Vasco de Gama arriva à Calicut en 1498 et les Portugais furent les premiers Européens à s’établir en Inde. Ils s’installèrent progressivement sur la côte ouest et firent de Goa la capitale indienne de la Couronne portugaise en 1510. L’émigration portugaise eut pour particularités un encouragement à se mélanger à la population locale et la volonté de diffuser la religion catholique. Quelques décennies après l’arrivée de Vasco de Gama, les Portugais furent aussi les premiers Européens à se fixer au Bengale. Que reste-t-il de leur passage dans cette région du sous-continent indien ?
Avec initialement des objectifs commerciaux, les Portugais formèrent au Bengale une groupe hétérogène dont beaucoup étaient des aventuriers. Certains d’entre eux devinrent des mercenaires, des pirates voire des marchands d’esclaves. En bengali, le mot firingi désignait les étrangers européens en général. Mais le mot harmad dérivé d’armada, fait uniquement référence aux Portugais comme éléments asociaux.
Au Bengale occidental, la présence commerciale des Portugais se fit à partir de 1536 à Satgaon, surnommé le Petit Port. Il fut délaissé au profit de celui de Hoogly vers 1578 quand l’empereur moghol Akbar donna la permission aux Portugais de s’y installer. Ils obtinrent des terres ainsi que la liberté religieuse. Mais en 1632, les troupes de l’empereur Shah Jahan firent le siège de Hoogly en expulsant les Portugais, qui purent ultérieurement revenir et reconstruire leur église.
Hoogly fut le premier lieu d’implantation des Anglais en 1651. Les Portugais et les Luso-indiens (ndlr : les descendants de Portugais et de femmes indiennes) subirent progressivement l’expansion britannique. Hoogly perdit sa gloire et la ville de Calcutta, créée en 1690, devint le centre culturel et commercial du Bengale.
Durant cette courte présence dominante, les Portugais apportèrent de nouvelles variétés de fruits et de légumes, le mode de confection de Mishtis (sweets ou douceurs) et du fromage, de nombreux objets du quotidien et le catholicisme qui resta une religion marginale.
Les fruits et les légumes apportés par les Portugais
Les Portugais ont fourni au Bengale de nouvelles variétés de fruits et de légumes, originaires pour la plupart d’Amérique latine, parfois sans intermédiaire, comme en attestent leurs noms très proches de la langue portugaise.
L’ananas (anarosh), la papaye (pepe), la goyave (peara), les noix de cajou (caju) et la pomme-cannelle (ata) sont devenus des fruits communs.
Le chou (kopi), le chou-fleur (phul kopi) et les tomates (bilati) sont en lien direct avec les Portugais. Mais, les pommes de terre (alu) ont été introduites au Bengale par l’intermédiaire des Anglais.
C’est aussi aux Portugais que la cuisine bengali doit les piments (kancha morich) sans lesquels elle serait bien fade, car il n’existait localement que le poivre et le gingembre.
Le tabac (tamok) peut être ajouté à cette liste. Il reste très consommé, surtout sous forme de Bidis confectionnées de manière artisanale, enroulé dans une feuille de Tendu, dont la production reste importante au Bengale.
Chhana, Mishtis (sweets ou douceurs) et le fromage
Le voyageur français François Bernier, qui vécut en Inde dans les années 1650, écrivit que “le Bengale est célèbre pour ses Mishtis (traduit par Sweets en anglais ou Douceurs en français), particulièrement dans les endroits habités par les Portugais qui sont experts dans l’art de les préparer”.
D’après les textes anciens, des Mishtis étaient confectionnées de très longue date au Bengale. Mais, il est admis que les Portugais ont introduit l’art de réaliser deux Mishtis emblématiques du Bengale, les Sandesh et les Roshogolla, ainsi que le moins populaire fromage de Bandel.
La raison en est simple. Dans la tradition hindoue, le lait de vache doit être utilisé pur, sans additif ou modification. Les Portugais ont apporté la recette du lait caillé, chhana, en ajoutant du jus de citron au lait bouilli.
Il y a trois ans, j'ai découvert
que le Chhana
n'était pas intemporel
mais importé par les Portugais.
Depuis je me demande qui sont les Portugais
et pourquoi
on les a aujourd'hui presque oubliés.
Le Chhana est-il
l'heureux résultat d'une intuition ?
Est-ce notre prescience
de cet amas laiteux
qui lui a donné vie,
ou bien est-il
depuis toujours une création étrangère
parvenue jusqu'à nous
depuis un lointain ailleurs ?
