Mars 1945. La Seconde guerre mondiale semble aller sur sa fin. En Europe, le 3e Reich est à l’agonie. En Asie et dans le Pacifique, les soldats du Mikado sont eux-aussi dans une situation critique : partout, ils reculent, non sans livrer de féroces batailles. En Indochine française, où ils sont stationnés depuis 1940, leur situation semble de plus en plus précaire, en tout cas aux yeux des Français, qui pensent avoir gagné leur pari et réussi habilement à ménager la chèvre et le chou.


Le Petit Journal vous propose de revivre cette page tragique et méconnue de notre Histoire "9 mars 1945 : S.O.S Indochine". Le premier et deuxième chapitres reviennent sur le contexte de ce coup de force des soldats japonais.
L’Amiral Decoux, qui en reste le Gouverneur général malgré la chute du gouvernement de Vichy, veut croire qu’il pourra bientôt rendre la colonie intacte à la mère patrie. Mais il ignore que les Japonais, eux, ne l’entendent pas de cette oreille, et qu’ils sont même décidés à en finir une bonne fois pour toute avec la présence française en Indochine. Ils ont quelques bonnes raisons pour cela, à commencer par le fait que les accords qui ont été conclus en 1940 l’ont été avec le gouvernement de Vichy et qu’ils sont a priori caduques. Et de fait, ils le sont d’autant plus que la France libre du Général De Gaulle a déclaré la guerre au Japon de Hiro Hito dès 1941. S’ajoute à cela le fait que la résistance s’organise, en Indochine, et qu’il n’est pas question, pour les Japonais, de laisser faire.
Mais la principale raison qui pousse les Japonais à vouloir bouter les Français hors de l’Indochine tient à l’un de leurs buts de guerre auquel ils n’ont aucunement renoncé : rendre l’Asie aux Asiatiques.
Aussi décident-ils de prendre les Français de vitesse et d’agir par surprise. L’opération Mei - ainsi ont-ils décidé de la baptiser - va donc prendre la forme d’un coup de force brutal.
Ce sera le 9 mars au soir.
Les Français, eux, ne se doutent de rien. Ils vivent dans une espèce d’attentisme béat, avec la naïve certitude d’avoir presque gagné la partie. Les résistants de la dernière heure - des étudiants et des lycées, pour beaucoup d’entre eux - ne se donnent même pas la peine d’être discrets, tant ils sont sûrs que les soldats nippons vont déguerpir dans un avenir proche.

Aux innocents les mains pleines
Du côté de l’administration, ce n’est guère mieux. L’ambassadeur du Japon, Matsumoto, a pourtant été sans ambages. « Si nous perdons les Philippines, a-t-il déclaré, notre politique à l’égard de l’Indochine devra être révisée ». Or justement, les Américains ont reconquis la quasi-totalité de l’archipel philippin, en de début 1945.
Le 5 mars, les services australiens interceptent un message japonais, signalant qu’une attaque aura lieu le 9 mars en Indochine. L’attaché militaire français à Sidney en fait part au général Juin à Paris, qui à son tour avertit De Gaulle. Et l’histoire s’arrête là.
Ce même 5 mars à Cao Bang, l’épouse du commandant Reul, chef de la garnison, est invitée à dîner par les femmes des commerçants chinois de la ville. C’est en fait un repas d’adieu. Dans la nuit, toutes les familles chinoises quittent la cité et, sur leur route, informent le chef de poste de Trung Khan Phu, le capitaine Fraîche, qu’un coup de force japonais est sur le point de se produire dans la nuit du 6 au 7 mars. L’information est transmise sur le champ à Cao Bang, puis à Hanoï.
Le 8 mars, le commissaire Fleurot, de la Sûreté d’Hanoi, reçoit des informations plus précises : le déclenchement des opérations doit avoir lieu entre le 8 et le 10 mars. Des distributions de vivres et de munitions ont été faites aux troupes japonaises, qui ont acheté également quantité de lampes et de piles électriques. Des exercices d’attaque de maisons et de combats de rues ont été signalés, tandis que les civils nippons ont fait des provisions d’eau et ont évacué les habitations à proximité de la citadelle et des casernes. Fleurot avertit tous ses chefs. Seul le général Sabattier, chef des troupes au Tonkin, prend au sérieux les renseignements donnés par la Sûreté. Les services de contre-espionnage, eux, négligent ces avertissements, qu’ils qualifient de fantaisistes. Pour le Général Mordant, il s’agit que de préparatifs en prévision d’un éventuel débarquement américain, mais en aucun cas d’opérations dirigées contre les Français.

Aux innocents les mains pleines, donc.
9 mars 1945
À Saïgon, il est un peu plus de 19 heures, ce 9 mars, lorsque Matsumoto se rend au palais Norodom, où réside le Gouverneur général. Il lui remet un ultimatum, exigeant que les forces françaises passent immédiatement sous commandement japonais.

Decoux, qui a deux heures pour s’exécuter, tergiverse pour gagner du temps. Mais à 21 heures, les Japonais se saisissent de lui et l’emmènent dans un camp établi dans la plantation de Loc Ninh, tandis que partout ailleurs en ville, les troupes françaises sont désarmées et internées.
Dans toute l’Indochine, les Japonais sont passés à l’attaque pour mettre fin à la présence française. Les autorités, civiles et militaires, sont totalement prises au dépourvu.
À Hue comme à Saïgon, les militaires qui tentent de résister sont massacrés. À Hanoï, une réception réunissant autorités civiles et militaires a lieu au palais Puginier, la résidence des gouverneurs de l’Indochine. A 21 heures, le bâtiment est attaqué de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, par un groupe d’invités japonais, avec le commandant Sawano à leur tête. Cinquante sous-officiers français sont tués à coups de pioches ou de gourdins.
Dans la citadelle, le capitaine Omessa, ses tirailleurs et ses marsouins tiennent vingt heures à un contre dix et repoussent trois assauts dont le dernier est qualifié de fait d'armes, mais finissent par lâcher à court de munitions. Toujours à Hanoï, le capitaine Regnier est torturé et exécuté pour avoir refusé la reddition. Son adjoint, le lieutenant Damez, repousse pendant quatre-vingt-dix heures les Japonais en leur occasionnant de lourdes pertes et finit par s'enfuir, après avoir incendié le poste.
À Dong Dang, les Japonais, admiratifs devant l’héroïsme des Français, leur rendent les honneurs avant de les décapiter au sabre. Parmi eux, un véritable miraculé, un certain Fernand Cron, qui, comme tous les autres est forcé de s’agenouiller au bord d’une fosse pour y être exécuté, mais qui, lorsqu’il s’écroule, n’est entaillé que de biais à la hauteur des cervicales. Quelques heures plus tard, il réussit à s’extirper du charnier, à moitié étêté, et à s’enfuir dans les montagnes où il sera finalement recueilli et soigné par des thos.
À Lang Son, au cours d’un dîner offert en son honneur dans la demeure du commandant d’armes nippon, le colonel Robert est arrêté et décapité sur le champ devant les convives. Le résident Auphelle et le général Lemonnier, qui refusent de donner l’ordre aux hommes de la garnison de se rendre, sont eux aussi décapités.

Des frontières du Yunnan à la pointe de Ca Mau, les Français, civils ou militaires, sont faits prisonniers ou massacrés. L’opération Mei est un succès, pour les Japonais.
Indépendance.
Au matin du 10 mars, l’Indochine se réveille hébétée : la présence française (administration et armée) a été éradiquée. En une nuit, les Japonais ont réussi à faire ce que les indépendantistes tentent vainement depuis plusieurs décennies.
A Hue, Bao Daï reçoit la visite d’un émissaire japonais, qui lui offre, ni plus ni moins, l’indépendance du Vietnam.
L’empereur réunit son conseil et décide finalement d’accepter. Le 11, il proclame l’indépendance du Vietnam, qui intègre dès lors la
« Sphère de coprospérité de la grande Asie orientale », ce qui revient à dire qu’il est dans l’orbite japonaise. Ce sera l’éphémère « Empire du Vietnam ».

« Vu la situation mondiale et celle de l’Asie en particulier, le gouvernement du Vietnam proclame publiquement qu’à dater de ce jour, le traité de protectorat avec la France est aboli et que le pays reprend ses droits à l’indépendance. Le Vietnam s’efforcera par ses propres moyens de se développer pour mériter la condition d’un Etat indépendant et suivra les directives du Manifeste commun de la grande Asie orientale pour apporter l’aide de ses ressources à la prospérité commune. Ainsi le gouvernement du Vietnam fait-il confiance à la loyauté du Japon et est-il déterminé à collaborer avec ce pays pour atteindre le but précité », déclare Bao Daï.
Dans un premier temps, les deux protectorats d’Annam et du Tonkin sont réunifiés au sein d'une monarchie vietnamienne, dont les prérogatives sont théoriquement rétablies. La Cochinchine, elle, n'est pas réintégrée au reste du pays, les Japonais préférant s'en réserver provisoirement l'administration directe (jusqu’au 14 août). Le nationaliste catholique Ngo Dinh Diem, un temps pressenti pour diriger le gouvernement, s'étant récusé, les Japonais portent leur choix sur l'universitaire Tran Trong Kim.
Ce dernier forme un gouvernement qui s'emploie à administrer le pays, mais qui n’en a pas les moyens, les infrastructures existantes ayant été détruites.
Mais pour les Japonais, le problème n’est pas là. En redonnant son indépendance au Vietnam, et également au Cambodge et au Laos, ils ont atteint leur but : redonner l’Asie aux Asiatiques.
ANNEXE



Journal officiel de l’Indochine du 2 juin 1945, avec les principales proclamations du commandement japonais
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Le Petit Journal vous propose de revivre cette page tragique et méconnue de notre Histoire "9 mars 1945 : S.O.S Indochine". Nous reviendrons la semaine prochaine avec la quatrième partie ...
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