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Semaine sainte en Espagne : 8 traditions insolites à découvrir absolument

Chaque printemps, la Semaine sainte (Semana santa) transforme l’Espagne en un grand théâtre de foi, de rituels ancestraux et de ferveur populaire. Si les processions andalouses enflamment l’imaginaire collectif, c’est souvent dans les recoins moins connus du territoire que surgissent les rituels les plus inattendus. Entre folklore, humour décalé et traditions médiévales, voici huit coutumes pascales qui dessinent un autre visage de la Semana santa… et de l’Espagne.

statue de la vierge en noir et or lors de la procession de la semaine sainte en espagnestatue de la vierge en noir et or lors de la procession de la semaine sainte en espagne
Melanie Giordano, Unsplash.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 13 avril 2025, mis à jour le 15 avril 2025

1. L’enterrement de Genarín à León : la procession des ivrognes

À León, le Jeudi saint ne se déroule pas tout à fait comme ailleurs. Depuis 1929, la ville rend hommage à Genaro Blanco, figure locale bohème et fêtarde, mort de façon peu commune : celui qu’on surnomme "Genarín" est mort percuté par un camion-poubelle alors qu’il urinait contre les remparts… 

Ce drame insolite a donné naissance à une tradition unique en Espagne : une procession nocturne, arrosée d’orujo (eau-de-vie locale) et ponctuée de toasts au fromage, sillonne chaque année les ruelles du Barrio Húmedo, cœur de la vieille ville.

Loin de la gravité des défilés religieux classiques, ce cortège célèbre la mémoire d’un homme devenu une légende urbaine. Et rappelle, à sa manière, que même les âmes égarées ont droit à leur saint patron.


 

 

 

La Semaine Sainte en Espagne

 

 

 

 

2. Les Turbas de Cuenca : un chaos sacré au lever du jour

À Cuenca, le Vendredi saint commence dans le bruit et la fureur ! Dès 5h30 du matin, la ville est envahie par un tumulte assourdissant : tambours et clairons se répondent dans un désordre sonore. Aucun rythme, aucune harmonie - juste un vacarme volontaire et incessant.

 

 

Cette cacophonie n’est pas gratuite : elle évoque les moqueries subies par le Christ durant sa montée au Calvaire. Puis, soudain, tout s’interrompt. Lorsque la Vierge de la solitude apparaît, un silence profond enveloppe la ville… Ce passage du tumulte au recueillement fait de la procession des Turbas l’un des moments les plus inoubliables de la Semaine sainte espagnole. 

 


 

3. La danse macabre de Verges (Catalogne) : des squelettes au clair de lune

À Verges, paisible bourg catalan de mille habitants, la nuit du Jeudi saint prend des allures de rituel médiéval. À la lueur des torches, cinq squelettes surgissent dans les rues pour une danse macabre, rythmée par des coups de tambour secs et répétitifs.

 

 

Héritée du Moyen Âge et des grandes épidémies de peste noire, cette mise en scène donne corps à la Mort en personne, rappelant que nul, riche ou pauvre, jeune ou vieux, n’y échappe. Verges est aujourd’hui le dernier village au monde à préserver ce rite ancestral. Un spectacle rare, où théâtre, foi et mémoire collective se rejoignent dans une chorégraphie aussi glaçante que fascinante.

 

 


 

4. Le Volatín de Tudela (Navarre) : un Judas en pièces détachées

À Tudela, le Samedi saint commence dans le fracas. Depuis le balcon de la Casa del Reloj, en plein cœur de la Plaza de los Fueros, une marionnette de Judas Iscariote est suspendue à une corde. Devant une foule rieuse, elle est secouée violemment… avant d’exploser, littéralement, sous les assauts de pétards qui la déshabillent morceau par morceau !

 

 

 

 

Ce rituel, né au XIIIᵉ siècle puis tombé dans l’oubli, a été relancé en 2002 par la mairie de Tudela. Depuis, le Volatín est devenu une fête d’intérêt touristique national, mêlant satire populaire et symbolisme biblique. Spectaculaire, bruyante et joyeusement irrévérencieuse, la condamnation publique de Judas n’a jamais été aussi festive.

 

 

 

 

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5. Les Empalaos de Valverde de la Vera (Estrémadure) : une marche silencieuse et douloureuse

À Valverde de la Vera, la nuit du Jeudi saint est traversée par des silhouettes fantomatiques. Ce sont les Empalaos, pénitents anonymes, pieds nus, torse ligoté de cordes, une croix de bois sur les épaules et une couronne d’épines posée sur le front.

 

 

Dans un silence sépulcral, ils avancent lentement à travers les rues étroites du village, recréant le chemin de croix du Christ. Ce rituel n’est ni spectacle ni folklore : c’est un acte intime de foi et de pénitence. À l’arrivée, leur calvaire s’achève par des frictions d’alcool pour réactiver la circulation, avant de disparaître à nouveau dans l’anonymat.

 

 


 

6. Les Romances de Navaluenga (Ávila) : quand la foi se déclame en vers

À Navaluenga, petit village de Castille-et-León, la Semaine sainte se vit à voix haute. Chaque Jeudi saint, deux groupes de 25 personnes s’affrontent dans une joute poétique pas comme les autres : la récitation de 14 romances retraçant la Passion du Christ !

 

 

Parmi les 300 vers, on retrouve la plume de Lope de Vega et de José de Valdivieso. Pas de place pour l’erreur : au premier oubli, la partie est perdue. Une tradition singulière, où la foi se transmet en alexandrins.

 


 

7. La Rompida de la Hora à Calanda (Teruel) : le tonnerre sacré des tambours

À Calanda, le Vendredi saint à midi, le silence de la place centrale vole en éclats. Au premier coup de cloche, des centaines de tambours s’abattent à l’unisson, dans un vacarme qui se prolonge… jusqu’au lendemain.


 

 

Ce grondement collectif, hommage sonore à la mort du Christ, traverse la ville comme une onde mystique. Natif de Calanda, le cinéaste Luis Buñuel y voyait “un tonnerre bouleversant, presque enivrant”. Une ferveur qui secoue les sens autant que l’âme.



 

 

8. La trencà des perols à Valencia : la résurrection à coups de casseroles

À Valencia, la nuit du samedi de la Résurrection ne se termine pas en silence. À minuit, dans les quartiers maritimes, les habitants ouvrent leurs fenêtres… et jettent vieille vaisselle, marmites et pots ébréchés depuis les balcons.
 

 

 

Ce geste aussi bruyant que libérateur, appelé trencà des perols, marque la rupture avec l’ancien pour faire place à la vie nouvelle. Des rires, des éclats de porcelaine et des cris de joie… les Valenciens célèbrent la résurrection à leur manière : dans le bruit, la lumière et la bonne humeur !

En Espagne, la Semaine sainte dépasse largement le cadre religieux. Elle devient un théâtre vivant où se croisent histoire, croyances populaires et imagination collective. Des tambours frénétiques aux vers sacrés déclamés dans la rue, des figures folkloriques aux promesses murmurées dans l’ombre, ces traditions racontent un pays où la foi se mêle au mystère, à la fête et à la mémoire, avec une liberté propre à chaque territoire. Un kaléidoscope de rituels où le sacré et le profane avancent main dans la main.