Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Corée du Nord : le grand retour des touristes en terre inconnue

Après cinq années d’interdiction, la Corée du Nord s'apprête à rouvrir ses frontières aux touristes étrangers à partir du mois de décembre 2024. Un signe fort qui relance doucement l’industrie du tourisme pour cette destination. Mais, concrètement, comment y voyager et qu’est-ce que cela implique ? Est-ce que cette réouverture des frontières est le début d’une ouverture au monde pour la Corée du Nord ? Plongez au cœur d’un tourisme unique au monde.

Place Kim Il-sung à PyongyangPlace Kim Il-sung à Pyongyang
Place Kim Il-sung à Pyongyang, Corée du Nord. Crédit photo : @simonkoryo
Écrit par Paul Le Quément
Publié le 13 septembre 2024, mis à jour le 20 septembre 2024

Pour beaucoup de pays, les mesures pour lutter contre le covid-19 ont été levées depuis longtemps. Mais pas en Corée du Nord, pays limitrophe du foyer de la pandémie en Chine. Pyongyang vient seulement d’annoncer que ses frontières allaient rouvrir aux touristes étrangers à partir de décembre 2024. Une mesure qui relance l’industrie du tourisme vers cette destination, notamment pour les Occidentaux.  

Malgré cette bonne nouvelle pour le tourisme dans la région, les conditions autour de cette réouverture restent très floues selon Simon Cockerell, directeur général de Koryo Tours, la principale agence de voyages à destination de la Corée du Nord : “Nos partenaires à Pyongyang nous ont dit qu'il y avait un plan pour ouvrir uniquement la zone de Samjiyŏn à tous les touristes en décembre. Mais aucun autre détail n'a été donné. Pas de dates précises ni de logistique.”

 

Des immeubles à Pyongyang, près de la place Kim Il-sung.
Des immeubles à Pyongyang, près de la place Kim Il-sung. Crédit photo : @simonkoryo


 

Une réouverture progressive de la Corée du Nord notamment grâce à la diplomatie 

Même si les conditions ne sont pas encore précises, la réouverture des frontières est bel et bien actée, et ce depuis plusieurs mois : “Le régime s'est d'abord rouvert à des diplomates étrangers, essentiellement chinois et russes, puis à des touristes russes au début de l’année 2024.” nous explique Pierre-Olivier François, journaliste-réalisateur de documentaires et spécialiste de la Corée.

La visite touristique russe remonte à février 2024 et représente un arrangement suite aux échanges diplomatiques positifs entre les deux pays. De leur côté, les pays occidentaux se renseignent : “Il y a plusieurs ambassades qui sont en train de se renseigner pou une ouverture. Les Allemands ont envoyé une délégation de diplomates pour voir dans quel état est leur ambassade.” poursuit Pierre-Olivier François. Avec une ré-ouverture diplomatique, l’arrivée des touristes n’est donc qu’une question de temps.  

 

À l'intérieur de la station de métro Triumph à Pyongyang
À l'intérieur de la station de métro Triumph à Pyongyang. Crédit photo : @simonkoryo

 

Un voyage en Corée du Nord non sans conditions...

S’engager dans un voyage en Corée du Nord entraîne bon nombre de règles à suivre. D'abord, pour se rendre dans le pays, il n'y a pas pléthore de choix : la seule façon est de passer par l’intermédiaire d’un voyagiste comme Koryo Tours ou Korea Konsult AB. Ils organisent le voyage de A à Z, tout en prenant en compte les obligations imposées par le régime :

“Il y a beaucoup de règles. La Corée du Nord est un pays très restrictif et très contrôlant, tous les touristes doivent être accompagnés d'un guide touristique. Même si vous y allez seul, vous n'êtes qu'un groupe d'une personne et vous avez deux guides touristiques et un chauffeur.” explique Simon Cockerell. 

Respecter le protocole en saluant ou en s'inclinant devant les statues des leaders.

