Le Gouverneur Ahok va faire face à ses juges pour un procès qui promet d'être fortement médiatisé. Celui qui se présente aux élections de février 2017 en tant que Gouverneur de Jakarta après avoir exercé cette fonction durant 2 ans, prenant la suite du Président Jokowi après les élections présidentielles, est sous le coup d'une mise en examen pour blasphème au Coran. Il risque l'emprisonnement et le verdict aura une valeur hautement symbolique dans ce pays à majorité musulmane. Précisons que Ahok est issu d'une double minorité : chrétienne et chinoise. Afin de mieux comprendre les enjeux de ce procès et des récents événements politiques liés à cette affaire, nous avons demandé à Goenawan Mohammad de nous donner son avis. Goenawan Mohammad est essayiste, auteur de pièces de théâtre, poète et ancien rédacteur en chef du magazine Tempo. Il a également été de tous les combats à l'origine de la chute de Suharto en 1998. Il continue à écrire un billet hebdomadaire pour Tempo.
Goenawan arrive pile à l'heure, politesse exquise à Jakarta, au rendez-vous qu'il nous a fixé au théâtre Salihara, haut lieu de la contre-culture à Jakarta. Vêtu de sa chemise en lin noire coutumière, il parait bien plus jeune que ses 75 ans. Il a l'expérience et le recul de ceux qui ont vécu des luttes intenses, qui ont dû se battre pour leur liberté d'expression. Il en a été récompensé et a reçu de prestigieux prix internationaux dans les années qui ont suivi la chute de Suharto : le CPJ International Press Freedom Award en 1998, le International Editor of the year by World Press Review en 1999 ou encore le Dan David Prize award en 2006. Sa parole est encore aujourd'hui très écoutée en Indonésie et ses chroniques hebdomadaires ont fait l'objet d'éditions en librairie sous le nom de « Catatan Pinggir » ou « Sidelines ».
Il n'y va pas par quatre chemins lorsque nous lui posons la question de ce qu'il pense de la situation politique du Gouverneur Ahok : « C'est triste et alarmant, pas seulement pour Ahok mais pour ce que cela implique en terme d'injustice profonde. » On le sent révolté. « C'est une injustice car il n'est pas coupable mais les gens continuent à l'attaquer et à faire d'un mensonge une vérité acceptable » poursuit-il. L'homme, de religion musulmane, se dit également profondément révolté par le fait que le blasphème fasse l'objet d'un article de loi dans la Loi indonésienne parce que « c'est une marche importante vers le contrôle de la liberté d'expression ».
Le plus choquant selon Goenawan Mohammad est qu'une minorité, représentée en l'espèce par Ahok soit ainsi mise dans un corner : « ce n'est jamais bon pour la démocratie. Nous commencions à être une nation démocratique et tout à coup, nous revenons en arrière. »
Au-delà de l'aspect légal de l'affaire Ahok et de sa signification, l'ancien journaliste dénonce une coalition qui souhaiterait changer le cours de l'histoire, « une alliance opportune de militaires nostalgiques de l'ordre ancien avec les islamistes radicaux, comme autant de forces réactionnaires émergentes ». Ce que Goenawan Mohammad met en perspective avec ce qui se passe actuellement en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.
« Jokowi a le bon état d'esprit pour faire avancer les choses. Ses origines pauvres, sa lutte contre la corruption sont des atouts. Sa réaction lors de la dernière manifestation du 2 décembre a été brillante, il a joué un jeu parfait dans un timing idéal. » indique encore Goenawan Mohamad, comme une note optimiste malgré son pessimisme certain et sa vraie inquiétude quant à la situation politique de l'Indonésie.
Amélie Heim (www.lepetitjournal.com/jakarta) mardi 13 décembre 2016