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Les Français du Pérou et l’anxiété de l’incertitude

Français Pérou atelier psychologie cathelatFrançais Pérou atelier psychologie cathelat
© Toa Heftiba - Unsplash
Écrit par Guillaume FLOR
Publié le 11 novembre 2020

Dans une période où l’avenir est incertain, comment aborder la question sensible de la santé mentale ? Comment répondre à l’éventuelle détresse psychologique des Français du Pérou ?

Présidente de l’Union des Français de l’Étranger au Pérou et psychothérapeute (membre de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse), Marie-France Cathelat propose des ateliers de soutien psychologique à la communauté française au Pérou. Des ateliers hebdomadaires, en ligne et gratuits, conçus pour apporter des ressources positives qui permettront de mieux vivre cette période difficile.

L’une des grandes difficultés du moment est tout de même d’être privé de socialisation. Alors puisqu’il est toujours bon de pouvoir partager, ces ateliers ont le mérite de pouvoir créer un lien de communication pour ceux qui en ressentent le besoin, puis de trouver dans le cadre d’un travail de groupe, des outils pour affronter le stress et les difficultés inhérentes à la période que nous vivons actuellement.

 

Français Pérou atelier psychologie cathelat

 

À travers les ateliers, quelle est votre perception générale de la situation de fragilité psychologique dans laquelle peuvent se trouver les Français du Pérou pendant cette période difficile ?

Pendant le confinement, j'ai décidé de sonder la communauté française, en leur demandant quelles étaient les difficultés les plus graves, les plus notoires, auxquelles ils étaient confrontés. Les questions qui les interpellaient le plus étaient bien entendu l’incertitude par rapport au fait de pouvoir ou non rentrer en France, mais surtout c'était des questions d'anxiété du fait de ne pas pouvoir se projeter dans l'avenir.

Je pense que les êtres humains ont besoin de se fixer des buts, de se fixer des défis… Il y a en terme général ce que l'on appelle la procrastination, c'est-à-dire que les êtres humains commencent à tourner en rond en essayant d'éviter de prendre des décisions, en remettant à plus tard ce qui peut être fait dans l’immédiat, en ne se fixant ni d’horaires, ni de buts, ni de défis parce qu’ils sont un peu perdus, c'est l'anxiété de l'incertitude.

Nous avons une partie du cerveau, le cerveau reptilien qui est encore très primitif, c’est-à-dire qu’il a peur du changement, qu’il a horreur de l’incertitude ; il faut dire que ce qui a permis à l'humanité de survivre, c'est justement cette partie du cerveau qui entre en alerte face au danger.

Cette pandémie n’est pas la première peste qui frappe l'humanité mais c'est peut-être la première qui est absolument mondiale, donc l'humanité est un petit peu dans ses réflexes de survie et je pense qu'il y a là un dénominateur commun qui traverse toutes les cultures.

Il y a donc une anxiété qui se traduit la plupart du temps par une forme de dépression. Ce n'est pas général, mais elle peut aussi se transformer en agressivité parce que face à l'impossibilité d'agir, l'homme ressent généralement une frustration très grande.

Il y a l'angoisse bien entendu économique.

Et puis, il y a des phénomènes qui varient suivant l'âge des personnes, c’est-à-dire que les plus jeunes ont tout de même une très grande frustration parce qu'ils sont à un moment de la vie où la socialisation est encore très importante. 

Pour les Français, c'est doublement difficile parce que nous avons une culture de l’autonomie et des droits de l’homme qui est très aigue et très pointue. Nous sommes peut-être le peuple dans le monde pour lequel la liberté individuelle est véritablement quelque chose d'acquis dans notre ADN, et donc il y a donc une véritable révolte. Les jeunes Français, par exemple, qui étaient de passage au Pérou n'arrivaient absolument pas à comprendre qu'il fallait rester chez soi.

 

Parmi les difficultés psychologiques évoquées par les Français du Pérou, avez-vous retrouvé les mêmes problématiques entre les réponses à votre sondage et les interventions dans vos ateliers ?

C’est intéressant parce que ce qui m’a surpris justement, c'est que dans le sondage, aucun ne faisait part de difficultés avec les enfants. Or parmi les personnes qui participent à l'atelier, il y a des parents et c’est donc là que j'ai pu constater ces difficultés.

Pour les enfants, c'est très dur. Ils souffrent beaucoup de ne pas pouvoir socialiser, mais il y a aussi une vérité, c’est que les enfants s'adaptent beaucoup plus vite que les adultes. Et pour les parents, c'est une époque compliquée, notamment de se retrouver à enseigner. L'autorité des professeurs n'est pas du tout celle des parents. Et il y a forcément des difficultés dans les rapports parent-enfant du fait de la promiscuité.