Et, une fois sur place, gare aux erreurs à ne pas commettre : “Il faut éviter de proférer des critiques envers le régime nord-coréen et ses dirigeants. Ne pas plier, froisser ni jeter de journaux ou de revues comportant des représentations des leaders. S'abstenir de débattre avec les guides sur des faits historiques et accepter les versions officielles. Respecter le protocole en saluant ou en s'inclinant devant les statues des leaders. Éviter de prendre des photos de soldats, de points de contrôle, d'aéroports, de ponts, de gares…” précise Michel Dalard, vice-président exécutif de Korea Konsult AB. 

Un autre détail - mais pas des moindres - consiste à éviter d’emporter “des ouvrages pouvant être interprétés comme hostiles, politiquement controversés, religieusement sensibles ou susceptibles de porter préjudice à l’image ou à la réputation du pays visité. Cela s'applique notamment aux livres politiques, religieux, ou aux bibles, qui pourraient être considérés comme contraire aux valeurs ou à l'idéologie du pays hôte.” 

Nous avons de nombreux touristes occidentaux intéressés pour visiter le pays.

La liste est assez longue mais toutes ces informations sont cruciales lors d’un voyage en Corée du Nord : “Nous envoyons toutes ces informations à l'avance et nous insistons également pour que tout le monde vienne pour un briefing avant la tournée afin que tout soit clair à 100% [...] La sécurité et la tranquillité d'esprit sont les choses les plus importantes“ raconte Simon Cockerell pour l’agence Koryo Tours. 


 

Une forte demande pour cette destination atypique coréenne ?

Les nombreuses règles n'empêchent pas l'intérêt pour la Corée du Nord, la clientèle chinoise en premier, qui représente 95% du marché touristique. Les 5 % restants représentent les touristes occidentaux : “La demande est assez forte et l'intérêt est élevé.” détaille Simon Cockerell. De son côté, Korea Konsult AB observe aussi un intérêt grandissant pour le pays : “Nous avons de nombreux touristes occidentaux intéressés pour visiter le pays. Il ne s’agit pas de tourisme de masse, mais plutôt de quelques milliers de touristes par an.” 

 

Le marathon de Pyongyang en 2019
Le marathon de Pyongyang en 2019. Crédit photo : @simonkoryo

 

La Corée du Nord connaît même une période d’essor touristique : “De 2014 et jusqu'aux sanctions commerciales de 2017, il y avait un nombre conséquent de touristes étrangers, principalement chinois, qui venaient visiter la Corée du Nord.” explique Théo Clément, chercheur en sciences sociales et qui a travaillé plusieurs années en Corée du Nord. 

Mais, même si les frontières rouvrent, difficile encore de savoir si les touristes seront au rendez-vous, comme ce fut le cas avant la pandémie. Une question légitime d’autant plus que la seule destination ouverte est la zone de Samjiyŏn: “S'ils n'ouvrent que cette petite zone, je pense que l'intérêt sera limité car beaucoup de personnes n'en ont jamais entendu parler. Certains attendront plus longtemps pour pouvoir aller à Pyongyang et dans le reste de la Corée du Nord.” souligne Simon Cockerell. 


 

Le tourisme en Corée du Nord, un loisir rare pour les locaux 

Le marché du tourisme s'est intensifié sous l’impulsion de Kim Jong-un à partir de 2011. Ce dernier souhaite davantage voir son peuple profiter du tourisme : “Il a insisté sur le fait que la Corée du Nord a droit, comme tous les pays développés, à une forme de société des loisirs. Après les années 2012/2013, des parcs de loisirs, des grandes piscines apparaissent et sont mis en avant par le régime.” raconte Pierre-Olivier François.

Le tourisme est devenu un véritable levier de refinancement pour l'économie nord-coréenne.

