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Karen Chan, artiste du néon à Hong Kong

néon Hong Kongnéon Hong Kong
Karen Chan
Écrit par Claudia Delgado
Publié le 2 mars 2022, mis à jour le 11 octobre 2023

Les mains prennent une extrémité du tube en verre tandis que la bouche exhale un souffle constant dans l’autre extrémité. Elles rapprochent le verre de la flamme, ce qu’il y a quelques secondes à peine était solide et inamovible, devient malléable pendant un bref instant. Les mains le tordent pour décrire un angle et le verre se contorsionne, obéissant. La flamme s’éteint et le verre se fige. Ce sont les mains de Karen Chan, artiste du néon.    

Le néon à Hong Kong

Inventé en 1910 par Georges Claude, le néon est un tube contenant du gaz qui se colore au contact de l’électricité. Jadis, les néons proliféraient dans les rues parisiennes et hongkongaises, notamment sur les devantures des music-halls. Plus tard, le panorama des rues de Hong Kong fut assailli par des enseignes au néon pour faire la publicité de toutes sortes de commerces et elles constituaient autrefois l’identité de la ville. Mais au cours des dernières décennies, près de 90% des néons de Hong Kong ont été enlevés pour des raisons de sécurité, notamment à cause des typhons fréquents dans la région.  

 

néon Hong Kong
photo@Wikimedia Commons (UCLARodent)

 

C’est dans son appartement de Fo Tan que Karen, connue sous le nom d'artiste Chankalun m’accueille. Un coup d’œil suffit pour se rendre compte qu’il s’agit de la résidence d’une artiste. Les lumières de néon côtoient les figurines ; une ribambelle de plantes égaie le studio rempli d’équipements hétéroclites ; des dessins et des tubes en verre s’éparpillent sur la table. D’un geste rapide, Karen balaye le tout afin de s’installer et me parler de son parcours.

En tant que scénographe, elle est férue d’effets spéciaux et a un penchant pour le langage visuel percutant. Son parcours en tant qu’artiste de néon commence en 2018, date à laquelle elle organise l’exposition My Light, My hood, avec des artisans du néon, parmi eux se trouve Master Wong, maître de néon de longue date.

 

néon Hong Kong
photo@Claudia Delgado

Les secrets de fabrication, une affaire de famille

Au sein de l’exposition, un atelier était prévu afin de montrer les rudiments du métier, pour cela, il fallait façonner un petit rectangle en verre, cela avait l’air assez simple. Pendant une séance d’essais et de ratages, Karen se rend compte qu’il faut énormément de concentration et de dextérité, et tombe sous le charme de cet artisanat. Elle demande à Master Wong de la prendre sous son aile, mais il refuse. Il y a dans ce refus, un côté pratique : un apprenti peut devenir un concurrent. Mais c’est surtout une affaire de famille : bien que rares soient ceux qui reprennent le flambeau, la passation de ce savoir-faire, comme tant d’autres, est de père aux enfants, la tradition le veut ainsi.

 

néon Hong Kong
photo@Karen Chan

 

Karen ne renonce pas, elle va voir un artisan de verre qui lui apprend cette première partie du métier et revient chez Master Wong pour lui montrer le verre qu’elle a travaillé pendant une semaine. Il est impressionné par ce qu’elle a pu accomplir en si peu de temps et accepte de l'avoir comme apprentie. Pour le moment, elle est la seule femme à Hong Kong travaillant dans le néon.

Clash des générations à Hong Kong

Les vieilles générations de maîtres du néon ou sifus, se montrent réticents à transmettre leur savoir-faire, tandis que les artistes d'une nouvelle génération s’ouvrent au monde et au partage des connaissances et des méthodes. « Contrairement à nous, les anciens sifus n’ont pas les outils pour expérimenter, c’est donc un échange réciproque, je découvre de nouvelles méthodes et technologies que je transmets à Master Wong, pour qu’il m’apprenne à les mettre en pratique ».     

