Dans l’État de l’Uttar Pradesh, en octobre 2024, une femme de 20 ans a tué son mari de 21 ans à cause d'un différend concernant ses dettes liées aux jeux en ligne. Il avait perdu toutes les économies de la famille et voulait contracter un prêt pour jouer à nouveau, espérant les rembourser ainsi.
Dans le même État, des frères adolescents de 13 et 14 ans ont dilapidé les économies familiales en jouant à des jeux en ligne pendant que leur père travaillait à l'étranger. Ils avaient créé des identifiants UPI en utilisant les numéros de téléphone portable de leurs parents et avaient transféré l'argent directement du compte bancaire vers les plateformes de jeu. Ils prétendaient utiliser leurs téléphones pour étudier en ligne. Quand leurs parents se sont rendu compte de ces dépenses, ils ont réussi à les convaincre que leur compte bancaire avait été piraté et qu'ils étaient victimes de cybercriminalité.
Au Tamil Nadu, au cours des trois dernières années, environ deux douzaines de personnes sont décédées par suicide, après avoir contracté des dettes liées aux jeux en ligne.
Il ne fait aucun doute que l’industrie du jeu en ligne soulève des questions liées à la santé mentale, à la vie privée, à l’utilisation des données, à la sécurité, à la fraude, aux paris offshore illégaux, au blanchiment d’argent, à l’évasion fiscale, et à bien d’autres encore.
Mais partout dans le monde, l’industrie du jeu a transféré la responsabilité aux utilisateurs, même si des mécanismes de plus en plus sophistiqués sont utilisés pour inciter les gens à jouer et à parier en ligne. En suivant cette tendance, plusieurs protocoles d’accord ont été signés en Inde entre l’industrie et certains États. Ces accords engagent l’industrie à promouvoir un jeu « responsable », tout en présentant le jeu comme un passe-temps inoffensif.
Nous nous concentrerons sur les principales lois régissant directement les jeux de hasard et les paris en ligne. Cela représente déjà une tâche ardue, puisqu’il n’existe pas de législation nationale et que le paysage juridique semble incertain et particulièrement complexe à suivre.
Informations générales
Comme dans de nombreux cas en matière de statistiques en Inde, les chiffres varient considérablement selon les sources utilisées. Cependant, le rapport Ernst and Young 2023 indique que le nombre de joueurs en ligne en Inde est désormais estimé à environ 420 millions de personnes, dont 120 millions d’utilisateurs payants sur la période 2021-2022. Les « jeux en argent réel » représentent plus de la moitié de la taille du marché, et le temps moyen passé à jouer atteint entre 10 et 12 heures par semaine.
Jouer en ligne : le cas des eSports
Les jeux en ligne ont une définition très large qui englobe aujourd’hui une grande variété de jeux, divisés en différentes catégories. Le terme « jouer en ligne » est un terme générique qui inclut également les jeux vidéo, quelle que soit la plateforme. L’eSport, auparavant connu sous le nom d’e-gaming, est désormais un sport pratiqué régulièrement lors d’événements internationaux et réglementé par la Fédération internationale des eSports.
Être un joueur professionnel est aujourd’hui un métier. Comme dans tout autre sport reconnu, les meilleurs joueurs au monde gagnent plusieurs millions par an grâce au jeu lui-même, mais aussi à la publicité, au streaming des jeux sur diverses plateformes et à d’autres sources de revenus.
L’Inde, pour sa part, surfe sur cette vague et a emmené une équipe officielle aux 19ᵉ Jeux asiatiques qui se sont tenus en Chine en 2023. L’inclusion de l’eSport aux Jeux asiatiques est une première. Il bénéficie désormais du soutien du Comité olympique indien. L’eSport avait déjà attribué des médailles lors de sa participation aux Jeux asiatiques en Indonésie en 2018, mais il fait désormais partie intégrante des programmes sportifs officiels des futurs Jeux asiatiques.