Une politique qui a d’ailleurs du succès auprès de sa population, vu comme une sorte de récompense par les Nord-Coréens : “En contrepartie du travail fourni, vous avez le droit, généralement par groupe, d'aller une semaine à la mer, à la montagne ou quelques jours dans un des grands parcs de loisirs à Pyongyang. Cela permet aussi aux Nord-coréens d’autres régions ou de la campagne de découvrir la capitale, qui est un modèle pour toute la Corée du Nord.” Le tourisme représente aussi une manière de sortir du quotidien pour revenir à une sorte de “normalité” notamment après la famine qui a ravagé le pays de 1994 à 1998, tuant au moins un million de personnes. 

 

Des Nord-Coréennes visitent le Palais du Soleil de Kumsusan. Le mausolée de Kim Il-sung et Kim Jong-il à Pyongyang
Des Nord-Coréennes visitent le Palais du Soleil de Kumsusan, mausolée de Kim Il-sung et Kim Jong-il à Pyongyang. Crédit photo : @simonkoryo


 

Le tourisme, un facteur économique important en Corée du Nord ? 

Mais, comme beaucoup d’informations liées à la Corée du Nord, l’impact économique du tourisme est difficile à évaluer en l’absence de chiffre officiel. L’économie nord-coréenne est assez mystérieuse. En revanche, Théo Clément insiste sur un point : “Cela fait quasiment 5 ans que la Corée du Nord vit avec des frontières fermées. Il n’y a pas d'indice d'une catastrophe économique comme cela pourrait être le cas dans n'importe quel autre contexte.” Autrement dit, l’absence du tourisme n’a pas mis en danger le modèle nord-coréen, mais plutôt cassé une perspective selon le chercheur en sciences sociales  : “Le covid a véritablement cassé une dynamique qui était bien enclenchée et qui pouvait faire de la Corée du Nord une puissance touristique importante. Pas forcément à l'échelle internationale mais en comparant à d’autres pays de la même zone. Le tourisme est devenu un véritable levier de refinancement pour l'économie nord-coréenne.“ 

 

Centrale thermique de Pyongyang depuis l'hôtel Sosan
Centrale thermique de Pyongyang depuis l'hôtel Sosan. Crédit photo : @simonkoryo

 

L’ouverture des frontières, une perspective d’ouverture sur le monde ? 

Peut-on parler d”une ouverture au monde” ? “Il s’agit d’un vrai signe dans le sens où il n'y avait quasiment plus d'Occidentaux en Corée du Nord à la fin 2023.” raconte Pierre-Olivier François. 

En plus du retour des touristes et des ambassades, il est aussi possible que des ONG et des aides humanitaires comme celles financées par l’Union européenne reviennent. En 2019, suite à la sécheresse saisonnière précoce, l’UE a alloué 55.000 euros pour aider la Fédération internationale de la Croix-Rouge à fournir une assistance essentielle aux familles dans le besoin de la province du Hamgyŏng. Les revenus direct et indirect sont aussi à prendre en compte : “La réouverture des frontières va faire un bien fou à l’économie nord-coréenne. Cela va lui permettre d’importer plus.” précise Théo Clément. Mais du côté des relations commerciales, le sujet est plus délicat : “La Corée du Nord est soumise à de nombreuses sanctions de la part de l'ONU qui sont plus appliquées par les pays occidentaux que par la Chine et la Russie.“ poursuit Pierre-Olivier François. La position géopolitique et son soutien à l'effort de guerre russe - en vendant des munitions - est aussi pris en considération. 

La réouverture des frontières aux touristes étrangers est indéniablement synonyme de bénéfices pour la population et d'opportunités pour l'économie du pays. Reste à savoir si les récentes décisions du gouvernement comme le lancement de “missiles balistiques de courte portée” vers la mer du Japon ou encore le renforcement des capacités nucléaires du pays, (souhait personnel de Kim Jong-un) ne freinera pas l'enthousiasme touristique.

 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions