Karim Ben Cheïkh est député de la 9e circonscription des Français de l’étranger, comprenant les pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Une zone d’intervention où “les relations bilatérales entre Etats ont parfois connu des aléas” mais “en diplomatie, rien ne reste figé”. En juin 2024, Karim Ben Cheïkh fêtera ses deux ans de siège à l’Assemblée nationale. Un calendrier qui concorde avec les élections européennes, un des nombreux sujets évoqués avec le député.
Comment faire vivre la francophonie et assurer le bien-être des Français au sein de territoires où le lien avec la francophonie est mal vu ?
Le français peut et doit être une langue support des valeurs de justice sociale, de solidarité et d’échange. Il nous faut veiller à donner un contenu à cette ambition. Concrètement, cela signifie que la question essentielle que la Francophonie doit aborder est celle des mobilités. Organiser et permettre la mobilité dans l’espace francophone avec des passeports francophones, particulièrement au niveau des échanges étudiants et universitaires. S'il est un outil de promotion sociale et ne se laisse jamais utiliser comme un marqueur d’inégalité, le français sera la lingua franca d’un espace géographique et conceptuel qui dépasse de loin la question des rapports postcoloniaux entre la France et ses anciennes colonies. Kateb Yacine, grand écrivain algérien disait que le français est un butin de guerre. Cette formule frappante retourne l’enjeu de l’usage et de l’appropriation du français. La langue est tout autant un enjeu d’émancipation et d’accès au savoir qu’un enjeu de pouvoir symbolique. Dans mon action parlementaire, je parle très concrètement de ces sujets et propositions pour mieux accueillir et orienter, notamment les candidats aux études en France.
Récemment, il y a eu un durcissement de l’accord de visas français aux Algériens, comment jugez-vous les relations entre l’Etat français et les pays du Maghreb ?
Je n'ai eu de cesse de dénoncer la sanction de Paris en matière d'octroi de visas appliquée aux ressortissants des pays du Maghreb. Si les relations bilatérales entre Etats ont parfois connu des aléas, jamais les populations civiles n'avaient eu à en subir les conséquences de plein fouet. Cette politique était une erreur grossière que le président de la République a fini par reconnaître. Que les relations ne soient pas aussi bonnes qu’elles pourraient l’être est une évidence. Fort heureusement en diplomatie rien ne reste figé et chaque relation a une dynamique propre. Il faut rappeler aussi que nous avons une responsabilité collective, élus, parlementaires et médias à créer un espace de compréhension et d’échange avec les partenaires du Maghreb à faire vivre cette intimité culturelle et sociale entre les sociétés civiles.
Une relation qui semblait aussi fragilisée il y a un an lors du séisme au Maroc et la question de l’aide humanitaire française qui s’en est suivie ?
Précisons d’emblée que le Maroc n'a pas refusé l'aide humanitaire française. C'est une affirmation erronée, fruit d'un emballement et d'une surenchère médiatique nauséabonde, qu'il serait temps d'arrêter de propager. Le royaume a temporisé l'arrivée des humanitaires et des secouristes étrangers, pas uniquement français, le temps de mettre en place l'organisation logistique permettant de les accueillir avec efficacité. Il faut garder en tête la configuration du terrain local, comme l'ont rappelé, à juste titre, nos élus locaux sur place, les Conseillers des Français de l'étranger. Cette polémique montée de toute pièce a, par exemple, profondément heurté les Marocains.
À quelques semaines des élections européennes, pouvez-vous faire le relais à nos lecteurs des conditions, des dates mais surtout des enjeux de ce scrutin ?
L’enjeu principal de cette élection est d’abord la participation. J’appelle les Français de l’étranger à prendre part à ce scrutin qui les concerne à plus d’un titre. La réélection du Président en 2022 s’est faite sans projet, sur la base d’une promesse à la droite de mener une réforme dure des retraites. C’est chose faite malgré un vaste mouvement social de désapprobation. Désormais c’est une fuite en avant politique : tantôt le président fait des concessions à l’extrême-droite sur le traitement de l’immigration. Tantôt, sous la pression de la gauche, il accepte enfin la constitutionnalisation de la liberté des femmes de recourir à l’IVG.