Un des enfants d'une personne qui participe à l'atelier a insisté pour participer au moment de la relaxation parce qu’il trouve que ça le détend. Dans les ateliers, le tissu de fond est psychanalytique mais on ne fait pas de psychanalyse à plusieurs, donc j'utilise d'autres techniques. J'ai eu le privilège d’être dans un rapport très proche avec des maîtres spirituels tibétains, asiatiques et orientaux, cela m'a permis d'apprendre beaucoup de techniques de relaxation, de détente et de visualisation positive.

 

La communauté française montre-t-elle plus de difficultés psychologiques face à la crise que la population locale ?

Psychologiquement, nous sommes totalement différents, pour la bonne raison que la culture française se base sur un cartésianisme qui fait indiscutablement une richesse de la France. La langue française est une langue logique donc nous pensons de façon logique.

Les Péruviens, les Andins en général, ont une cosmovision totalement différente, ils répondent beaucoup plus à l'affect et au relationnel, plus qu’au rationnel et donc ils acceptent, un peu comme les peuples asiatiques, que la vie a son propre rythme, son propre mouvement, qu’il faut penser la vie telle qu’elle est, et que face à cette pandémie, il faut tout simplement se laisser porter, il faut faire pour le mieux, mais ça ne sert à rien d'essayer de se rebeller pour quelque chose qui finalement fait partie de notre quotidien, qu'il faut vivre avec et qu'il faut accepter.

De ce point de vue-là, les Péruviens sont infiniment plus résilients que nous, pour la bonne raison que les Français, avec notre éducation, nous raisonnons avec la partie logique de notre cerveau, c’est-à-dire davantage avec l'hémisphère gauche qu'avec l'hémisphère droit, et nous sommes moins ouverts à l'imprévu, moins ouverts à ce que nous ne pouvons pas gérer et donc il y a une souffrance qui est différente.

Contrairement à ce que l’on dit, les Péruviens ne sont pas résignés, c'est une approche psychologique totalement différente qui tient plus compte de l'émotionnel mais aussi surtout de l’impuissance, c’est-à-dire le fait de comprendre qu’il y a des choses dans la vie que nous pouvons gérer et il y en a d'autres qu'il faut tout simplement porter, non pas supporter, mais porter !

Parmi les personnes de l'atelier, plusieurs travaillent dans l’humanitaire, directement dans des quartiers d'un niveau de pauvreté inimaginable pour des Français de métropole, et qui admirent véritablement la résilience avec laquelle les Péruviens gèrent cette situation de manque de soutien social de la part du Gouvernement.

Par ailleurs, la population française a l'habitude d'être assistée, d’être protégée par l'État, alors qu'au Pérou c'est totalement inexistant, donc le concept de résilience et de survie est beaucoup plus fort chez les Péruviens que parmi les Français.

 

Quels types de ressources positives, quels conseils, avez-vous pu proposer pendant les ateliers pour mieux vivre cette période ?

Nous travaillons beaucoup sur une première chose qui est d’être en pleine conscience du dialogue intérieur parce que finalement nous sommes tous victimes de toute la construction psychique qui nous vient de notre éducation, nos professeurs, nos parents… Nous ne nous rendons littéralement pas compte qu'il y a toute une partie de notre conception, de notre façon de réagir, qui vient de tout cet environnement. Donc, il est très important de récupérer ce qui nous appartient vraiment, parce que nous avons assimilé des messages très limitants et des croyances qui sont négatives.

La première des choses, c'est de repositionner notre dialogue intérieur et de se rendre compte que nous sommes les metteurs en scène de notre vie et que nous faisons de notre vie véritablement ce que nous voulons, non pas dans le sens du caprice, dans le sens de faire n'importe quoi, mais dans le sens de réfléchir à nous ce que nous voulons et pourquoi nous le faisons et quelles sont nos motivations.

Repositionner l'écoute de nous-même mais aussi l'écoute des autres.

Avoir une attitude positive grâce aux techniques de relaxation et de méditation.

Et puis, je travaille aussi beaucoup avec ce que nous appelons les accords toltèques dont on retrouve certains des principes en Asie dans le Taoïsme, dans le code d'honneur des Samouraïs et dans les connaissances tibétaines. Ces accords toltèques sont extrêmement utiles parce qu'ils nous permettent, psychologiquement, d'analyser nos agissements, d'analyser ce que nous disons, ce que nous ne disons pas, d'avoir une écoute beaucoup plus bénévole à l'égard des autres, mais aussi de se remettre en question. C'est vraiment passionnant parce qu’ils permettent d’éliminer beaucoup d’embuches psychologiques que nous avons et surtout des croyances qui nous empêchent de vivre tout notre potentiel.

 

Français Pérou atelier psychologie cathelat
Marie-France Cathelat

 

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