CEO de Asialink-Spain, cabinet de conseil fondé par ses soins en 2005 spécialisé dans l'accompagnement des entreprises entre la Chine et l'Espagne, Présidente du China Club Spain, l'association des cadres dirigeants et professionnels chinois en Espagne, cette Shanghaïenne installée à Madrid depuis plus de 25 ans s'est spécialisée dans la promotion de la destination Espagne auprès des touristes chinois.
Et c'est en la matière une véritable révolution, entre l'obtention des premiers visas pour l'Europe en 2004, le développement des tour-opérateurs et l'essor d'un nouveau profil de voyageurs, les millenials chinois, que Jennifer Zhang fait venir. Si pour les Chinois l'Espagne reste une destination de deuxième choix, à l'heure d'organiser un séjour en Europe où la France et l'Italie, et dans une moindre masure la Grande Bretagne et la Suisse, continuent à monopoliser la majeure partie des déplacements, la réputation du pays et les retours d'expérience du relativement petit volume de voyageurs chinois ayant franchi le cap sont excellents, laissant augurer de belles perspectives, parallèlement à un boom du nombre de voyages issus de l'Empire du milieu enregistrés -concrètement 130 millions en 2017, dont 2 millions vers la France et 720.000 vers l'Espagne. "En 2 ans, nous avons doublé le nombre de voyageurs", se réjouit Jennifer Zhang.
Or, pour mettre en avant l'Espagne et attirer les touristes chinois, Jennifer Zhang dispose d'un outil particulièrement puissant, qui devrait lui permettre de faire jouer l'effet multiplicateur dans les meilleures conditions : représentante pour l'Espagne de CTrip, "l'équivalent chinois du géant Expedia", elle peut compter sur le savoir-faire d'une entreprise réputée pour son utilisation du big data, avec pas moins de 300 millions d'utilisateurs enregistrés (en plus des 650 millions utilisateurs connectés à son application -la moitié de la population chinoise- un chiffre parmi tant d'autres qui illustre le gap qui existe en la matière entre la Chine et le vieux continent), qui fournissent à la compagnie des informations très précises sur leurs goûts et leurs besoins en matière de voyage. "En Chine le digital est omniprésent", appuie Jennifer Zhang, "et CTrip est un véritable monstre du domaine".
La majeure partie des touristes chinois viennent en Europe pour le patrimoine de la région et la culture
"Entre 2004 et 2010, le tourisme chinois vers l'Europe s'est caractérisé par des packs de voyages organisés, au cours desquels les participants visitaient jusqu'à 8 pays en 10 jours", déchiffre la CEO d'A-Spain. "Dans ce contexte, on comprend que le choix des voyageurs allaient vers des valeurs sûres". Ne disposant pas de temps à perdre pour découvrir des territoires plus ou moins vierges de toute réputation, ou n'ayant pas su ancrer dans les mentalités un mythe suffisamment puissant, le touriste chinois est pendant un certain temps passé à côté de l'Espagne. Pour autant les choses évoluent. "On assiste à l'arrivée d'un nouveau type de tourisme en provenance de Chine", analyse encore Jennifer Zhang, "composé d'une nouvelle génération de voyageurs, plus jeunes, issus de la classe moyenne supérieure des principales villes du pays -Pékin, Canton, Shanghai et Shenzhen-, qui maîtrisent les langues étrangères, sont cultivés et voyagent pour leur propre compte". Et d'ajouter : "Autant le touriste des voyages organisés avait mauvaise réputation auprès des zones de destination, autant ce nouveau profil de touriste les intéresse, notamment parce qu'il dépense beaucoup plus que ses homologues en provenance d'autres pays".
Des dépenses 7 fois plus élevées que celles d'un touriste européen sur une semaine
"La majeure partie des touristes chinois viennent en Europe pour le patrimoine de la région et la culture", décrypte la représentante de CTrip. Pour l'Espagne, les motivations ne sont pas différentes, si ce n'est qu'en plus de ses indéniables attraits en la matière, le pays jouit en outre d'une formidable réputation en Chine concernant sa gastronomie, et son art du tapeo. "Les Chinois ont l'habitude au restaurant de commander des plats en commun et de les partager entre convives : ils se retrouvent complètement dans la manière de faire des Espagnols". Et le "sol y playa" ? "Il n'intéresse pas les Chinois", tranche Jennifer Zhang, qui estime en outre que 40% de ses ressortissants visitant le pays sont absorbés par Barcelone et la Catalogne, 30% par Madrid, 10% par Séville et Grenade. Des quelque 80 millions de touristes ayant visité l'Espagne en 2017, dont la majeure partie se concentre sur la période estivale et le littoral, le touriste chinois constitue donc une partie minime, mais qui pourrait s'avérer particulièrement complémentaire. D'autant qu'avec une dépense moyenne par séjour 7 fois plus élevée que celle des Européens, pour une durée moyenne 7 fois plus courte, le voyageur chinois est indéniablement plus rentable. Concrètement, ce sont en moyenne 2.800€ qui sont dépensés par séjour : 7 fois plus que ce qu'un touriste européen dépense en moyenne sur une semaine.
Pour autant il reste du pain sur la planche pour accélérer le tourisme chinois en Espagne. "Les touristes chinois ont une image exceptionnelle de l'Espagne", défend pourtant Jenny Zhang. Mais si 90% des visiteurs sont satisfaits de leur séjour dans le pays -un taux bien supérieur à celui exprimé pour d'autres destinations, dont la France- il n'en reste pas moins que des efforts peuvent être réalisés pour séduire les ressortissants de l'Empire du milieu qui prévoient un voyage en Europe. A commencer par une meilleure connectivité aérienne : en 2018 on ne compte que 8 vols directs entre l'Espagne et la Chine, avec seulement 25 vols hebdomadaires. A titre de comparaison, l'aéroport de Charles de Gaulle en cumule près de 150. L'aide aux formalités pour obtenir des visas est aussi cruciale : "Il y a une certaine saturation des centres de traitement des visas vers l'Espagne", déplore Jenny Zhang, qui estime qu'il faut près de 15 jours pour un touriste chinois pour obtenir son précieux sésame vers l'Espagne, contre seulement 2 jours pour obtenir un visa lui permettant d'aller en France. Une croissante "digitalisation" du secteur touristique espagnol est en outre indispensable, compte tenu des habitudes chinoises en la matière. Enfin, il faut renforcer l'image du pays, en intensifiant les actions de communication, préconise Asialink-Spain.
"L'image des Chinois en Espagne n'est pas toujours très bonne", constate la présidente du China Club Spain, association fondée notamment pour changer cette vision négative qui persiste au sud des Pyrénées. "Mais la Chine a énormément changé en 20 ans et a permis à toute une tranche de sa population d'acquérir un niveau de vie particulièrement aisé", rappelle Jennifer Zhang, "avec des enfants qui ont fait des études en dehors du pays, disposent d'une formation internationale et jouissent d'un profil très cosmopolite".