Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

En 2024, pourquoi a-t-on encore peur des sorcières et pas de ceux qui les brûlent ?

Le Witch Festival rend hommage aux figures des sorcières, qu’elles soient historiques ou issues de la culture populaire. Reflet d’une quête contemporaine d’émancipation et de justice, et parce qu’aujourd’hui encore, les femmes subissent de la violence au nom d’une chasse aux sorcières moderne, la sorcière incarne un symbole de résistance contre les oppressions passées et présentes.

Montage de la Lune et de ses cyclesMontage de la Lune et de ses cycles
Crédit photo : Unsplash
Écrit par Liz Fredon et Léa Degay
Publié le 30 octobre 2024, mis à jour le 8 novembre 2024

 

 

Le Witch Festival du 26 octobre 2024 a transporté les visiteurs dans un univers fascinant où se mêlent magie et féminisme. Ce festival est bien plus qu’un simple événement culturel : il rend hommage aux figures de sorcières marquantes — qu’elles soient historiques ou issues de la culture populaire — et célèbre la puissance mystique et symbolique de la sorcellerie. 

En célébrant les sorcières d’hier et d’aujourd’hui, le Witch Festival nous invite à embrasser cette dimension libératrice et à nous interroger sur notre propre rapport au monde. Ce retour en force de la sorcellerie révèle ainsi une profonde aspiration à l’émancipation et à la reconnexion avec la nature, autant qu’il signe un désir de justice et de reconnaissance pour celles qui furent jadis persécutées.

 

 

 

 

Dans le cadre du mouvement de libération des femmes aux États-Unis, un ensemble de groupes féministes nommé W.I.T.C.H voit le jour.

 

 

Tremblez ! Les sorcières sont de retour

Depuis les années 60, un regain d’intérêt pour la sorcellerie et la spiritualité a vu le jour en Occident pour faire face à un sentiment de désillusion croissant envers les institutions et les modèles de pensée établis. Des mouvements de contre-culture sont nés dans des contextes de lutte sociale, la plupart du temps féministes et écologistes. Face aux incertitudes économiques et aux besoins de renouer avec nos traditions, les mouvements comme l’éco-féminisme ont émergé aux États-Unis, mené par des figures comme la sorcière Starhawk. L’éco-féminisme défend l'idée que l'oppression des femmes et l'exploitation de la nature sont interconnectées, fruits d'un même système patriarcal qui subordonne le vivant. La politique se mêle alors à la spiritualité : ainsi les sorcières se réunissent, manifestent, jettent ensemble des sorts contre des hommes politiques véreux… 

Dans le cadre du mouvement de libération des femmes aux États-Unis, un ensemble de groupes féministes nommé W.I.T.C.H voit le jour. Les membres défilent pour la première dans Wall Street en octobre 1968, vêtues de capes noires et proclamant l'effondrement de diverses actions, ce qui se produit quelques heures plus tard.

 

 

Une femme tenant un panneau disant "on est pas hystérique, on est hystorique", en manifestation féministe
Crédit photo : Léa Degay

 

 

La figure de la sorcière est ainsi redéfinie, non pas comme une icône tragique, mais comme un modèle de liberté individuelle où chacun peut explorer son propre chemin.

 

 

Pourquoi la sorcellerie connaît-elle un tel regain de popularité aujourd'hui ? 

La figure de la sorcière incarne un symbole et un hommage à toutes celles qui ont été injustement condamnées au cours de l’Histoire. Endosser l’image de la sorcière, c’est à la fois honorer une mémoire douloureuse, revendiquer une liberté de pensée et de vie. Cette tendance est aussi portée par une esthétique envoûtante : les librairies et les boutiques regorgent de livres sur la magie et l'ésotérisme, et sur les réseaux sociaux, les comptes en ligne dédiés à cette pratique fleurissent partout. 