Elle est novice en tant qu’apprentie de Master Wong, mais avec elle, il fait aussi ses débuts en tant que mentor. Tous les deux apprennent ensemble et entre eux, se noue un lien presque filial, parsemé de réprimandes : « Aiya! Tu n’es pas censé faire ça comme ça ».

 

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photo@Karen Chan

 

Après une visite à Amsterdam et à New York pour apprendre d’autres artistes, Karen comprend que ce métier s’enrichit du partage entre générations, mais aussi entre pays et cultures. Elle connaît les subtilités des néons français et néerlandais lorsqu’on les compare aux œuvres de ses congénères aux États-Unis et à Hong Kong : une attention au détail distinctive du savoir-faire européen.  

Dans ce métier dominé par les hommes, elle a rejoint le groupe She Bends, organisme qui soutient les femmes travaillant le néon. Actuellement, elle travaille au projet « The Neon Girl » : un tour qui l’amènera aux quatre coins du monde pour collaborer avec une demi-douzaine de maîtres du néon afin d’apprendre différentes techniques et d’échanger leur savoir-faire.  

 

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photo@Karen Chan

 

L’art du néon, un sport olympique

Pour Karen, cet artisanat peut être comparé à un sport olympique qui nécessite force, précision, flexibilité et une grande concentration. Depuis l'époque où elle était danseuse de ballet, elle garde assez de stabilité pour pallier ses maladresses. Il faut être réactive et agile, mais elle avoue volontiers que souvent, elle fatigue, perd sa concentration et se plante ; « c’est une force d’admettre que parfois on est faible, et ça ne me pose pas de problème de dire que c’est une tâche ardue », ses brulures et ses entailles aux doigts et à la bouche en sont la preuve, ce sont les aléas du métier.

Avec la pratique, elle apprend à gérer les températures de chaque flamme, à maitriser ses gestes et à doser son souffle selon le verre, car il faut en même temps le souffler pour que le tube ne s’aplatisse pas. Un coup de chalumeau et le verre s'allonge, se tord, se coupe, se referme.

Son appartement est teinté par des lueurs roses, jaunes et vertes se diffusant dans toute la pièce. Karen m’explique que la couleur est déterminée par le type gaz, chaque gaz libère une couleur de lumière caractéristique, par exemple, le gaz néon donne une lumière rouge tandis que l’argon émet un éclat bleuté. Si les gaz sont mélangés, des couleurs intermédiaires peuvent être produites.

 

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photo@Claudia Delgado

 

Revaloriser et réadapter le savoir-faire traditionnel

Karen continue ses activités en tant que conceptrice d’expositions et d’événements et en parallèle, elle travaille avec le néon. Elle est aussi à l’origine de HK crafts, une plateforme collaborative d’artistes contemporains et d’artisans traditionnels qui crée un pont entre générations. On y organise des programmes et des ateliers qui mettent en lumière des métiers traditionnels locaux. Comme pour le néon, tous les anciens métiers traditionnels peuvent évoluer et prendre des nouvelles formes. Afin de ne pas délaisser le savoir-faire de toute une génération, il faut l’adapter au monde actuel.  

 

 

Compte tenu de sa démarche, Karen ne se considère pas comme un maître du néon, mais plutôt comme une artiste du néon. Elle sait qu’elle est loin d’avoir le savoir-faire des autres sifus, et ce n’est pas grave, son approche est celui du quelqu’un qui expérimente, se trompe, recommence et partage ce qu’elle a appris.

De par son immersion dans le monde du néon, elle s’est mise à comparer la vie avec un verre de néon : « toute comme la vie, le verre est fragile, on peut le briser, mais aussi le souder et le réparer. Il a beaucoup de crochets et de lacets, et il est malléable, tu le façonnes à ta guise ».

Pour la Journée internationale des femmes, vous pouvez suivre sa conférence Femmes de notre temps 2022.

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