Lors des Européennes, les Français ont l’occasion d’exprimer un message politique et, je l’espère, d’imposer le tempo social et écologiste à une majorité qui gouverne à vue. J’appelle à la mobilisation aussi et surtout face à l’extrême droite, plus puissante que jamais depuis 80 ans. Le point de bascule n’a jamais été aussi proche. J'invite mes compatriotes à repousser dès aujourd'hui de toutes leurs forces la perspective d’un ordre raciste et antisocial en France et d’exprimer par leur vote leur attachement à une France républicaine, solidaire, sociale, fidèle à ses valeurs.
Le parti EELV a souvent créé de belles surprises lors de ces élections européennes. Est-ce seulement cette confiance qui a poussé le parti Écologiste à faire une liste seule plutôt que commune avec d’autres alliés de la NUPES ?
J’aurais bien du mal à répondre à la place des militants ou responsables d'EELV puisque je ne suis pas membre de ce mouvement bien qu’effectivement je siège dans le groupe des députés écologistes à l’Assemblée nationale. J’ai défendu, avec d’autres, l’idée d’une liste unitaire de la gauche et de l’écologie aux Européennes, car je suis attaché à donner des signaux et des réflexes unitaires dans la perspective d’une alternance politique en France. Faire l’unité à l’élection européenne était compliqué étant donné la logique de cette élection et les trois grands blocs de gauche préexistants au Parlement européen. Cependant, plus que jamais depuis le combat contre la loi immigration, le front républicain contre l’extrême-droite qui s’avance sur les ruines de la politique libérale du gouvernement est à gauche. Les partis et militants de la NUPES et au-delà de la NUPES agissent à l’unisson sur cet enjeu.
Après un an et demie en tant que député, pouvez-vous nous parler de ce qui vous a marqué depuis que vous avez cette responsabilité ?
Lorsqu'on est élu des Français de l'étranger, il est important de trouver l'équilibre entre l'agenda parlementaire et la circonscription. Je représente près de 180.000 Français établis dans les 16 pays qui composent la 9e circonscription. Il me faut à la fois être à leur écoute et représenter leurs intérêts à travers mon travail législatif.
C'est la raison pour laquelle je me rends régulièrement sur le terrain. Depuis un an et demi, je me rends pratiquement chaque semaine dans l’un des pays de ma circonscription. Lors de mes déplacements, je rencontre la communauté française locale et je tiens systématiquement des permanences parlementaires. Depuis juin 2022, j'en ai ainsi organisé plus d’une trentaine et reçu individuellement près d’un millier de nos compatriotes de l'étranger. Ces derniers sont confrontés à des difficultés de tous ordres, face auxquelles ils ont besoin d'être accompagnés : accès aux services administratifs français et aux espaces numériques, problématiques économiques et sociales, octroi de visa pour les proches étrangers, question d’état civil et de nationalité, difficultés à communiquer avec l’administration… Ces déplacements sont également l'occasion de remonter leurs préoccupations aux consuls généraux et aux ambassadeurs qui forment un maillon essentiel de la chaîne de notre service public.
Et plus précisément, quelles ont été vos principales actions pour les Français de votre grande circonscription ?
Depuis mon élection, mon activité à l'Assemblée se matérialise par des interventions en séances ou en commission, 2 rapports sur la mission Action extérieure de l'Etat en tant que rapporteur spécial de la commission des Finances et les questions écrites au gouvernement. Je suis également l'auteur d'une proposition de loi (PPL) présentée en application de l’article 11 de la constitution portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, et d'une autre en préparation conjointement avec la députée Eléonore Caroit exclusivement sur les Français de l’Etranger. Enfin, je suis également co-signataire d'une quarantaine de textes.
En marge de ce travail législatif, je m'efforce – à travers une infolettre mensuelle – de tenir les Français de ma circonscription informés des enjeux et des travaux en cours à l'Assemblée.