Bien avant les mouvements féministes, la sorcière était celle qui connaissait et respectait le pouvoir de la nature. Guérisseuse, sage-femme ou infirmière, elle trouvait dans la terre et les plantes une connexion profonde et sacrée. Dans notre monde de plus en plus technologique et déconnecté de la nature, pratiquer la sorcellerie devient une façon de se réapproprier cette connexion perdue, de retrouver un sens et une harmonie avec l’environnement, au-delà du symbole féministe que représente la sorcière. 

La figure de la sorcière est ainsi redéfinie, non pas comme une icône tragique, mais comme un modèle de liberté individuelle où chacun peut explorer son propre chemin. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » façon d’être sorcière.

 

 

Mains de femmes posées sur une table, pratiquant un rituel avec de l'encens
Crédit Photo : Freepik

 

 

 

Le terme de chasse aux sorcières a changé, mais la violence elle-même demeure

La chasse aux sorcières a été caractérisée par des croyances liées à la superstition, des peurs irrationnelles et des préjugés misogynes, avec environ 80% des accusés étant des femmes. Ces femmes étaient souvent des marginales de la société — veuves, célibataires, guérisseuses ou sages-femmes — qui défient les normes de genre et l'autorité patriarcale en exerçant une forme d'indépendance et de pouvoir sur leur propre vie.

Dans le Marteau des Sorcières, ouvrage destiné aux inquisiteurs et l’un des plus édités au monde pour cette période, on découvre cette vision déshumanisante qui planait sur la femme du 15ᵉ siècle et qui l’a poursuivie jusqu’au 18ᵉ.

Bien que la chasse aux sorcières en Europe soit désormais considérée comme une période sombre de l’histoire, des milliers de femmes continuent d’être persécutées, torturées et tuées pour de prétendus crimes qui n’ont souvent pour origine que les préjugés d’antan. Le terme a changé, mais la violence elle-même demeure, alimentée par les mêmes mécanismes de peur, de haine et de contrôle que ceux des chasses aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles. La religion, les croyances populaires et la misogynie servent encore de justifications idéologiques.

Silvia Federici a avancé puis démontré dans son livre “Une guerre mondiale contre les femmes”, que la chasse aux sorcières est intrinsèquement liée au capitalisme et à l’enclosure des terres. Le rejet des populations pauvres des terrains produisant des récoltes a causé la marginalisation de nombreuses personnes, ensuite considérées comme des menaces pour la société puis condamnées, souvent pour sorcellerie. C’est pourquoi selon elle, dans certains pays en cours de développement, là où le capitalisme gagne du terrain et menace les plus faibles, la chasse aux sorcières frappe toujours.

 

 

Au nord du Ghana, cette persécution prend une autre forme, celle des “camps de sorcières”.

 

 

La chasse aux sorcières moderne dans le monde

En Tanzanie, plus de 5.000 femmes sont assassinées chaque année pour sorcellerie. Elles sont brulées vives, enterrées vivantes ou brutalement exécutées à la machette. Depuis 2022, selon le média Brut, 250 personnes — majoritairement des femmes et des enfants — ont été arrêtées en Sierra Leone, accusés de pratiquer de la sorcellerie. Dans certains pays, comme en République Centrafricaine, les prisons sont pleines de femmes accusées d’être des sorcières. 

 

 

 

 

Malheureusement, être emprisonnée est parfois synonyme de survie. Au nord du Ghana, cette persécution prend une autre forme, celle des “camps de sorcières”. Ces camps, bien que considérés comme des refuges, sont en réalité des lieux d’exil permanent pour des femmes accusées par leurs communautés ou même leurs propres familles de sorcellerie. Elles y vivent isolées, coupées de leurs proches et de leur environnement, évitant ainsi des représailles violentes, mais au prix d’un enfermement à vie.

Ces violences ne se limitent pas au continent africain. En Inde, au Népal, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Arabie Saoudite, aussi, l’assassinat de sorcières est très présent et se répand. Les lynchages, tortures et meurtres se multiplient, souvent contre des femmes, pauvres, âgées ou marginalisées. 

Ces actes inhumains reflètent une misogynie institutionnalisée qui, de manière insidieuse, trouve encore une justification dans les peurs irrationnelles, les superstitions et les interprétations extrêmes des traditions locales.

 

 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions