Édition internationale

Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 - chapitre 4

1972. Voilà sept ans que les soldats américains ont pris pied au Vietnam, en principe pour aider le régime de Saïgon à contenir une « rébellion » armée communiste. Voilà sept ans, aussi, qu’ils pataugent dans les jungles et les rizières et que ni les hélicoptères, ni le napalm, ni même l’agent orange, ce puissant défoliant utilisé pour débusquer l’ennemi, ne permet d’avancées réelles. Voilà sept ans, surtout, qu’ils se délitent et s’abîment dans un combat sans issue, qui les fait douter d’eux-mêmes et des valeurs du « monde libre » qu’ils sont supposés incarner.

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Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 13 avril 2025, mis à jour le 14 avril 2025

Le Petit Journal vous propose lors de cette série intitulée "Le long chemin qui mène au 30 avril 1975" de revivre la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, date qui marque la fin de la guerre du Vietnam. Le premier, deuxième et troisième chapitres reviennent sur l'avant Nixon et ses premières années de présidence, années charnières dans l’Histoire des guerres d’Indochine.

A Washington, le Président Richard Nixon, investi en janvier 1969, a bien compris qu’il fallait absolument sortir les Etats-Unis du bourbier vietnamien. Aussi a-t-il lancé et fait accélérer la « vietnamisation », qui consiste en un retrait progressif des forces américaines au profit d’une armée sud-vietnamienne renforcée. Mais Nixon a aussi ordonné à son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, d’entamer avec les représentants de la République démocratique du Vietnam, des négociations, lesquelles négociations ont lieu à Paris.  

Richard Nixon sait bien que cette question du désengagement des Etats-Unis va être cruciale pour sa réélection au mois de novembre. Il en est d’autant plus conscient que l’opposition à la guerre est de plus en plus marquée au sein de la population. Et le fait est qu’en 1972, il ne reste que très peu de soldats américains au Vietnam (à peu près 24.000), au grand dam du président sud-vietnamien, Nguyen Van Thieu, qui sent bien que ce retrait fragilise son armée et donc son régime.

Il faut dire qu’à Hanoï, le décès d’Ho Chi Minh, en septembre 1969, n’a en rien entamé la détermination des dirigeants à atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés et dont ils n’ont jamais dévié : la libération et la réunification de tout le Vietnam, depuis la frontière avec la Chine jusqu’à la pointe de Ca Mau.

C’est du reste la République démocratique va tirer la première en cette année 1972. Dès le 30 mars, l’armée populaire de libération, forte de près de 200.000 hommes, franchit le 17e parallèle. Le but n’est pas forcément d’en finir une bonne fois pour toute, mais plutôt de conquérir des territoires, d’affaiblir l’armée sud-vietnamienne et surtout d’arriver en position de force à la table des négociations, à Paris, où l’on sent bien qu’un dénouement est proche.

Cette offensive, qui va rester dans l’histoire sous le nom d’offensive « de Pâques », va surtout se concentrer autour de Quang Tri, qui va être le théâtre de combats particulièrement acharnés, de Kon Tum et de Loc Ninh, au nord-est de Saïgon.
Les Sud-vietnamiens, appuyés par l’aviation américaines, font mieux que résister. Petit à petit, ils reprennent les territoires perdus, et la reconquête de Quang Tri, en septembre, oblige les hommes de Hanoï à se replier.

 

Quang Tri, 1972
Quang Tri, 1972

A Hanoï, justement, le relatif échec de l’offensive est logiquement imputé à celui qui l’a lancé, Vo Nguyen Giap, qui est progressivement mis sur la touche (mais avec bien des égards, il reste tout de même le vainqueur de Dien Bien Phu.) au profit d’un autre général, Van Tien Dung.  

La petite fille au napalm

Mais cette année 1972 va aussi être marquée par un autre évènement, ou plutôt par une publication, celle d’une photo prise au mois de juin, à Trang Bang, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Saïgon, par un certain Nick Ut, qui réalise là le cliché de sa vie.

Qu’y voit-on, sur cette fameuse photo ? Des enfants qui courent sur une route, victimes d’une erreur de cible lors d’un bombardement au napalm. Parmi eux, une petite fille éplorée, brûlée au troisième degré, toute nue et les bras en croix : Pham Thi Kim Phuc, qui va devenir, bien malgré elle, une véritable icône.

La photo, publiée notamment par le New York Times, le New York Daily News et le Los Angeles Time, ne va pas tarder à faire le tour du monde et à symboliser à tout jamais « l’enfer du Vietnam ».

 

La petite fille au napalm
La petite fille au napalm


Faut-il le préciser ? Le cliché va avoir un impact décisif sur l’opinion américaine, qui plus que jamais, va vouloir qu’on en finisse avec le Vietnam.

Il illustre aussi, ce cliché, le rôle qu’auront joué les médias dans cette guerre du Vietnam. Jamais un conflit n’avait été autant médiatisé jusque-là. Mais en laissant les journalistes opérer très librement, beaucoup plus librement en tout cas que dans toute autre guerre, l’armée américaine a pris un risque : celui de voir l’opinion se retourner contre elle.

