Il y a trois mois, le 11 mars 2020, la Turquie annonçait le premier cas de Coronavirus, Covid-19. Aujourd’hui, le pays compte officiellement 173 036 cas (dont 146 839 guéris) et 4746 morts dus à la pandémie.
Alors que le pays se "dé-confine" progressivement (ouverture des restaurants, cafés, plages, entre autres, le lundi 1er juin), certains scientifiques mettent en garde contre les risques qui perdurent, notamment dans la région d’Istanbul, province la plus touchée par la pandémie.
Trois mois après l’annonce du premier cas dans le pays, cet article a pour but de faire un point sur la situation de la pandémie de Covid-19 en Turquie.
Anéantissement de la vie sociale, maintien d’une partie de la vie économique
Très peu de temps après l’officialisation du premier cas, les autorités turques n’ont pas tardé à annoncer la fermeture des écoles, puis des bars, cafés, centres sportifs, cinémas, parcs, mosquées, etc., et finalement de tout lieu de vie sociale.
A partir du week-end du 11-12 avril, de nombreuses provinces ont été mises en confinement total, et ce, tous les week-ends pendant presque deux mois ; de plus, le confinement obligatoire a été annoncé pour les + de 65 ans et pour les - de 20 ans (- de 18 ans à partir de fin mai) respectivement les 21 mars et 3 avril (avec un aménagement de cette règle à partir de début mai : sorties autorisées de quelques heures les dimanches pour les + de 65 ans, les mercredis pour les - de 15 ans, et les vendredis pour les 15-20 ans).
A noter aussi que, pour lutter contre la propagation du virus dans les prisons, le Parlement turc a voté, mi-avril, une loi permettant la libération de milliers de détenus ; les opposants au régime, journalistes etc. ont été exclus de cette décision.
Malgré une opposition politique qui défendait la nécessité d’un confinement strict (comme en France ou en Italie), la Turquie a fait le choix de ne pas anéantir complètement la vie économique du pays, et bon nombre de secteurs ont continué d’opérer pendant la semaine (ceux qui le pouvaient ont fait du télé-travail, et certains continuent même à ce jour, au moins en alternance).
Un dé-confinement progressif… trop rapide ?
Depuis que les autorités turques ont annoncé des mesures d’assouplissement, il semblerait que les Turcs n’aient pas été particulièrement raisonnables. Après le premier week-end de "liberté retrouvée" les 6-7 juin, une pluie de critiques a déferlé sur les réseaux sociaux, montrant notamment des photos des pelouses noires de monde du bord de la Mer de Marmara (Fenerbahçe, Caddebostan, à Istanbul).
Nombreux sont ceux qui regrettent ce type de comportements, "après les efforts fournis" pendant presque trois mois ; surtout qu’en l’espèce, un ultime couvre-feu avait été annoncé par le ministère de l’Intérieur le jeudi 4 juin au soir (pour le week-end des 6-7 juin en question), pour être finalement levé le lendemain matin sur décision du Président Erdogan, au motif que les citoyens reprenaient tout juste une vie "normale".
Le Ministre de la Santé, Fahrettin Koca a lui aussi regretté avec ironie l’absence de respect des règles de distanciation sociale entre les pêcheurs sur le pont de Galata.
GALATA KÖPRÜSÜNDE bugün çekilen fotoğraftan anladığımıza göre, balıkçılar arasında 1,5 m mesafe kuralına uyulmamış. Kovalar dolmuş mu bilmiyoruz ama virüs köprüye uğramışsa eli boş dönmemiştir. Özellikle kronik hastalığı olanlar MASKESİZ, MESAFESİZ risk altındadır. RAST GELMESİN! pic.twitter.com/OYV0Jazdrh
— Dr. Fahrettin Koca (@drfahrettinkoca) June 6, 2020
Tweet : "Nous ignorons si les seaux des pêcheurs se sont remplis mais il est certain que si le virus a fait un détour par le pont, il n’est pas rentré les mains vides".
Aussi, depuis le 1er juin, les restaurants, cafés etc. ont pu rouvrir (dans un premier temps jusqu’à 22h00, puis le 9 juin, il a été annoncé que l’heure de fermeture était portée à minuit). [Ces dernières semaines, les restaurants pouvaient fonctionner pour des livraisons à domicile].
Depuis le 10 juin, les personnes âgées de + de 65 ans peuvent sortir de 10h00 à 20h00 ; les jeunes de - de 18 ans peuvent également sortir accompagnés de leurs parents. Les salles de spectacles, cinémas et théâtres pourront rouvrir à partir du 1er juillet, et les mariages pourront être fêtés à partir du 15 juin.
Concernant les règles de protection et d’hygiène, l’entrée dans de nombreux lieux publics (centres commerciaux, métro etc.), est soumise à un contrôle de température ; par ailleurs des marquages au sol indiquent la distanciation sociale nécessaire à respecter.
(Photo crédit : Duygu Gür, Levent/Istanbul, le 1er juin)
Immunité collective et risque de deuxième vague
Mehmet Ceylan, chef du département des maladies infectieuses pédiatriques de l’hôpital de Hacettepe à Ankara, a récemment souligné qu’il était trompeur de regarder le nombre quotidien de décès, insistant sur le fait que ce qui est important est le nombre de nouveaux cas.