Malgré des inquiétudes croissantes, l'industrie du jeu vidéo connaît un essor important en Inde, et les problèmes semblent seulement commencer. Pendant la période du Covid, comme l'a rapporté Nikkei Asia, l'Inde représentait 15 % du trafic mondial de jeux vidéo, et la croissance est exponentielle.
Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît l’addiction aux jeux vidéo comme un trouble de santé mentale. Cette définition est inscrite dans la 11ᵉ Révision de la Classification internationale des maladies. L’eSport étant donc maintenant considéré comme un sport, nous n’allons pas nous étendre sur sa réglementation ni les risques qu’elle comporte.
Notre article ne porte pas sur le sport. Nous nous concentrerons principalement sur les autres catégories, qui ont fait l’objet de nombreuses controverses devant les tribunaux.
Autres catégories de jeux en ligne
Le monde du jeu en ligne est désormais très vaste et ne se limite pas à l’eSport. Il inclut également d’autres catégories, comme les jeux hyper casual, avec des titres tels que Tetris ou Candy Crush, ainsi que les jeux de fantasy.
Cependant, deux grandes catégories font débat en Inde, car la légalité du jeu dépend de sa classification dans l’une ou l’autre. La distinction clé se situe entre les « jeux d’adresse ou jeux de compétence » et les « jeux de hasard ». À noter qu’il existe trois États — le Telangana, l’Odisha et l’Assam — où tout type de pari est interdit, même lorsque des compétences sont impliquées.
Cette notion a été particulièrement bien expliquée dans le livre Boundary Lab: Inside the Global Experiment called Sport de Nandan Kamath, un avocat basé à Bengaluru. Une grande partie des informations contenues dans cet article s’inspire de son analyse approfondie de l’évolution de la législation en Inde.
Où les jeux de hasard sont-ils légaux ?
En règle générale, les jeux d'argent et les paris sportifs sont illégaux en Inde. En revanche, les jeux de fantasy sont considérés comme des jeux d'adresse ou de compétence, et sont donc légaux. Les mêmes règles s'appliquent aux jeux de cartes en ligne, comme le Rummy et le poker.
En matière de jeux d’argent, les principales réglementations relèvent des États. Bien que les casinos soient interdits dans presque toutes les régions de l’Inde, la Goa, Daman and Diu Public Gambling Act 1976 autorise l’installation de casinos dans des hôtels cinq étoiles ou sur des navires offshore, sous réserve d’une autorisation préalable du gouvernement de ces territoires. Les jeux d’argent sont également légaux dans le petit État du Sikkim grâce à la Sikkim Online Gaming (Regulation) Act, 2008, qui les autorise à l’intérieur des frontières de l’État.
Il convient de rappeler qu’avec une population totale d’environ 2,5 millions de personnes dans ces États et territoires, ces lois ne concernent qu’environ 0,16 % de la population totale indienne. Dans le reste du pays, il n’existe ni casinos ni autres lieux de jeu.
Cependant, aujourd’hui, les problèmes ne viennent pas réellement des salles de jeux physiques ou des casinos. Le véritable défi est posé par les jeux et paris en ligne, qui se multiplient sur nos téléphones et ordinateurs.
Principales lois et réglementations
Il existe plusieurs lois qui régissent les jeux de hasard. A commencer par la Constitution indienne de 1950, qui confère aux gouvernements des États le pouvoir d’adopter des lois définissant ce qui constitue des pratiques de jeu autorisées et celles qui sont illégales. En outre, l’article 62 confère aux gouvernements des États le pouvoir de légiférer sur l’imposition de taxes liées aux jeux d’argent et aux paris.
Mais la principale loi nationale en vigueur est toutefois la Loi sur les jeux de hasard de 1867. Cette loi prévoit des sanctions pour les jeux de hasard publics et interdit les maisons de jeu en Inde. Il s’agit indéniablement d’une loi obsolète. Depuis 2022, le gouvernement a annoncé son intention de créer une législation adaptée à l’environnement moderne des jeux.