 

Des couvertures comme celles-ci finiront vite par semer le trouble dans l’opinion
Des couvertures comme celles-ci finiront vite par semer le trouble dans l’opinion

 

Diplomatie

A Paris, les pourparlers avancent. Les négociations, qui avaient été rompues au début de l’offensive de Pâques, ont repris le 13 juillet. Cette fois, Henry Kissinger est pressé d’en finir : les élections présidentielles approchent à grand pas. Les discussions vont finalement aboutir, le 8 octobre, à un premier projet d’accord, avec d’importantes concessions de part et d’autre.

Mais ce premier projet, qui prévoit entre autres le retrait définitif des forces américaines et le retour des forces nord-vietnamiennes au-dessus du 17e parallèle, ne fait pas l’affaire du président sud-vietnamien. Nguyen Van Thieu se doute bien que si son armée est privée du soutien aérien américain, elle ne pèsera pas très lourd face aux divisions nord-vietnamiennes. Richard Nixon va donc s’employer à le rassurer en lui promettant un soutien inconditionnel et des représailles massives en cas d’attaque du Nord.
A Hanoï aussi, la perspective d’un cessez-le-feu ne fait pas l’unanimité, l’objectif ultime restant la réunification.

A Washington, en revanche, Nixon met en avant la perspective d’une « paix honorable » et se garantit ainsi une réélection triomphale au mois de novembre : il remporte en effet 48 des 50 Etats.

Fort de ce plébiscite, le président américain décide d’employer la manière forte pour contraindre Hanoï à revenir à la table des négociations et à entériner le projet d’accord esquissé en octobre.

Hanoï sous les bombes

Du 18 au 29 décembre 1972, l’armée américaine lance une campagne de bombardements massifs sur Hanoï et les principales villes du Nord : c’est l’opération Linebacker II.

Pendant dix jours, la capitale nord-vietnamienne est ainsi prise sous un déluge de bombes. Une grande partie de la population a été évacuée dans les campagnes avoisinantes, mais pour les personnes qui se retrouvent prises au piège, ces jours et surtout ces nuits, vont rester comme l’un des paroxysmes de la terreur. S’il s’agit en principe, pour les bombardiers américains, de viser les infrastructures militaires, ce sont des quartiers entiers qui sont détruits. L’hôpital Bach Mai, l’un des plus importants de la ville, est lui aussi touché.

Mais les Nord-Vietnamiens résistent farouchement comme ils ont toujours su le faire et au total 81 avions ennemis seront abattus, ce qui permettra aux autorités de présenter cette lutte anti-aérienne contre une grande victoire, et de la célébrer comme un « Dien Bien Phu aérien », en référence à bataille désormais mythique de 1954.

 

« Nixon, tu dois payer ta dette de sang », nous dit cette affiche nord-vietnamienne
« Nixon, tu dois payer ta dette de sang », nous dit cette affiche nord-vietnamienne

 

Les accords de Paris

Début janvier, les négociations reprennent enfin, à Paris. Cette fois, il n’est plus question de tergiverser et le 27 janvier, dans les anciens locaux du ministère de la défense, avenue Kléber, les accords sur la fin de la guerre et le rétablissement de la paix au Vietnam sont enfin signés, par les Etats-Unis et la République démocratique du Vietnam, mais aussi par la République du Vietnam, qui s’y résout à contrecœur, et par le Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam, qui fait ainsi un pas vers la reconnaissance.

 

A la table des négociations
A la table des négociations...

 

Que prévoient-ils, ces accords ? Le retrait définitif des forces américaines encore présentes au Vietnam dans un délai de 60 jours, en échange de la libération, par Hanoï, des prisonniers de guerre (essentiellement des pilotes d’avions). Dans le Sud-Vietnam, un Conseil national de réconciliation et de concorde composé de représentants du régime de Saïgon, de membres du Gouvernement révolutionnaire provisoire doit voir le jour et préparer des élections générales.

Pour le Nord, un point essentiel est acquis : le départ des Américains. Pour le reste, la question se règlera tôt ou tard.
Les Américains vont de fait amorcer leur retrait, qui sera définitif le 29 mars. « Vous avez mon assurance d'une assistance continue dans la période post-règlement et que nous répondrons avec toute la force si le règlement est violé par le Vietnam du Nord », avait écrit Nixon à Thieu, au début du mois de janvier.

 

Le retour des « boys », enfin.
Le retour des « boys », enfin.


Quelques mois plus tard, en octobre, Henry Kissinger et Le Duc Tho se verront décerner conjointement le prix Nobel de la paix. Le second refusera, estimant que ces accords de Paris ne sont qu’une étape dans la lutte, mais que celle-ci continue.

 

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Le Petit Journal vous propose lors de cette série intitulée "Le long chemin qui mène au 30 avril 1975" de revivre la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, date qui marque la fin de la guerre du Vietnam . Nous reviendrons la semaine prochaine avec la cinquième partie...

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