Quant à la "stratégie de l’immunité collective", il a annoncé qu’il faudrait que 50% de la population soit immunisée pour vaincre la pandémie, or même à Istanbul où il y a beaucoup de cas, 6,7% de la population est actuellement immunisée selon lui, et ce chiffre se portera peut-être à 7,5% une fois 200 000 cas atteints ; au niveau national il considère que le taux d’immunité est d’environ 2,5%. Ainsi, si l’on souhaite atteindre 50% d’immunité collective, il faudrait, selon Mehmet Ceylan, revivre 7 fois l’épidémie avec la même ampleur que ce qu’Istanbul a connu depuis trois mois.
Début juin, le Conseil consultatif scientifique de la municipalité métropolitaine d'Istanbul (IBB) a fait part de ses réserves quant au processus de "normalisation", et indiqué qu’une deuxième vague était sûrement à prévoir en octobre-novembre.
Pour sa part, le Ministre de la Santé, Farhettin Koca, s’offusque régulièrement dans des tweets sur la façon dont les citoyens font peu de cas des règles de protection (exemple ci-dessous), encourageant les citoyens à respecter les mesures barrières.
Sıfır yeni vaka hedefine ulaşmak için, riske karşı uyanık olalım: Virüs, ağız ve burun yoluyla bulaşıyor. Ağız veya burun açık kalırsa, maske takmış ama gözümüzü gerçeğe kapatmış oluruz. Risk bu kadar mesafesizken uyarıları dinleyelim. pic.twitter.com/l6a5TQhtpV
— Dr. Fahrettin Koca (@drfahrettinkoca) June 4, 2020
Il a annoncé que si une deuxième vague devait arriver, la Turquie était désormais prête ; et la deuxième vague serait, selon lui, moins préoccupante que la première.
L’étude du Deep Knowledge Group : 37ème place pour la Turquie
Deep Knowledge Group est un consortium, groupe de réflexion, basé entre Londres et Hong Kong, dont la mission principale est l’analyse de données, particulièrement dans le domaine scientifique. Depuis le début de la crise sanitaire, Deep Knowledge Group classe régulièrement les pays qui maitrisent le mieux l'épidémie de covid-19 dans le monde, prenant en compte 130 paramètres (efficacité de la quarantaine, efficacité de la gestion gouvernementale, détection et surveillance de l’épidémie, et enfin, les capacités hospitalières d’urgence dans chaque pays - quantité de ventilateurs ou de lits de réanimation par exemple - etc.). Dans son dernier rapport rendu début juin, il place la Turquie au 37ème rang des pays les plus "sûrs", devant l’Espagne (45e), les États-Unis (58e), la France (60e), ou encore le Royaume-Uni (68e).
Peut-on dire que la Turquie s’en sort "plutôt bien" dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 ?
Il faut rappeler que la population turque est très jeune (âge médian : 32,4 en 2019).
Sur les trois derniers mois, il semblerait que la Turquie n’ait pas fait face à une situation de saturation de ses hôpitaux (les hôpitaux publics comme privés ont reçu des patients Covid-19).
Il faut préciser que de nombreux hôpitaux sont présents sur le territoire, avec une capacité de plus de 230 000 lits ; mais surtout, on compte plus de 25 000 places en réanimation, ce qui représente une moyenne de 40 lits en réanimation pour 100 000 habitants ; alors que la France par exemple, compte environ 7000 places en réanimation, ce qui fait une moyenne de 11,6 lits pour 100 000 habitants.
Ainsi, les investissements réalisés dans le domaine de la santé ces dernières années (notamment dans les hôpitaux privés turcs pour répondre à la forte demande de tourisme médical international) n’auront pas servi à rien…
Au niveau du matériel de protection, il semblerait que le pays n’ait pas connu de problème majeur en ce qui concerne l’approvisionnement en masques et en gels hydroalcooliques (entre autres).
Si certains professionnels de la santé s’accordent pour dire (officieusement) que les chiffres officiels annoncés par les autorités pourraient être multipliés par deux au moins… le 10 juin, le nombre de cas est officiellement de 173 036, 4746 personnes sont décédées, 631 personnes seraient toujours en soins intensifs et 280, intubées. Au plus fort de la crise, le nombre de décès maximum a été de 127 en une journée (le 19 avril).
Le dur coup économique à venir
L’économie turque se portait déjà mal plusieurs mois avant le début de la crise sanitaire. Le pays connaissait un taux de chômage de 13,7% fin 2019 (celui-ci est très élevé chez les jeunes). La Livre turque s’est effondrée un peu plus ces dernières semaines (au 10 juin : 1$ = 6,79TL ; 1€ = 7,70TL).
Selon certains économistes, les effets économiques de la pandémie ne se feront sentir que d’ici quelques mois.
Quant au tourisme, même si la Turquie se déclare prête à accueillir des touristes pour la saison estivale, du côté du trafic aérien, des doutes subsistent. Il a été annoncé plusieurs fois par la compagnie Turkish Airlines, puis par le Ministre des Transports turc, que la reprise des vols internationaux s’opérerait à partir des 10 et 18 juin, mais les Ministres de l’Intérieur européens ont pour leur part décidé de se coordonner pour une réouverture progressive des frontières extérieures de l’Union, à partir du 1er juillet… et l’Allemagne a pour sa part annoncé, mercredi 10 juin, qu’elle prévoyait d'interdire l’entrée sur son territoire aux non Européens jusqu’au 31 août…