La situation est d’autant plus préoccupante que la Loi sur les technologies de l’information de 2000 ne contient aucune disposition relative aux jeux de hasard et aux paris en ligne. Pourtant, le marché indien des jeux de hasard continue de croître malgré l’absence de réglementation claire et un accès extrêmement facile.
Dans un pays compétitif comme l’Inde, une autre loi importante est la Loi sur les concours de prix de 1955, qui vise à restreindre les activités de jeu attribuant des prix en guise de gains. Dans l’affaire RMD Chamarbaugwalla c. Union of India (1957), la Cour a clarifié la portée de cette loi. Elle a déclaré que « les législateurs avaient l’intention que cette disposition régisse et supervise les concours de prix de nature ludique et que, puisque certains concours reposent fortement sur les compétences des participants sans nuire au public, ceux-ci ne doivent pas être réglementés ».
La fine frontière entre les compétences et le hasard
La Cour suprême de l'Inde a déclaré que le Rummy et le poker étaient des jeux d'adresse, mais le gouvernement du Tamil Nadu souhaitait qu'ils soient classés comme des jeux de hasard.
Pour compliquer encore les choses, l’État du Tamil Nadu a promulgué la Loi de 2022 sur l’interdiction des jeux d’argent en ligne et la réglementation des jeux en ligne au Tamil Nadu. Cette loi se concentre uniquement sur les jeux en ligne, excluant les jeux hors ligne. De plus, parmi les jeux en ligne, seuls les jeux de hasard sont concernés, imposant à la Cour de se prononcer.
La Haute Cour de Madras a jugé que le gouvernement du Tamil Nadu n'avait pas démontré comment un jeu considéré comme un jeu d'adresse par la Cour suprême pouvait devenir un jeu de hasard lorsqu'il était pratiqué en ligne. Elle a donc appuyé la décision de la Cour suprême.
La Cour a déclaré que « les jeux de Rummy et de poker, qui sont considérés comme des jeux d’adresse, sont également proposés en ligne, et la même activité cérébrale est nécessaire pour les versions en ligne comme pour les versions hors ligne ». La Haute Cour de Madras a également estimé que la définition du terme jeu en ligne dans la loi de 2022 devait être limitée aux jeux de hasard.
Elle a toutefois reconnu que le gouvernement de l’État devait élaborer des réglementations pour imposer des restrictions d'âge aux joueurs, fixer des limites monétaires et de temps pour la pratique des jeux en ligne, ainsi que d'autres mesures nécessaires à la mise en œuvre de la loi.
Si tout cela semble compliqué, c’est parce qu’il est effectivement difficile de s’y retrouver.
Voyageons maintenant au Rajasthan et aux jeux de fantasy en ligne. Ces jeux sont désormais considérés comme des jeux d'adresse et non comme des jeux de hasard. En 2024, la Haute Cour du Rajasthan s'est prononcée sur la question en affirmant que même Dream11 est un jeu d'adresse, sans éléments de pari ni de hasard.
Et alors que rien n'est clair, que dire des paris sportifs ?
Quiconque a déjà assisté à un événement sportif sait que les paris en font partie intégrante. Ces paris couvrent une large gamme d'activités, allant des sports traditionnels et pratiques locales, comme les combats de coqs, jusqu'au sport le plus populaire en Inde : le cricket.
Le marché des paris sportifs est immense. Selon les statistiques de TAXSCAN, pendant la Premier League indienne, 340 millions de personnes auraient parié sur le cricket, sport favori pour les paris dans le pays.
Cependant, ce domaine reste hautement controversé. Les lois régissant les paris sportifs varient selon les États. Seuls les plus petits États, comme le Sikkim et le Nagaland, ont mis en place une forme de réglementation encadrant les paris sportifs.
Dans la majorité des régions du pays, les paris sportifs prospèrent illégalement.
Et surtout, n'oublions pas le régime fiscal.
Depuis octobre 2023, un nouveau régime fiscal s'applique aux jeux en ligne, aux casinos et aux courses de chevaux. Il prévoit une taxe de 28 % sur la valeur brute des paris.
Et oui, les courses de chevaux, elles, sont totalement légales.