ni me sera, plus jamais la même.
Depuis que j’habite en Sarre, j’ai pris l’habitude de jongler entre les deux langues dans une pluralité d’ambiances et de contextes culturels. J’ai appris maladroitement à concilier les différences culturelles, l’allemand n’est plus une langue que je parle sporadiquement avec mon père le soir à la maison. Et pourtant, il m’est encore difficile de cerner ce privilège, cette deuxième part de moi forgée plus tardivement.
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