Extrait de Sweet shop d'Amit Chaudhuri - 2019 - Traduction française Gourmandises 2021 Ed Globe
Pour réaliser les Sandesh et les Roshogolla, le lait de vache entier caillé (chhana) est égoutté, écrasé, sucré, malaxé puis séparé en boules. Les Sandesh peuvent ensuite être décorés et les Roshogolla plongés dans du sirop et cuits jusqu’à devenir spongieux.
Le fromage de Bandel se fait aussi à partir de lait de vache caillé. Le channa est séparé du petit lait, égoutté puis moulé dans des pots perforés. De petite taille, ces fromages salés ont deux variétés : nature blanc et fumé avec une croûte.
Toujours fabriqués au Bengale, ils sont vendus dans deux échoppes de New Market à Calcutta.
La langue portugaise
Les Portugais ont apporté une centaine d’objets dont les noms sont restés pour la plupart dans le langage courant, certains ayant toutefois disparu au profit de leurs équivalents en anglais.
Parmi les mots toujours usités, on trouve dans la maison, l’armoire (almari), la fenêtre (janala), comme ustensiles, le seau (balti), la clé (chabi) et pour la couture, l’épingle (alpin), le bouton (botam) ou le fer à repasser (istri).
Mais les Portugais ont aussi introduit les bombes (boma) et les canons (pipa) .
Les missionnaires fournirent les mots en lien avec la religion catholique comme prêtre (padri), la croix (kroush) ou l’église (girdja).
La première “Grammaire et dictionnaire bengali” fut écrite en portugais par un missionnaire et imprimée à Lisbonne en 1743, de même que le premier catéchisme bilingue portugais/bengali.
Et à titre indicatif, les Portugais rapportèrent de l’Inde quelques mots transmis en français :
- mangue, curry (cari) et paria, venus du tamoul,
- jacquier, bétel et teck venus du malayalam.
Les églises catholiques portugaises
La date précise de l’arrivée des prêtres et des religieux missionnaires au Bengale n’est pas connue, mais la première église portugaise y fut construite en 1599. Actuellement, le diocèse du grand Calcutta compte environ 145 000 catholiques pour 29 millions d’habitants et l'État du Bengale Occidental, 650 000 catholiques pour 90 millions d’habitants soit 0,7% de la population.
Les Portugais vinrent s‘établir progressivement à Calcutta après la fondation de la ville par Job Charnok en 1690. Trois églises témoignent de leur présence.
Church of the Sacred Heart of Jesus
L’Eglise du Sacré Coeur de Jésus a été édifiée en 1834 à la suite du vœu d’une riche Portugaise. Construite au centre du Calcutta anglais comme en témoigne la lithographie de 1848 de Charles d’Oyly, elle est moins visible de nos jours.
Church of Our Lady of Dolors
L’Eglise de Notre Dame des Douleurs, connue sous le nom de Baitakhana Church, fut fondée en 1809.
Cathedral of the Most Holy Rosary
Grâce à des commerçants portugais philanthropes, une chapelle construite en 1690 fut remplacée par une église inaugurée en 1799. Connue sous le nom d’Eglise Portugaise ou de Murgihata Church, elle est la cathédrale catholique de Calcutta, dont l’archevêque actuel a un nom d’origine portugaise.
Et l’église la plus ancienne est située à Bandel, à une quarantaine de km au nord de Calcutta.
L’église de Bandel
En 1599, des prêtres portugais de l’ordre des Augustins bâtirent à Bandel l’église de Notre Dame du Rosaire, la première église catholique du Bengale. Mais, elle fut détruite en 1632 au moment du siège de Hoogly par les troupes du gouverneur moghol du Bengale.
L’histoire relate qu’un prêtre rescapé fut amené avec d’autres prisonniers à Agra. Devant subir la peine capitale en étant écrasé par un éléphant, ce dernier le sauva en le mettant sur son dos. Stupéfait, l’empereur Shah Jahan fit libérer le prêtre ainsi que les autres prisonniers. Puis en 1633, il accorda aux portugais des privilèges commerciaux et aux pères Augustins un terrain pour reconstruire l’église, qui fut érigée en 1660. Elle fut ensuite reconstruite plusieurs fois.
La suite de la légende raconte que la statue de la Vierge, qui avait coulé dans la rivière au moment du sac de la ville, fut retrouvée. Puis un bateau portugais fut pris dans une tempête et le commandant fit le vœu de donner le mât de son bateau à la première église qu’il verrait s’ils étaient sauvés. Depuis, le mât est dans l’enclos de l’église devenue Notre Dame du Bon Voyage. Consacrée basilique en 1988, elle est toujours un lieu de pèlerinage.
Si actuellement il persiste peu de Luso-indiens au Bengale, l’héritage des Portugais est toujours bien présent.